Pdci-Rda/Le passage de témoin aux jeunes générations, une idée reçue ?

  La tendance lourde qui a émergé dans la conjoncture sociopolitique ayant succédé l’éviction du PDCI-RDA du pouvoir en décembre 1999 par la force des armes, est une cascade de crises de succession, de légitimité, de participation, d’identité, etc., escortées par la violence, l’insécurité et des milliers de morts d’hommes. Cette tendance folle a affaibli considérablement nos Institutions et fait reculer nos maigres acquis démocratiques.

Une idée reçue, « fondée ou non est généralement admise sans qu’il soit nécessaire d’argumenter » (M.Godet). Par exemple : le passage de témoin à une nouvelle génération de jeunes sortira la Côte d’Ivoire des crises qui la secouent depuis fin 1999. Les acteurs politiques responsables au premier chef de notre sécurité individuelle et collective -une mission prioritaire pour tout Etat- sont impuissants à juguler ces crises devenues endémiques et systémiques, minées en plus par les racines de haine introduites dans leurs rapports.

C’est un paradoxe, sur une terre ivoirienne qui se voulait et se veut toujours d’Espérance, d’Hospitalité, de Dialogue, de Fraternité et de PAIX. Les Ivoiriens, fatigués d’être entraînés dans les eaux troubles du futur sans un minimum de préparation intellectuelle, éprouvent d’énormes difficultés à « décaper les cerveaux rouillés des habitudes de pensée » et gobent facilement tout ce qui leur est servi comme « idées neuves ».

« La société ivoirienne a évolué depuis la naissance du PDCI-RDA en 1946. On assiste aujourd’hui à l’accélération du changement dans la mouvance de la mondialisation et des réseaux sociaux qui imposent des ruptures »

Le pilotage du système politique en Côte d’Ivoire dans cet épisode de turbulences et d’incertitudes qui n’en finit pas, est assumé par le RHDP des mandatures 2011-2015, 2016-2020, et celle aujourd’hui contestée, du tronçon 2021-2025, marqué à son entame par le projet de viol de notre Constitution, des affrontements interethniques et des scènes macabres inédites depuis le début de l’élaboration de notre jeune Nation. Le mentor du RHDP est tenu en échec par la complexité des problèmes qu’il avait pourtant promis de résoudre au lendemain de la crise postélectorale 2010-2011. Nous cherchons toujours la réconciliation depuis cette date.

    Tel est le décor dans lequel le RHDP dit « Unifié » a embouché la trompette du rajeunissement des acteurs centraux de pilotage de notre système politique comme clé de la résolution du problème de la construction de notre avenir commun. Est-ce vraiment la bonne question posée à la réalité pour sortir de l’impasse ?

La question du « rajeunissement » de la classe gouvernante est pourtant aujourd’hui un thème de campagne à peine voilée qui alimente et focalise déjà le discours des « Unifiés » pour 2025, mais aussi des autres partis politiques significatifs qui sont entrés dans le jeu comme s’ils s’alignaient sur le mentor du RHDP qui perçoit ce rajeunissement comme une ardente obligation pour toutes les formations politiques appelées à nous gouverner demain.

Raison pour laquelle ce dernier se verrait dans un autre « cas de force majeure » pour briguer une quatrième candidature en 2025. Ce discours est repris depuis un certain meeting à Katiola où il déclarait : « …si les gens de ma génération se présentent, je me présente… ». Mamadou Touré, membre influent du comité directeur du RHDP en a même fait un refrain : « … Le président Ouattara veut passer la main à une nouvelle génération. Mais si l’un de ses anciens adversaires se présente, il sera lui aussi candidat en 2025. Nous les jeunes, nous lui demandons cela ». On assiste à une bataille pour voir qui rajeunira le plus son Parti en occultant les vrais problèmes de la Nation. Les « jeunes » au RHDP Unifié sont ainsi empêtrés dans un discours contradictoire entre vouloir à la fois un « jeune » à la tête de leur formation et un « vieux » si…

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Mais pourquoi diantre a-t-on abrogé la clause de la limitation d’âge de la seconde république pour permettre à des centenaires d’être éligibles à la présidence alors que l’on prône le rajeunissement de la classe politique ?

