Elections générales /Les gouvernements sont-ils à la base des crises économiques ?

Les élections peuvent avoir des effets économiques variés, allant de l’instabilité, à court terme à des échanges structurels à long terme. Les conséquences dépendent des politiques mises en œuvre par certains dirigeants et de la manière dont les acteurs réagissent à ces échanges. Le Professeur Séraphin Prao Yao situe, dans cette première partie de son entretien avec le confrère , les responsabilités des gouvernements dans les crises économiques des pays.

En votre qualité de Maitre de Conférence en Economie et Enseignant Chercheur, la Côte d’Ivoire amorce un virage vers une année électorale. Dans quelles mesures pensez-vous qu’elle peut influencer la stabilité économique ?

L’économiste Nordhaus (1975) a été le premier à décrire un cycle conjoncturel politique au moyen d’un modèle formel. Selon son hypothèse. Les gouvernements veulent obtenir le meilleur score possible lors d’un prochain scrutin, ils tiennent à ce que l’économie soit en pleine forme durant les années électorales. Ils ont donc tendance à influencer la conjoncture de telle manière que les taux de chômage et le renchérissement soient faibles à la veille d’un scrutin.  Une fois élus, ils s’efforcent d’abord d’augmenter le taux de chômage, afin de réduire l’inflation.

Ensuite, ils le font de nouveau régresser jusqu’à l’échéance électorale. Ainsi, ce n’est pas seulement le chômage qui atteint un niveau très bas au moment de se rendre aux urnes, mais également le taux d’inflation, et cela peut se répéter d’une législature à l’autre.

Selon Séraphin Prao « Les économistes ont démontré que des politiques erratiques en matière de fiscalité et de dépenses publiques étaient préjudiciables à la croissance à long terme « .

C’est pourquoi on parle de fluctuations conjoncturelles d’origine politique. Dès lors, les cycles politiques peuvent avoir un impact sur la stabilité économique en créant des périodes d’expansion suivies de récessions.

Des politiques économiques instables ou perçues comme étant influencées par des considérations politiques peuvent entraîner une perte de confiance des investisseurs et des citoyens, ce qui peut nuire à la croissance économique à long terme, et de façon pratique, les élections peuvent avoir plusieurs effets sur l’économie d’un pays.

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A votre avis, pensez-vous que les élections peuvent-elles augmenter les dépenses publiques de l’Etat 

Les économistes ont démontré que des politiques erratiques en matière de fiscalité et de dépenses publiques étaient préjudiciables à la croissance à long terme et au bien-être global d’une société. Les élections peuvent, en effet être l’une des sources de volatilité de la politique économique, en s’efforçant d’être réélus, les sortants peuvent en manipuler les instruments.

Entre autres choses, ils augmentent les dépenses publiques et provoquent des déficits budgétaires dans le but de stimuler la demande globale et de créer des emplois (même temporairement), améliorant ainsi leurs chances d’être élus.

Oui c’est vrai, mais pensez-vous que les élections peuvent-elles compromettre la croissance à long terme ?

Les excès préélectoraux peuvent être suivis d’un réveil difficile, les gouvernements doivent souvent adopter des plans d’austérité pour compenser leur prodigalité préélectorale. Ce cycle expansion–récession d’origine politique risque de nuire à la croissance économique à long terme et à la stabilité.

Lors des élections précédentes, les dépenses courantes et les déficits ont augmenté, ensuite, pour reconstituer les amortisseurs qu’ils ont épuisés, les gouvernements diminuent les dépenses d’investissement et relèvent certains impôts. Mais il existe deux freins éventuels à la possibilité pour les sortants d’appliquer un programme budgétaire à motivation la politique en année électorale, notamment les règles budgétaires, qui fixent des objectifs clairs, et les programmes du FMI, qui en comprennent aussi. Nous avons constaté que tous deux atténuaient sensiblement le cycle budgétaire politique.

Les élections peuvent-elles rendre les économies en développement plus vulnérable à des évolutions négatives ?

