Aboisso/ Qu’arrive-t-il au Royaume Sanwi ?

Par Pascal Fobah Eblin* 

Un chef coutumier respecté est la clé du succès de toute gestion communautaire des ressources. Malheureusement le samedi 25 mars 2023, la cérémonie populaire de confirmation de la désignation du nouveau Chef de Krindjabo a été émaillée d’incidents.

 Le samedi 25 mars 2023, la notabilité du village de Krindjabo a offert un spectacle déplorable à l’assistance venue participer à la cérémonie d’installation du nouveau chef de la localité. Elle a été médusée de voir s’étaler publiquement un conflit entre la délégation du Roi et le collectif des chefs de quartiers de Krindjabo. Le tohu-bohu qui en a résulté a amené le préfet de région qui présidait ladite cérémonie à l’ajourner, le temps que les parties s’accordent sur la personnalité retenue pour prendre les rênes de la chefferie de Krindjabo. Ce fait divers qui a malmené l’héritage politique et culturel connu du Sanwi dans la désignation des chefs de village, appelle malheureusement d’autres faits et justifie une réflexion sur ce qui se passe dans le Royaume Sanwi à travers les actions collectives comme individuelles.

Les faits qui interpellent

Les compassions royales à l’endroit de certaines personnalités politiques de la région du Sud-Comoé se font, selon certaines langues, avec des préférences qui contreviennent au principe d’équidistance attendu d’un père dans ses rapports avec tous ses fils, quels qu’ils soient. Même si Adiaké et Ayamé sont à distances variables de Krindjabo, ces deux villes devraient bénéficier de la même distance affective vue de Krindjabo.

Les sujets de réprobation et de colère portent aussi sur l’attribution de titres princiers à des personnalités du royaume sans que l’on sache ce qui l’a motivée objectivement. Il est vrai que l’exemple de Michael Jackson, un chanteur américain mondialement connu qui a visité Krindjabo le 14 février 1992, a révélé que l’accession à la dignité de prince peut ne pas l’être par lignage et reposer sur la qualité des services rendus ou le prestige apporté à la communauté.

Si c’est cela le principe établi de façon discrétionnaire et que nul ne peut d’ailleurs contester, comment comprendre cette récompense-récompense à géométrie variable alors que l’on ne peut pas compter le nombre de services rendus à la communauté depuis plusieurs décennies par des fils bien connus et non des moindres du Sanwi ? A moins, bien-sûr, qu’il n’y ait des lignages royaux ignorés du grand public.

Nous pensons, pour notre part, que la politique ne devrait pas dénaturer ce principe noble de récompense royale qui se rapproche de ce que fait la grande chancellerie en contexte républicain. Cette initiative est à encourager mais demande à être mieux encadrée pour ne pas édulcorer les us et coutumes politiques du Sanwi. Il faut préciser, pour ce qui est du cas de Michael Jackson, que sa famille d’origine possédait l’un des  quarante-huit (48) sièges royaux selon les anciens du royaume.

La débauche est-elle devenue reine dans le Sanwi?

Dans toute société monarchique, le détenteur du pouvoir royal « est l’âme du peuple, le père de chacun de ses sujets, le représentant du créateur, le premier prêtre des génies protecteurs et des ancêtres qui veillent sur la cité. A ce titre, sa personne est sacrée et inviolable » (pascalchristian.fr) et, ses actes et ses rapports avec toutes les composantes de la population représentent ou magnifient, selon le cas, ce sacré et la pratique de l’équité associés à sa fonction de chef politique premier de la zone.

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Les comportements, les prises de position et la vie publique du souverain sont fixés et figés dans ces marques de sacralité et d’équité. La personne royale est ainsi une institution à part entière qui a, entre ses mains, le secret du consensus et du compromis qui garantissent la cohésion sociale ainsi que l’ordre dans le royaume.

La personne royale est faiseuse de paix, gardienne des coutumes et chantre du dialogue et de l’entente entre les fils et filles de la zone qu’elle a sous son administration. Elle est censée être le trait d’union entre tous les cadres de cette zone pour arrondir les angles de leurs oppositions et établir l’entente entre eux pour le bien de tous et de la communauté. Elle ne doit pas être une source de conflits ou animer des conflits, quels qu’ils soient, au sein de la communauté. Le faire, c’est désacraliser et sa personne et sa fonction. Ce sont là quelques-uns des traits invariants de toute institution royale dans nos contrées et qui s’appliquent bien à l’institution royale dans le Sanwi.

