Niger-Présidentielle/Kiari Limane Tinguiri affirme que c’est une tradition en Afrique de crier à la fraude lorsqu’on perd les élections
La Commission électorale indépendante a annoncé la victoire de Mohamed Bazoum, au second tour de l’élection présidentielle. Le candidat du parti au pouvoir est crédité de 55,7% des voix. Mais son adversaire, Mahamane Ousmane, par la voix de son directeur de campagne, appelle ses partisans à « se mobiliser comme un seul homme pour faire échec à ce hold-up électoral ». Le doyen de la faculté d’économie de Niamey et consultant international, Kiari Limane Tinguiri porte un regard sur ce scrutin.
Quelle première analyse faites-vous sur ce scrutin avec 55, 7% contre 44,2%?
La première analyse est que ce résultat est cohérent avec les deux autres scrutins qui ont eu lieu il y a moins de deux mois. Il y a eu les élections communales, et ensuite les élections législatives. Donc, moi, je ne suis pas très surpris de cela. Peut-être qu’on aurait pu attendre des reports plus importants de voix, mais la déperdition existe dans les suffrages.
Que pensez-vous de la position de l’opposition qui crie à la fraude?
Je ne peux pas certifier qu’il n’y a pas eu d’irrégularités, mais les observateurs ne semblent pas en avoir relevées beaucoup. Je dis que le résultat est consistant et qu’il était « anticipable » quand on a vu les résultats des élections locales et des élections législatives. Mais il y a des recours. J’imagine qu’ils seront examinés, c’est vraiment dommage, et qui est devenue une tradition qu’en Afrique les perdants crient toujours à la fraude.
Justement, est-ce que la Cour constitutionnelle peut-elle modifier les résultats de façon significative, voir éventuellement inverser les résultats ?
Si elle en a les preuves ! Il ne suffit pas juste que les gens disent qu’il y a de la fraude pour que la Cour annule, il faut en apporter les preuves. Il faut suivre le processus légal.
Est-ce que la Commission électorale nationale indépendante (Céni) est une commission vraiment indépendante ou pas à vos yeux ?
L’indépendance ? Je n’en sais rien. Ce que je crois savoir, c’est que tous les partis politiques, tous les candidats sont représentés à la Céni, aussi bien au niveau central, qu’au niveau décentralisé et même au niveau des bureaux de vote. Donc, au minimum, la Céni est pluraliste. Donc, j’imagine que ceux qui sont là pour représenter les autres candidats sont là aussi pour y défendre leurs intérêts. C’est comme cela que je lis. Je pense que c’est aussi un peu la lecture qu’ont fourni les différents observateurs.
Vous dites qu’il y a eu « déperdition de voix ». Faites-vous allusion à ces candidats arrivés 3ème et 4ème au premier tour et qui avaient appelé à voter Mohamed Bazoum au second tour ?
Oui. Tout à fait, je fais allusion à ceux-là. Si les reports se faisaient à 100%, l’arithmétique aurait donné un résultat plus important dans cette direction-là, en faveur de Mohamed Bazoum. Il se trouve que le résultat final était un peu moins que l’arithmétique, mais ça aussi, ça arrive. Les reports ne sont jamais automatiques. Et d’ailleurs ça a toujours été comme cela au Niger, celui qui était donné gagnant par l’arithmétique des reports est sorti gagnant, que ça soit aux premières élections d’après la Transition, en 2011, et dans les élections suivantes en 2016.
Le ton est monté après que les résultats aient tombés et l’opposition a dénoncé un « hold up électoral ». De son côté, Mohamed Bazoum a tendu la main à son adversaire : « Connaissant sa sagesse, je voudrais compter sur Mahamane Ousmane », a-t-il dit. Peut-il être entendu ou pas ?
Je crois et j’espère qu’il le sera, parce que notre pays a beaucoup de défis et qu’on n’accède pas au pouvoir par la rue. Je pense que le président Ousmane va l’entendre, oui. C’est effectivement un homme sage et je n’ai pas beaucoup d’inquiétudes à ce sujet. Il faut bien qu’on se retrouve et qu’on confronte nos principaux défis, et ils sont nombreux.
Mais n’est-ce pas la première fois que deux présidents élus vont se succéder dans votre pays ?
C’est tout à fait la première fois. Et cela aussi, c’est quelque chose à souligner. Cela rend normal la démocratie. Il faut qu’on s’y fasse. Il faut accepter que la transmission normale du pouvoir par des élections devienne la règle, devienne quelque chose d’ordinaire et banal. C’est cela la démocratie en réalité.
Mais les manifestations de ce mardi après-midi à Niamey et à Zinder ne vous laissent pas augurer d’un bras de fer, au contraire ?
Sincèrement, je n’ai pas ce sentiment-là. Je ne souhaite pas que ce soit un bras de fer. Ce dont les gens ont besoin, ce n’est pas de manifester dans les rues et de contester sans arrêt, c’est de se former, c’est de travailler, d’être productifs, de construire le pays comme on dit et pas d’être les agents des manifestations dans les contentieux politiques. Les contentieux, ça se résout par des procédures légales bien établies, de la même façon que le vote s’est passé par les procédures légales bien établies.
Source : rfi.fr