Election présidentielle/ Le formalisme juridique est au droit ce que le squelette est au

Une contribution libre du Pr Dibi Kouadio Augustin

Qui s’exerce à observer dans notre pays le cours de la vie politique s’éveille très tôt à une évidence : la Constitution semble à chaque fois surgir pour être au cœur des tensions, des turbulences et des violences verbales de toutes sortes.

« La Constitution devant valoir comme lieu de transparence d’une objectivité juridique perd sa verticalité pour s’aplatir », selon le Pr Dibi Kouadio Augustin.

 L’on pourra avancer qu’il n’y a là rien de plus normal et que nous n’avons pas à nous en étonner ! Loi Fondamentale, et donc lieu juridique de normativité d’où découlent organiquement les autres normes assurant l’effectivité d’une existence sociale selon la volonté générale, comment la Constitution saurait-elle être abandonnée dans l’élément de l’indifférence ? Comment ne devrait-elle pas susciter des discussions et des débats pouvant aboutir à des conflits et à des combats ?
En plongeant le regard au cœur des choses, nous réalisons cependant sans grande difficulté ceci : ce n’est point l’idée de fondation, de fondement qui intéresse les personnes brandissant à chaque fois la Constitution. Pour l’essentiel, leur attention se trouve focalisée sur un point précis de la Constitution : le régime d’éligibilité du Président de la République.

Pourquoi une Constitution, pourquoi une République, et quelle fin substantielle doit poursuivre le Président élu ? De telles questions ne sont nullement posées. De ne les point poser, la Constitution devient Chose fétichisée fixant abstraitement le régime d’éligibilité. Comme conséquence, celui-ci n’est plus ordonné à son concept : à savoir, que puisse être à la tête de l’Etat une personne offrant une vision porteuse de paix et de fraternité, soucieuse de construire en vue d’une existence sociale épanouissante, brillant de la lumière de l’Universel.

Lorsque l’on perd de vue cet horizon, il n’est plus envisagé des fins et des valeurs rationnelles. La Constitution devant valoir comme lieu de transparence d’une objectivité juridique perd sa verticalité pour s’aplatir. Elle se voit idéologisée pour servir les demandes de la passion, de l’instinct et de la bouillie du cœur.

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Heidegger disait que ce qui règne au centre d’un tourbillon, c’est le calme. Pourquoi ne pas nous laisser habiter par le calme de la raison ? Pourquoi ne pas revenir à la raison comme notre plus sûr logis ?

L’actuel Président de la République ne s’est-il pas suffisamment révélé une personnalité attachée à l’intérêt général, soucieuse de poursuivre l’œuvre du Président Félix Houphouët Boigny en la portant plus loin et plus haut ?

Ses actions parlent d’elles-mêmes pour montrer ce qu’il est, comme la rose, parfaitement signe de soi à travers le parfum qu’elle exhale ! Qui ne sait pas qu’il a une vue haute et noble de la Chose politique qu’il saisit comme une manière d’être au service des autres, de leur préparer et leur ouvrir les portes d’un avenir humainement accomplissant ?

Pour cette raison, il a rendu le tablier à travers le choix de son Premier Ministre comme Candidat de son Parti, le RHDP. Si la mort est le seul avenir dont nous sommes certains, ne nous survient-elle pas toujours dans la contingence ? Elle nous révèle sa nécessité dans la contingence et personne ne peut l’inscrire dans son agenda ! Le prêtre et prédicateur anglais John Donne disait : « la mort de chaque homme me diminue car je suis impliqué dans l’humanité. N’envoie donc jamais demander pour qui sonne la cloche : elle sonne pour toi ».

Le rappel à Dieu du Premier Ministre Amadou Gon Coulibaly ne doit-il pas inviter chacun de nous à baisser les yeux et à se retirer en lui-même, en cherchant, conscient de sa finitude intrinsèque, à agir afin que les raisons de diviser et de séparer ne l’emportent pas sur celles de rassembler et d’unir, que la passion en nous ne confisque pas la raison ? L’homme ne construit et ne se construit qu’en cherchant sans cesse à unir et à rassembler. A cette fin, il scrute, examine, fouille, façonne. La nouvelle Constitution de 2016 ne se situe-t-elle pas en cet horizon ? En braquant la lumière unilatéralement sur la question de l’éligibilité, l’on maintient dans l’ombre un terme qui pourtant est là, en sa fine pointe absolument incontournable et irréductible, exigeant sa venue à la lumière du jour : l’adjectif  « nouvelle ». Désirer quelque chose de nouveau n’a de sens que si l’on a décidé d’aller plus loin en dépassant l’ancien. On n’oublie certes pas que c’est sur la base de l’ancien que l’on construit le nouveau. La machine la plus moderne ne doit-elle pas son effectivité à l’instrument primitif qu’apparemment elle abolit et rend ridicule ? Toutefois, avec cette machine, s’initie une vie autre, une autre vie.

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La nouvelle Constitution, en bonne logique, abroge l’ancienne Constitution. Cela veut dire qu’elle annule sa validité, lui signifie qu’elle ne peut plus répondre aux exigences du présent. Nous apprenons ces choses lorsque, malades, nous allons consulter un médecin. Passé un certain délai, les mêmes comprimés prescrits par lui pour soigner les douleurs que nous ressentons n’ont plus de validité, car ils risquent d’être pour notre corps un poison. Leur nature substantielle consistant à soigner des douleurs déterminées n’est pas par-là niée, abolie, mais seulement leur validité, leur capacité à produire encore des effets. C’est l’expression de ce rien de la morsure du réel, de l’épreuve du temps.

Comment ne pas savoir qu’avec la Constitution de 2016, le compteur est mis à zéro pour un nouveau départ dialectiquement préparé par l’ancienne Constitution, qu’en ce sens, l’actuel Président de la République est éligible pour deux mandats, et que, s’il le désire, il peut se présenter en Octobre 2020 ! On aura compris que la fixation abstraite du moment du régime d’éligibilité cache la peur d’avoir à affronter dans les urnes un candidat dont les œuvres, dans l’éclat de leur beauté et de leur succès, chantent les compétences et les qualités.

Notre pays vient de loin, pour qui se souvient des crises qu’il a traversées et qu’il s’est engagé à surmonter. Il importe au plus haut point de consolider les acquis et de les enraciner dans la longue durée. Dans cette perspective, ne convient-il pas que chacun de nous retrouve le discours du bon sens, de la raison commune, du koinos logos des Grecs, unissant spontanément en vue de l’essentiel, de ce qui, toujours le même, assure discrètement la dimension de la sauvegarde afin que l’être-ensemble soit une vie respirable ?
Le droit doit être droit et non courbe. Il doit être au service de ce qui sourd de la substance éthique d’une communauté, c’est-à-dire de l’idée de la liberté en tant que le Bien vivant se sachant et se voulant dans toute conscience de soi. Il n’honore pas son concept quand il se réduit au formalisme juridique. Le formalisme juridique est au droit ce que le squelette est au corps : une armature sans doute nécessaire, mais à laquelle fait défaut la vie !

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La vie nous est donnée pour appendre à bâtir et à aimer. Celui qui a besoin de secousses, de catastrophes, d’incendies pour sentir qu’il est vivant, se tient lui-même, par sa propre orientation, loin de la communauté des hommes raisonnables. Que le droit ne soit pas à l’image d’une vigne qui produit des raisins amers et empoisonnés !