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À cause de l’insuffisance des moyens institutionnels et de la transparence budgétaire, les sortants risquent davantage de se servir de cette politique budgétaire pour être réélus. A noter que tout en s’appuyant sur ces amortisseurs budgétaires, les pays à faible revenu rendent leur économie encore plus vulnérable à des évolutions négatives limitent leur capacité de réaction à des chocs externes tels qu’une variation soudaine des prix des produits de base.

Il est donc important de mieux comprendre les cycles budgétaires préélectoraux dans ces pays et de rechercher les moyens d’atténuer cette forme de volatilité.  Il y a également la période post-électorale, et là, nous avons remarqué que les gouvernements s’efforçaient d’augmenter sensiblement les rentrées fiscales après une élection, mais selon des modalités susceptibles de pénaliser l’économie.

En effet, en décomposant les recettes fiscales totales, les études montrent que, dans les pays à faible revenu, le produit des taxes sur les échanges (importations ou exportations) augmente après les élections, les gouvernements tentant de reconstituer leurs amortisseurs budgétaires entamés, et ce, bien que l’arrêt de la poussée préélectorale des dépenses fasse souvent baisser les importations.

Le recours aux taxes sur les échanges résulte sans doute de leur relative facilitée de recouvrement dans les pays à faible revenu, où il est souvent plus difficile que dans les pays avancés ou émergents de mobiliser des recettes, surtout des impôts intérieurs. Mais une hausse sensible des taxes sur les échanges peut affaiblir la compétitivité externe d’un pays et donc sa croissance économique à long terme.

Parlons toujours d’élections, pensez-vous qu’elles peuvent engendrer une instabilité financière ?

L’incertitude politique est l’un des facteurs qui influencent les marchés financiers lors des élections. Avant cers scrutins, les investisseurs peuvent adopter une attitude attentiste, ce qui entraîne souvent une baisse des volumes de transactions et une possible augmentation de la volatilité. Cette prudence s’explique par la difficulté à prédire les résultats électoraux et leurs conséquences économiques. Cela conduit donc à des mouvements de prix plus erratiques.

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 Avant les élections, cette situation est fréquente car les investisseurs attendent de voir le résultat avant de s’engager pleinement sur le marché. Par exemple, les élections présidentielles françaises de 2017 ont été marquées par une forte incertitude, en partie à cause de l’émergence de candidats non traditionnels comme Marine Le Pen. Durant cette période, l’indice CAC 40 a connu des fluctuations importantes, reflétant les craintes et les espoirs des investisseurs quant aux orientations économiques futures du pays. Notons que la bourse est le thermomètre le plus rapide quand survient un choc politique. Rien de plus simple que de vendre une action.

Les violences électorales affectent-elles- les agrégats macroéconomiques

Théoriquement, les violences électorales affectent négativement les agrégats macroéconomiques des pays. Les conflits violents réduisent les échanges commerciaux en perturbant les flux d’investissements directs étrangers, en augmentant les coûts commerciaux, en détruisant les infrastructures, en perturbant l’approvisionnement en pétrole et en réduisant l’accès aux activités et aux intrants agricoles.

Cependant, les effets des violences électorales varient d’un pays à l’autre, avec un impact négatif important surtout dans les pays enclavés. C’est pourquoi, il est bon de créer un climat paisible avant, pendant et après les élections. Dès lors, le besoin de paix et de sécurité semble être un facteur très important pour le développement économique durable des pays.

 Les pays africains devraient donner la priorité au maintien de la paix et de la sécurité dans la région, un pilier du développement durable. Cela nécessitera des faits concrets ambitieux, à la fois nationaux et régionaux, car l’effet de contagion de l’instabilité est plus élevé pour ceux qui sont en union monétaire.

Source : alertinfo

Prochainement, « Comment les incertitudes liées aux résultats des élections affectent-elles les décisions d’investissement et la confiance des entreprises et des consommateurs ? »