Sayon Bamba (Artiste – Directrice d’agence): « Toute ma vie n’a été que spectacle »
Conakry : Mme Sayon Bamba
Par Justin Kassy à Conakry
Elle est jeune, belle, intelligente. Elle incarne un dynamisme bâti sur la rigueur et l’amour du travail bien fait. Elle, c’est Mme Sayon Bamba, Directrice générale de « l’Agence guinéenne de spectacles »(AGS). Avec cette Dame pluridimensionnelle, car elle est aussi artiste-chanteuse, nous avons passé un agréable moment de causerie. C’est au Musée de Conakry, précisément à Sandervalia, dans la Commune de Kaloum.
*Qui êtes-vous Mme Sayon Bamba !
Je suis Sayon Bamba, directrice générale de l’Agence guinéenne de spectacles. J’ai fait l’université Gamal Abdel Nasser ici à Conakry. Ensuite, je me suis retrouvée au théâtre, à la musique internationale de Guinée, au Théâtre national d’enfants, chez les « Amazones de Guinée » comme lead-vocal dans une nouvelle version que des Mamans comme : Tantie Nepou et Tantie Cissé, avec Maître Barry, étaient en train de mettre en place. Il faut savoir que Maître Barry, c’est celui qui m’a repérée et proposé que je rejoigne ce groupe mythique. Il a beaucoup fait pour ma carrière artistique. Parce qu’il m’a donné la chance de prendre part à un groupe qui était une légende. Avant de me retrouver en France, à Marseille, précisément, où, j’ai travaillé dans les milieux du spectacle -vivant jusqu’aujourd’hui.
*Que faisiez-vous concrètement à Marseille ?
A Marseille, je faisais d’abord du théâtre. J’ai commencé à faire du Cirque avec mon mari qui, à l’époque, était venu ici à Conakry avec qui, j’avais fait des créations. Nous sommes partis en 1998 à Marseille dans cette même énergie. On a fait du Cirque, du théâtre de rue, du théâtre en salle. De 1999 à 2017, j’ai eu à faire beaucoup de choses. Grâce à Dieu et aux bénédictions des parents, j’ai réussi à continuer, à développer la carrière artistique. Parce que c’est surtout ça, elle n’était pas que musicale. D’ailleurs, elle a commencé au niveau du théâtre avec le théâtre de rue. L’idée de s’installer.
On arrive sur un boulevard, on nous dit : vous avez cet espace. Faites en ce que vous savez faire. Partant de rien ou d’éléments récupérés, on arrive à mettre notre décor, à installer un petit peu de rêves pour les gens qui viennent voir les spectacles. C’est vraiment l’école à laquelle j’ai été inscrite quand je suis arrivée en France. Après, en rentrant dans les milieux musicaux, j’ai eu la chance de connaître aussi les grandes scènes, de belles scènes, notamment les scènes d’hiver à Paris lors du concert « hommage à Myriam Makéba », également le festival de jazz à Vienne, à Montreuil. ça fait partie des belles réalisations que j’ai pu faire. Il y a beaucoup d’histoires qui me lient justement avec Marseille. Parce qu’autant je suis liée à Conakry par mes racines et par mon enfance, autant Marseille, j’y suis avec toute ma vie de femme. C’est à Marseille que je me suis affirmée en tant que femme engagée pour le respect des droits des femmes. C’est aussi à Marseille que je me suis retrouvée maman de trois enfants que j’ai eu à gérer au quotidien avec tout ce que cela implique dans les contextes sociaux culturels de la ville de Marseille. Ensuite retour à Conakry, après quelques années d’apprentissage là-bas, retour stimulé un petit peu par feu Souleymane Koly avec qui je fais une rencontre incroyable sur la scène du CCFG à Conakry en 2011, où il a assisté à un de mes concerts. A la fin du spectacle, il vient me voir en disant ceci : « Je peux mourir tranquille maintenant. Parce que j’ai vu une artiste guinéenne, qui, pour moi, tient la route. » C’était important pour moi. Tellement j’idolâtrais ce monsieur. Tellement j’aimais tout le travail artistique qu’il avait accomplit et qu’il continue d’accomplir. Pour moi, c’était une véritable chance que quelqu’un s’intéresse à mon petit univers d’artiste et tout. Par la suite, on a collaboré sur pas mal de créations de « Kotéba » et sa nouvelle structure en Guinée. Et ça s’est décidé très vite que j’allais venir m’installer ici à Conakry. Parce qu’il était dans une sorte de construction de projets de jeunes, pour faire bouger les choses au niveau de la culture. C’est dans ce sens qu’il m’a dit : « Ma fille, il faut absolument rentrée. Parce qu’il faut qu’on se donne tous la main, pour faire en sorte que les choses avancent et évoluent en Guinée. Il a réussi à me convaincre. A l’époque, j’étais coordinatrice dans un Centre Social. J’ai démissionné pour venir travailler au pays. Je remercie aussi Boncana Maïga que j’ai rencontré à Rio, au Brésil lors du « festival Black to black ». Avec qui j’ai beaucoup échangé. Il m’a dit : « Il faut rentrer au pays. Je ne te connaissais pas. Je découvre une Guinéenne qui doit absolument rentrer. » Je lui ai dit non. Je ne suis pas prête pour rentrer. Parce que je ne sais pas ce que je vais faire en Guinée quand je vais rentrer. Il m’a alors dit : « Rentre et tu verras. Il y a beaucoup de choses que tu peux faire là-bas. » Ces deux personnes m’ont aidé à prendre la décision de rentrer en Guinée. Aujourd’hui, je peux dire qu’elles ont eu raison. Parce que, les écouter m’a permis de me retrouver face à un autre destin encore et à relever de nouveaux défis. C’est ce qui me plaît tous les jours dans ce que je fais.