Pour Pascal Fobah Eblin, « Il serait temps, – que les uns et les autres s’asseyent pour s’entendre sur ce qu’il y a lieu de faire pour sauver le Royaume Sanwi d’un naufrage collectif »

L’une des observations qui est aussi faite est que, dans le village de Krindjabo et à certaines heures, la drogue, l’alcool et la débauche deviennent rois et le transforment en tout, sauf en la capitale d’un royaume aussi prestigieux que celui du Sanwi bien connu dans les livres d’histoire et dans les archives de la colonisation française, une capitale fondée bien avant l’arrivée de l’homme blanc en Côte d’Ivoire. Les services anti-drogue devraient vérifier les allégations relatives au fait délictueux de la circulation de la drogue.

La débauche et l’alcool, ajoutés au désœuvrement de la jeunesse, sont ostentatoirement étalés, sans aucune pudeur, au vu et au su de tous, sans que cela ne choque personne. L’on se demande bien ce que les agni Sanwi ont fait de leurs valeurs anciennes, comme si la modernité avait tout gommé et décrété la fin des bonnes mœurs. Toute la communauté est interpellée.

Le Sanwi perd son âme

Mais les parents le sont encore plus, eux à qui incombe la responsabilité sociale de transmettre aux jeunes générations les valeurs anciennes liées aux bonnes mœurs. Leur modèle éducatif est à interroger. Une étude comparative peut même montrer que certaines valeurs anciennes cultivées dans le Sanwi rencontrent bien celles du monde moderne ainsi que celles prônées par les religions dites révélées. Tout n’est pas mort ou n’est pas pour les hommes d’avant comme on le croit. Malheureusement, tout est en train de partir à vau-l’eau ; le Sanwi est en train de perdre son âme et les agni Sanwi sont assis et regardent en bons spectateurs tout se perdre et se dégrader.

Leur capitale, censée être l’expression de leur gloire passée, de leur prestige et la vitrine de leur royaume, fait pâle figure devant ses consœurs aux palais imposants et majestueux que sont, par exemple, Moossou, siège royal de Grand-Bassam et capitale des Abouré Ehê, Sakassou, capitale traditionnelle et siège du royaume Baoulé et Abengourou, capitale du royaume N’denian, qui ont bénéficié soit de leur proximité géographique avec la grande ville (cas de Moossou) soit de leur érection en communes (cas de Sakassou et d’Abengourou). L’état du cerisier séculaire, le krindja, qui a donné son nom au village est symptomatique de la décrépitude même du royaume.

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Selon des archives françaises, le Royaume Sanwi est historiquement l’un des plus prestigieux de la Côte d’Ivoire. Il est même surnommé le « berceau de la Côte d’Ivoire ». Ce titre n’a jamais été politiquement rentabilisé au bénéfice du Sanwi au moment où la Côte d’Ivoire était en chantier. Ce n’est pas aujourd’hui qu’il pourra l’être. Quelques individus sont devenus politiquement et socialement visibles.

Le Sanwi, lui, est resté invisible pendant qu’ailleurs des leaderships transformaient profondément certaines zones. L’histoire politique et sociale du Sanwi écrite par les vainqueurs de l’histoire ivoirienne s’est chargée d’amoindrir le symbole politique et moral du Sanwi dans la Côte d’Ivoire moderne pour faire la promotion d’une autre histoire plus glorieuse et plus noble.

Le Sanwi a commis deux péchés capitaux aux yeux du pouvoir Houphouët-Boigny. Il était le berceau et l’un des bastions du parti progressiste qui militait ouvertement pour une place plus importante des autorités politiques traditionnelles dans le système politique moderne, à l’image de ce qui se passait dans le Ghana voisin. Les Sanwi ont aussi voulu faire sécession en 1959, en 1962 et en 1969. Ce deuxième péché capital ne leur a jamais été pardonné et, ils l’ont chèrement payé. Il y a eu, certes, la promotion politique de quelques cadres mais sans retombées réelles pour le royaume. La personnalité morale et politique historique du Sanwi n’a fait que dépérir depuis.

