Musique/Le Roi de l’afrobeat, Fela Anikulapo Kuti remis en selle…
Ce n’est pas tous les jours qu’on photographie un génie en petite culotte, un homme –qui a révolutionné la musique. L’Anthropologue, photographe, journaliste, collectionneur d’art, Jean-Jacques Mandel a rencontré Fela (1938-1997), l’inventeur de l’afrobeat, Fela Anikulapo Kuti en 1974 à Lagos.
Qu’est-ce qui vous emmène à Lagos en 1975 ?
J’allais en Afrique depuis 1971 avec deux vies parallèles. J’ai fait une maîtrise de psychologie sociale expérimentale sur les plongeurs des chantiers offshores qui m’a emmené au Gabon et au Congo. Je voulais aussi faire une thèse sur la boucle du Niger et j’allais régulièrement dans la région de Mopti, où je ne faisais plusieurs photos avec les musiciens au Mali, la bande de Salif Keïta, le Super Rail Band de la gare de Bamako. – En 1973, j’ai eu mon premier travail à Marseille comme psychosociologue dans un centre pour l’enfance inadaptée. C’était alors le Marseille de la French Connection, une ville très particulière où remontaient beaucoup de choses d’Afrique.
Un jour, une de mes connaissances, m’informe qu’il revient du Nigeria et d’aventure cela me plaisait d’y aller, de passer voir Fela. Malheureusement je ne voyais vraiment pas trop de qui il s’agit mais, début 1974, je me retrouve au Mali pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et là, c’est déjà la folie.
Tout le monde à Bamako parle de Fela, tout en fredonnant le morceau « Lady, Shakara » … Et de retour à Marseille, alors que je prépare l’exposition d’un travail sur l’environnement et l’enfant avec des milliers de dessins récoltés de la boucle du Niger à la Casamance, j’apprends que s’organise à Lagos le deuxième Festival mondial des arts nègres, qui est alors prévu en 1975.
Je me dis qu’il faut qu’on fasse quelque chose et je crée l’association Lagos 75 pour qu’on organise des charters afin que les gens aillent au festival et découvrent le Nigeria. On met donc la voiture sur le cargo jusqu’à Dakar, et puis en route pour Lagos pour obtenir toutes les autorisations.
Comment s’est-elle faite la première rencontre avec Fela ?
C’était début 1975. J’étais avec ma première femme à Lagos et un soir on part pour le quartier de Suruléré, où se trouvait le Shrine – son club. Là, il ne se passe rien avant minuit. Le concert de Fela commence et pendant l’entracte, un gars vient me chercher pour me dire que Fela veut nous parler.
On se retrouve dans un couloir et là, il nous demande l’objet de notre présence à cet endroit et je lui réponds que je suis venu pour une interview et finalement, après avoir dit à tout le monde de nous protéger, il nous donne rendez-vous le lendemain. Quand on se retrouve chez lui à Kalakuta, je lui explique que je veux le faire connaître en France et en fin d’après-midi, alors que la nuit commence à tomber, – il commence ses répétitions.
Quel genre de personne était-il, Fela, à cette époque ?
En 1975, on est au Nigeria dans l’après-guerre du Biafra. C’est le pays pétrolier qui affiche sa victoire sur les indépendantistes igbos. Le ministre du pétrole est appelé Monsieur 5 % – de commission. L’argent s’affiche partout. Fela, lui, était déjà un poil à gratter, fils et petit-fils de militantes. Il injurie en permanence le gouvernement, qui ne le ménage pas.
Il a déjà eu la jambe cassée en prison. Il est le chef de Kalakuta – la république qu’il a fondée –, où tout le monde a sa fonction. Celui qui fait les courses, celui qui conduit la voiture, celui qui roule les joints. Et deux ruelles derrière, il y a l’hôpital tenu par son frère, qui faisait des consultations gratuites pour les très pauvres. A cette époque, Fela était à la fois un chef de quartier et une rockstar.
Comment sa musique a-t-elle été reçue en France dans les années 1970 ?
Ce qu’il faut dire, c’est qu’à cette époque, dans toutes les capitales d’Afrique francophone, il y avait des joutes entre les orchestres à qui jouera le mieux Shakara ou Lady. Sa musique est arrivée en France par les foyers de travailleurs immigrés. L’album dont j’ai fait la photo pour EMI est sorti en France en 1977, mais il était déjà écouté dans tous les foyers.
Source : lemonde.fr