*Comment êtes-vous arrivée à « l’Agence guinéenne de spectacles ? »
Il faut dire que toute ma vie n’a été que spectacle. Je suis allée aussi bien en France que partout dans le monde, j’y suis allée au nom des spectacles vivants. C’est vrai que j’ai vu beaucoup de choses, j’ai travaillé dans beaucoup de projets. J’ai la chance que des aînés comme le grand Fodéba Isto Keira suivaient ma carrière de son côté. Lui et moi, avions beaucoup échangé. Quand je faisais des spectacles, il venait les voir. Il a aimé ma façon et ma vision déjà dans la mise en scène. Parce que j’ai fait la mise en scène. Par rapport à tout le travail que je menais, j’étais coordinatrice, conseillère culturelle, directrice de la « Salle Maly Condé » qui est une salle de spectacles de huit cents places, et que j’arrivais à faire une programmation qui tenait. Tout ça lui a permis aussi de penser à moi dans ce Département. C’est de la sorte que je me suis retrouvée à la tête de l’Agence guinéenne de spectacles début 2o17. On va bientôt faire notre petit bilan. Une soirée pour remercier les travailleurs de l’Agence.
*Que vous a apporté cette promotion ?
C’est un indiscutable challenge. Parce que passer de directrice d’une salle de spectacles à la Directrice de tout un secteur, de tout un réseau, ce n’est pas la même chose. Ca force aussi à l’excellence. Ca nous pousse aussi à trouver de nouvelles idées. Ca nous permet de rechercher de manière plus active, pour justement servir cette cause pour laquelle nous avons été mis là. J’aime les défis. Je ne voudrais pas que ceux qui m’ont mise où je suis, regrettent de m’avoir placée à ce poste.
*Quels sont les objectifs et missions de l’AGS ?
L’Agence guinéenne de spectacles est une structure étatique à caractère autonome. Elle a charge de réglementer le secteur du spectacle vivant guinéen. Elle a aussi la charge de promouvoir le spectacle vivant en Guinée. D’une part, elle le réglemente. D’autre part, elle est dans la promotion et à l’exportation de ces spectacles. C’est un travail pas toujours compris par certains acteurs de cette profession.
*Combien faut-il débourser pour organiser un spectacle au Palais du Peuple à Conakry ?
Pour être organisateur d’événement en Guinée, il faut obtenir une « Licence d’organisateur de spectacles ». Nous avons trois types de Licence : Licence destinée au lieu de spectacles vivants, les gens qui reçoivent les spectacles. Parce que ce n’est pas normal qu’on reçoive. Vous savez quand un hôtel ouvre, les hôteliers viennent voir si le cadre est adapté à appeler ça un hôtel. Quand un hôtel se met à programmer de la musique, il est de notre devoir de venir voir si ça répond aux normes de la musique. Souvent, ce sont toutes ces choses qui ne sont pas comprises. Ca donne lieu à des Licences, et par la suite, avec ces Licences, ils ont la possibilité d’organiser des spectacles. Ainsi pour chaque spectacle, ils ont une redevance forfaitaire par nombre de spectateurs, donc de o à 5oo spectateurs. Ce qui fait une somme de3oo. Ooofrcsguinéens. De 5oo à 1.ooo places, c’est : 5oo. ooofrcsguinéens. A partir de 1.ooo places jusqu’à 2.ooo places, c’est 8oo. ooofrcsguinéens. Ensuite, les Espaces ouverts(les stades, les extérieurs, etc), tels qu’ils soient passent à 2.ooo.ooofrcsguinéens. Ca nous permet d’être optimales, d’être plus près des organisations, d’envoyer des Agents sur le terrain, de les encadre et de pouvoir observer et avoir tout de suite, une réaction spontanée pour éviter des catastrophes. Quand on a des éléments sur le terrain, on est pro actif. A défaut, on est dans les papiers et rien n’avance. L’Agence, c’est aussi ça qui a changé sur le terrain. C’est notre présence permanente sur les lieux de spectacles vivants.