Il aura fallu attendre l’ère d’Etché Elleingand Alexis pour qu’il y ait un peu d’éclaircie pour le Sanwi et sa principale commune Aboisso. Mais, une hirondelle ne fait pas le printemps. L’état de pauvreté généralisée transforme les politiques en des assistants de service social au lieu qu’ils soient des agents de développement. Et Etché Elleingand a quitté ce monde pratiquement ruiné, ruiné par son parti dont il assurait la visibilité à ses frais et ruiné par les populations qu’il ne cessait d’assister et d’aider. A la fin de sa vie, son désarroi que connaissaient ses intimes était total.

 Quelle vision a-t-on du Sanwi comme royaume en ce 21e siècle ?  

Il serait temps, avant que le déshonneur ne soit total dans la comparaison avec les autres royaumes historiquement moins prestigieux, que les uns et les autres s’asseyent pour s’entendre sur ce qu’il y a lieu de faire pour sauver le Royaume Sanwi d’un naufrage collectif. Des assises s’imposent pour diagnostiquer le mal, ses causes et leur apporter des solutions à court, moyen et long terme, sinon le 21e siècle dans lequel nous sommes sonnera son glas.

Un retard de développement de plus de 50 ans ne peut être rattrapé tant que l’ego politique des cadres en vue de la région les empêche de s’entendre sur ce qu’il faut pour sortir le Sanwi et sa principale commune, Aboisso, de leur marasme. Malheureusement, le leadership politique du Roi qui aurait pu jouer un rôle important dans la résolution de cette mésentente et des conflits récurrents entre cadres est écrasé par la logique du politique et le statut social de certains parmi ces cadres qui les émancipent, en quelque sorte, de l’autorité royale qui reste, d’ailleurs symbolique et se borne à être celle d’un conseiller. L’on n’est ni à Kumasi avec le roi des Ashantis ni à Ouagadougou avec le Morho Naba, roi des Mossi, politiquement puissants et consultés lors des décisions importantes liées à la vie de leur nation.

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Dans le dictionnaire en ligne wikipédia, l’on lit ceci : « Aboisso est le berceau du royaume le plus vieux et le plus puissant de l’histoire de la Côte d’Ivoire ». Cet éloge fait par des écrits accessibles partout dans le monde interpelle la conscience de chacun des cadres d’Aboisso et, au-delà, du Sud-Comoé, quel que soit son bord politique. Au lieu de se quereller et de s’étriper pour des postes politiques, fussent-ils électifs et susceptibles de consolider des positions de pouvoir au sein des appareils politiques, ces derniers devraient militer collectivement pour un meilleur développement de la zone de sorte à permettre au Sanwi de retrouver sa gloire et son rayonnement d’antan. Leurs capacités à fédérer les efforts et les intelligences seront durement mises à l’épreuve à l’occasion des élections municipales à venir.

Le Royaume Sanwi doit retrouver sa place

Ces élections pour la commune devraient, en principe, être moins politiques parce qu’il est question du développement des communes sur la base d’un financement public, lequel développement ne relève pas de l’initiative des partis. Et, il est faux et trompeur de croire que l’appartenance d’un maire au parti au pouvoir confère un financement exceptionnel à la commune. Les financements alloués aux communes (rétrocession d’une partie des impôts et taxes prélevés par l’Etat) se font sur la base de conditions d’accès unifiées et suivant la péréquation des ressources entre les collectivités territoriales et non selon la coloration politique de leurs maires.

Plus le taux de recouvrement d’une commune est faible plus ses ressources sont faibles et plus faible d’autant est ce qu’elle reçoit de l’Etat. La capacité contributive et le panier de recettes d’une commune comme celle d’Aboisso n’est pas du même volume que celle des communes de Koumassi et de Port-Bouët, par exemple, qui abritent des zones industrielles. Elles n’auront donc pas les mêmes montants et leurs maires ne pourront jamais travailler de la même manière : l’on sèche son habit là où la main arrive.

Le Royaume Sanwi doit retrouver sa place dans l’architecture politique et sociale de la Côte d’Ivoire. C’est une vision et une action collectives et non celles d’un individu, fût-il Roi, chef de village, Président du Conseil régional, Député ou Maire.

*Professeur des Universités, natif du Sanwi