Le son de cloche des « Unifiés » contraste avec celui de Jean-Louis Billon plus cohérent entendu à Damé, le 14 août 2021: « … le PDCI sera prêt en 2025 à reprendre les rênes du pouvoir avec une nouvelle génération de cadres, de dirigeants, et un tout nouveau logiciel de gouvernance… ». Le point de vue de Billon plus cohérent singularise le PDCI comme une formation politique plus ouverte au discours pluriel contrairement au RHDP, en même temps qu’on assiste   curieusement à une levée de boucliers, au PDCI, des inconditionnels de la « discipline du Parti » et des « candidats naturels » à la présidence, une modalité immuable dans le choix de ses candidats pour le Doyen des formations politiques ivoiriennes.

L’acharnement du RHDP à vouloir imposer aux Ivoiriens un modèle uniforme parmi les critères de choix des candidats aux présidentielles, nous paraît incongrue. Cette « volonté » de rajeunissement des générations prend progressivement l’allure d’un nouveau courant de pensée en politique qui, poussé à l’extrême, pourrait être qualifiée de mouvement vers le « JEUNISME », une « fraîcheur » qui signifie tout simplement qu’il faut bousculer les vieilles gardes de nos Partis vers la périphérie, sinon vers l’extérieur au profit des jeunes générations.

Ici se posent deux questions qui nous paraissent cruciales face aux réalités et enjeux du jeu politique, relativement à l’âge dans ses liens avec la gouvernance d’un système politique.1°) Y a-t-il un âge ou une classe d’âge plus productive que les autres pour gouverner un Etat moderne ?2°) En quoi le changement de génération garantit-il a priori, une gouvernance plus performante dans l’organisation et la gestion des sociétés africaines -et pas seulement en Côte d’Ivoire- en matière de créativité et d’innovation ?

L’âge et la productivité de l’être humain

Le journal de médecine de la Nouvelle Angleterre, dans l’Est des Etats-Unis d’Amérique, apporte les éclairages suivants d’un collectif de médecins et de psychologues à propos de l’âge le plus productif de l’être humain. C’est dans l’intervalle 60-80 ans que l’être humain serait à son apogée. A preuve, l’âge moyen des prix Nobel serait 62 ans. Celui des dirigeants des cent plus grandes entreprises au monde serait 63 ans ; et l’âge moyen des pasteurs des cent plus grandes églises aux Etats-Unis serait 71 ans.

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« Au PDCI-RDA où l’on entend différents sons de cloche relativement aux problématiques de la succession et du passage du témoin entre générations, le président Bédié a anticipé en lançant des séminaires éclatés pour redynamiser le parti après 75 ans de candidatures naturelles dans une stricte discipline du Parti ».

L’âge de 60 ans correspondrait au meilleur niveau, au Top du potentiel émotionnel et mental. Et de conclure : entre 60 et 80 ans, on doit porter fièrement son âge. Nous pourrions ajouter qu’au-delà, on devrait sagement prendre conscience de la finitude de l’existence et de tout pouvoir et prendre modestement son repos, sa retraite surtout en politique.

Les leçons d’une société traditionnelle ivoirienne du référent précolonial

Je me suis évertué à faire un parallèle entre ce qui précède et la démocratie des classes d’âge dans une de nos sociétés traditionnelles : celle de l’Odjoukrou -improprement désigné Adioukrou- « une société sans Etat et à classes d’âges » selon le célèbre anthropologue ivoirien Harris Memel-Fotê. Dans le système politique de cette ethnie, la classe d’âge des gouvernants ou « èb-ébou » se situe entre 60 et 70 ans, sur une période strictement limitée à 8 ans et non renouvelable. Entre 70 et 80 ans, tout citoyen Odjoukrou devient un « Lèl-ès », entendre un sachant, un sage, qui conseille les gouvernants, sur une période elle aussi strictement limitée à 8 ans. Mais la classe d’âge des 50-60 ans, celle de l’antichambre du pouvoir, est-elle aussi conseillère des gouvernants.

C’est elle, les « Adjrofi » ou « èb-èrn », qui dirige les débats dans les assemblées du village. Débats auxquels participe tout citoyen ou « èb-iye » initié entre 20 et 25 ans-lors de la cérémonie du « Löw » -, et qui devient de plein droit un citoyen pour se prononcer sur le devenir de sa société. Les femmes appartenant à toutes ces classes d’âges impliquées dans le jeu démocratique de la prise de décision pour gouverner la cité, sont malheureusement exclues de toute responsabilité politique.