*Qui a droit à la Licence ?
N’ont pas droit à la Licence ceux qui ont été poursuivis par la loi. A droit à la Licence toute personne normalement constituée qui a un certain niveau intellectuel. Etre un responsable.
*Un étranger qui veut organiser un spectacle en Guinée. Que doit-il faire ?
L’étranger a la possibilité de saisir l’Agence guinéenne de spectacles trois mois avant la date de représentation. Avec ses pièces d’identité en règle. Il y a des lois en vigueur en Guinée. Qu’il ait un Document d’où il vient certifiant qu’il est un promoteur culturel dans son pays d’origine. Ainsi avec ce Document, l’Agence pourra délivrer à la personne une garantie. Si dans votre pays d’origine, vous n’avez jamais été organisateur de spectacles, à Conakry, nous ne pouvons pas vous laisser organiser votre spectacle. Cependant l’étranger a des possibilités. On lui propose une liste de différents promoteurs culturels guinéens qui existent. Avec lesquels il peut faire un contrat de coréalisation avec sa Licence, la Licence de celui qui est sur le sol guinéen, ou si l’étranger vit en Guinée et paye ses impôts en Guinée. En moment, il pourra prendre sa Licence en Guinée, mais en suivant toutes ces procédures.
*Qu’aviez-vous menez comme activités depuis votre arrivée à la tête de l’Agence ?
On a procédé à des formations. On a pu mettre en place trois formations au niveau tant des acteurs culturels que des travailleurs de l’Agence, pour qu’ils comprennent la pertinence de leur mission et sur le terrain et dans nos locaux. On a aussi fait une petite campagne de sensibilisation à l’intérieur du pays avec des Agents affectés à l’intérieur avec qui on est en train de réfléchir à une autre forme de les faire travailler. Tout ceci est bien entendu évolutif. On a aussi fait une formation sur le montage, la conception de Dossier de production. On a fait une formation avec Oumar Koumbassa qui est venu avec beaucoup de bonne volonté. Nous sommes en train de finaliser notre Goliath, donc l’Annuaire des Spectacles vivants guinéens que nous avons bien envie de présenter au début de l’année2o18. Nous avons mis en place le site internet. En cette fin d’année, nous avons démarré un projet de promotion de l’artiste guinéen à l’échelle internationale. Il s’agit de le présenter sous une plate-forme multimédia à la disposition du monde. Parce qu’en Guinée, on se plaint qu’on n’est pas assez programmé à l’étranger. Mais l’étranger ne programme que ce qu’il connaît. Or les artistes guinéens font partie des absents sur les Chaînes internationales. L’idée dans un premier temps, c’est de les exposer, vendre leurs images. Créer l’émulation, créer l’envie, et ensuite, nous rentrerons dans l’étape de diffusion de ce projet à partir de février 2o18.
*On peut affirmer que ce sont-là vos priorités ?
En effet , on peut le dire tout net. Notre grande priorité, c’est la promotion de nos artistes à l’échelle internationale. Aider aussi à l’extension des spectacles vivants en général en République de Guinée. C’est pour quoi l’année2o18 marquera pour nous, l’arrivée de ce que nous avons appelé à l’Agence guinéenne : le Spectatorium. Je me suis dit dans tous les quartiers de Conakry, il y a des jeunes désœuvrés. Ils n’arrêtent pas de rêver d’aller à l’aventure. Parce qu’ils n’ont pas de perspectives. Le Spectatorium ne va pas empêcher l’immigration. Mais je pense qu’il pourra contribuer en la limitant. En responsabilisant ces jeunes. En leur donnant des espaces de spectacles qui s’installent vite et se démontent vite. Tous les week-ends, on pourrait installer sur des places identifiées des lieux de spectacles à capacité d’accueillir deux cent à trois cent personnes en leur sein. Pour donner des spectacles aux jeunes. Il y aurait trois représentations par jour sur trois jours : vendredi, samedi, dimanche, à très faible payant. Cet argent permettra aux jeunes qui gèrent ces lieux eux-mêmes d’avoir de l’argent. Ce gain sera divisé en trois parties : une partie pour la caisse de l’Etat qui servira à entretenir le Spectatorium. Une part, les 3o pour cent pour les jeunes qui s’occuperaient de ça et leur ferait en quelque sorte un emploi. Une autre part, les 3o pour cents pour les artistes qui y joueront. Et pour qui ça constituera une paye. Ca c’est le grand projet de l’Agence guinéenne de spectacles. Le troisième point important pour l’Agence guinéenne de Spectacles l’année prochaine, c’est notre projet de sensibilisation dans les Universités, Lycées et Collèges. C’est quoi cette sensibilisation ? C’est réapprendre aux jeunes guinéens à aller sur les lieux de spectacles vivants. Je vais m’investir personnellement dans les classes pour faire des conférences auprès des jeunes. Par des exposés avec des Diapos. Pour montrer des situations de spectacles, de dangers, montrer l’attitude à avoir quand on va sur des grands spectacles. Parce que la Guinée commence à un petit peu battre les records des spectacles, de gros spectacles. Il faut réapprendre aux gens l’attitude à adopter quand on vient aux spectacles. Nous nous baserons sur ces trois axes pour travailler l’année prochaine.
*Qu’en est-il de votre carrière musicale ?
Je continue de chanter. Je fais la « world music ». A mon actif, j’ai aujourd’hui cinq albums. Le dernier s’intitule : « Niouguitombo » (Bidonville). J’ai des textes très engagés parfois sur la condition de la femme. Sur le rapport homme-femme. Chaque album a eu sa propre histoire. J’ai d’abord fait chanson des villes et des maquis qui était une ODE à Conakry et à la vie que j’avais ici avant de partir en Europe. J’ai fait l’album : « Mode Vacances ». Suite à la naissance de ma fille. Plus ma fille grandissait, plus j’avais envie de représenter la femme que je désirais être. « Dougnan ». Ce sont des figures douloureuses face à l’excision de la jeune fille. Ce sont aussi les souffrances infligées aux enfants. Les enfants qui sont vendus, etc. « Discothèque ». C’est un album conçu uniquement pour les enfants.
*Et votre carrière ! Elle est à quel niveau aujourd’hui ?
Je ne suis pas une débutante. J’ai encore des pistes non explorées. Par exemple, je rêve de prendre mon sac à dos et de partir en Mongolie. Parce que j’aime la technique de chants mongols. J’aimerais en fait comprendre comment ils arrivent à tenir aussi longtemps dans cette sonorité, toujours la même, aussi stable et où placent-ils la respiration ? Je suis en fait une artiste curieuse. J’aime bien tout ce qui se passe musicalement partout dans le monde. J’aime bien m’en inspirer pour enrichir la culture guinéenne. Mon niveau, il est là, toujours dans la curiosité, dans la recherche de l’excellence. L’année prochaine, je prévois de faire un spectacle entre septembre et octobre intitulé : Si Conakry était une femme ! Dans ce spectacle, je compte rassembler des chansons marquantes faites ici du temps de Sékou Touré, de Lansana Conté, de Dadis Camara, d’Alpha Condé. Je suis en train de les répertorier. On sera dix filles sur scène à chanter ces chansons à notre façon avec notre propre langage. Il y a beaucoup de surprise dans ce spectacle à venir.
*Quelle est la place que vous réservez à la musique guinéenne dans ce « world music » que vous faites ?
J’aimerais que la Guinée reprenne sa place de leader d’antan. Elle peut le faire. Parce que, j’ai beaucoup voyagé. J’ai vu beaucoup de choses. Chaque fois que je reviens ici, je me dis : Mon Dieu ! Quelle mélodie musicale ! Qu’est-ce que c’est bon en Guinée! Ca ! Qu’on soit Guinéen ou pas, on le reconnaît. Ce qu’il faut pour les artistes guinéens, c’est qu’ils ne restent pas sur les acquis. Qu’ils se remettent en question. C’est vrai qu’on a du talent ! Mais talent ne suffit pas. Il faut aussi structurer, il faut savoir parler au monde. Malheureusement ? C’est ce qui nous manque un tout petit peu. Il faut que le Guinéen réapprenne à parler au monde comme nos aînés savaient le faire.
*Quels sont vos projets?
Pour l’instant, je me consacre totalement à l’Agence guinéenne de Spectacles. Je fais des spectacles. Ca fait partie de ma vie. En gardant mon pied toujours dans ce secteur, ca me permet de tirer justement les artistes qui sont ici et à les mettre dans le système.
*Vos souhaits ?
C’est de garder ma joie de vivre.