 Par ailleurs enfin, tout citoyen qui n’a pas célébré « l’angbandji » qui lui permet de figurer dans la hiérarchie des « hommes riches » du village, n’est pas non plus éligible au pouvoir dans l’Odjoukrou. Il ne peut être de ce chef un « èb-ébou », un gouvernant. De fait, on ne concevait pas dans la société odjoukrou précoloniale qu’un pauvre -un « gborou » – pût gouverner. Il y a une suspicion légitime qu’il soit un détourneur potentiel des biens publics.

Cette brève parenthèse révèle des coïncidences frappantes avec celle du journal de médecine de la Nouvelle Angleterre aux Etats-Unis : l’intervalle des 60-80 ans de l’existence dans l’Odjourou, correspond au meilleur niveau de la vie, au Top du potentiel émotionnel et mental pour exercer des responsabilités selon le collectif des médecins et psychologues américains. Ceux qui ont pensé le système politique de l’Odjoukrou n’ont jamais lu ni Aristote, ni Platon, ni Voltaire, ni Montesquieu, etc. L’on est irrévocablement exclu de l’exercice du pouvoir dans Lodjoukrou traditionnel du référent précolonial au-delà de 80 ans !

Le PDCI-RDA n’est pas un Parti figé

Au PDCI-RDA où l’on entend différents sons de cloche relativement aux problématiques de la succession et du passage du témoin entre générations, le président Bédié a anticipé en lançant des séminaires éclatés pour redynamiser le parti après 75 ans de candidatures naturelles dans une stricte discipline du Parti. Que nous réserve ce germe de changement de la consultation de la base qui a eu lieu effectivement face aux problématiques du passage de témoin qui transparaissent dans les 19 thèmes de réflexion soumis aux séminaristes ?

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La société ivoirienne a évolué depuis la naissance du PDCI-RDA en 1946. On assiste aujourd’hui à l’accélération du changement dans la mouvance de la mondialisation et des réseaux sociaux qui imposent des ruptures, des bifurcations et autres adaptations indispensables à toute formation politique désireuse de ne pas stagner avec un discours rigide sur des changements qui ne changent rien, pratiques auxquelles nous sommes habitués en Afrique Noire depuis nos indépendances. Cette remarque reste valable pour le PDCI-RDA dans la dynamique de sa marche vers 2046, cap de son centenaire.

Pour conclure, les sons de cloche entendus çà et là au PDCI dans la perspective des élections de 2025 doivent être acceptés sans états d’âme comme des indicateurs de dynamisme du Doyen des partis politiques ivoiriens. Le PDCI sait, à l’aune de son expérience septuagénaire du terrain, que la prospective politique est un vaste domaine de liberté, et aussi quelquefois « d’indiscipline intellectuelle », mais dans la rigueur (M.Godet).

Les indisciplinés dans la rigueur ont changé bien souvent la face du monde dans l’histoire de l’humanité ; et il ne faut pas en avoir peur et vouer ceux du PDCI-RDA aux gémonies. Le PDCI-RDA n’ignore pas également que le regard sur le futur est un domaine de créativité et d’innovation où il n’y a pas de limite d’âge ; un domaine de confrontation des idées et des contradictions dont on ne devrait pas avoir peur après 75 ans de vie politique.

Le président Bédié en est pleinement conscient et convaincu ; il ne sera pas un obstacle au changement face aux aspirations raisonnables et réalistes de ses militants de base. -Lire sa préface dans l’étude prospective Côte d’Ivoire 2025-.

Le PDCI-RDA est un Parti qui peut se permettre, en Côte d’Ivoire, de plier sans rompre après les vaines menaces de liquidation et face aux incertitudes du futur pour avancer. Il peut se targuer d’être, à son âge, un Parti Démocratique avec le discours pluriel de ses militants. Des mutations encourageantes sont lentement en cours dans la culture démocratique de ses militants et il ne faut pas être plus pressé que le temps.

Il a vocation à être le Parti le plus attractif pour les jeunes Ivoiriens au sortir de son prochain colloque avant le Congrès. Pourvu que soient comprises, validées et effectivement prises en compte les aspirations et propositions de la base -qui n’est pas mono générationnelle- pour un changement qui innove.

Pr KOBI Assa Théophile, un octogénaire du Comité des Sages du PDCI-RDA