Côte d’Ivoire/Le quotidien difficile des Ivoiriens et l’espoir déçu de l’opération mains propres
Pr. Séraphin Prao*
Dans quelques jours, la Côte d’Ivoire va célébrer les soixante-deux (62) ans de son accession à la reconnaissance internationale. A cette occasion mémorable, il plaît au mouvement citoyen et politique dénommé « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » d’adresser au Président de la République Alassane Ouattara ces quelques mots pour apprécier avec lui la vie de la nation, ses problèmes et ses attentes. Afriquematin.net vous propose la première partie de cette analyse politico-socio-environnemento-économique.
Monsieur le Président,
Vous abattez un travail remarquable au niveau des infrastructures mais les travaux d’infrastructures sont confiés à un maître d’ouvrage qui a donné son satisfecit pour des travaux beaux à voir mais, dans certains cas, à durabilité approximative et, pourtant, facturés au prix de travaux de bonne qualité.
Monsieur le Président,
Un audit des travaux d’infrastructures en Côte d’Ivoire est nécessaire et que les routes qui en remplissent les conditions soient certifiés routes durables. Les investissements publics dans les infrastructures endettent le pays et, pour être rentables, les ouvrages doivent être durables.
L’usager à qui on applique les prélèvements parafiscaux du péage, parfois lourds pour ses poches, mérite des infrastructures routières à la hauteur de son sacrifice. Les Ivoiriens sont conscients que l’entretien des routes est une exigence pour leur durabilité mais beaucoup de voix s’élèvent pour que certains péages soient revus à la baisse et le peuple vous regarde.
Monsieur le Président,
Vous avez beaucoup fait pour la Côte d’Ivoire depuis que vous êtes au pouvoir. Ce ne serait pas honnête de ne pas le reconnaître. Mais, sous votre mandat toujours en cours, les riches en Côte d’Ivoire sont devenus plus riches et les pauvres se sont davantage appauvris. Ce n’est pas le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » qui le dit. C’est le rapport 2021 du Programme des Nations unies pour le développement qui l’affirme.
Monsieur le Président,
Les données macroéconomiques sont au vert mais les clignotants microéconomiques signalent la détresse sociale. Les ivoiriens sont étranglés par la cherté de la vie mais ils voient que, dans les cercles proches du pouvoir, l’embonpoint est un état partagé. Vous avez même été obligé de taper du poing sur la table devant des faits de malversations avérées. Des audits ont été commandités dans certaines sociétés publiques.
Des malversations y ont été découvertes. Des responsables ont été relevés de leurs fonctions. Mais, au lieu de prendre la route de la prison, les ivoiriens sont surpris de voir certains parmi eux profiter tranquillement chez eux des fonds détournés. Il n’y a pas eu de suite judiciaire à l’opération mains propres déclenchée, pourtant, tambour battant.
Certaines mauvaises langues n’ont pas hésité à souligner que cette opération a été initiée sous la pression des partenaires économiques de la Côte d’Ivoire et qu’il s’agissait, en réalité, d’un miroir aux alouettes destiné à charmer ces derniers qui demandaient une meilleure gouvernance dans la gestion des fonds publics.
La situation des prisonniers de la crise post-électorale et le dialogue du triumvirat
Monsieur le Président,
Depuis 2011, des militaires ivoiriens croupissent en prison. La commission d’enquête que le gouvernement a mis en place pour identifier les crimes commis entre 2010 et 2011, pendant la crise post-électorale, a dénombré 727 décès imputés aux Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) qui vous ont soutenu et, 1452 aux forces restées fidèles au président Laurent Gbagbo.
Pour le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire », ces militaires restés fidèles à l’ancien président ont déjà beaucoup payé pour leurs crimes. Il est temps, dans un élan de pardon national, qu’ils recouvrent la liberté. Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » aurait préféré une autre voie d’exorcisme national, dans la vérité publique sans tabou, les excuses et le pardon national par une amnistie et un compromis de justice restauratrice et non pas punitive pour fermer cette parenthèse douloureuse des crises pré- et post-électorales qui empoisonnent à répétition la vie nationale.
Mais, vous avez choisi une autre voie et, le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » respecte votre choix. Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » vous remercie pour le passeport octroyé au ministre Charles Blé Goudé. Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » vous demande aussi de faciliter son retour en Côte d’Ivoire.
Monsieur le Président,
N’oubliez pas votre fils, l’ancien président de l’Assemblée nationale Soro Guillaume. « L’oiseau ne se fâche jamais contre l’arbre » et « mon cœur est si rempli d’amour qu’il n’y a pas de place pour la moindre haine » aimait le dire le Président Félix Houphouët-Boigny, homme de paix et de dialogue, votre mentor et modèle.
Monsieur le Président,
Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » vous invite à marcher dans les pas de votre modèle dont la dénomination de votre parti porte si justement le nom et résume merveilleusement son action politique. L’objectif de Soro Guillaume n’était pas de vous blesser, encore moins de blesser la Côte d’Ivoire, sa patrie qu’il aime tant mais de continuer à vous servir et à servir la Côte d’Ivoire, riche de l’expérience acquise à vos côtés en prenant un peu d’indépendance pour faire honneur à son père et lui montrer que l’enfant a appris et est devenu un adulte. Dans la tradition africaine, c’est ainsi que l’enfant accède à la responsabilité aux yeux de la communauté villageoise mais avec l’exigence de continuer à respecter son père.
Monsieur le Président,
Les Ivoiriens vous ont vu vous retrouver avec vos prédécesseurs, le Président Henri Konan Bédié et le Président Laurent Gbagbo. Depuis des années, voire des décennies, les Ivoiriens vous voient vous retrouver régulièrement avec de larges sourires devant les caméras et appareils photographiques, des rires et des tapes très amicales.
Les Ivoiriens sont habitués à ces mises en scène théâtrales pour leur plus grand malheur puisqu’à quelques mois d’une nouvelle élection présidentielle, l’entente devient discorde, les rires deviennent des cris de colère et les tapes amicales, des pugilats par militants ou forces de maintien de l’ordre interposés sur le ring des conditions d’élections.
Monsieur le Président,
Les Ivoiriens sont fatigués de vos poses photoshopées pour donner l’impression qu’il n’y a pas le feu en la demeure alors que, sous la cendre, la braise est encore vive. Des enfants deviennent orphelins, des épouses veuves, des opérateurs économiques perdent tout à cause des élections, à cause des combats incessants entre trois frères, natifs ivoiriens, qui auraient pu vivre autrement leur fraternité dans la paix et l’entente.
Monsieur le Président,
Les ivoiriens ont peur de vos palabres. Tout le monde, les ivoiriens comme les partenaires de la Côte d’Ivoire, le pensent bas ; le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » vous le dit très haut. Et pourtant, les conditions d’élections crédibles, transparentes et ouvertes ne devraient poser de problème à aucun vrai démocrate qui croit aux vertus du suffrage universel.
Pourquoi chercher, avant même le début de la course, à être déjà sur la ligne d’arriver alors que les autres concurrents sont sur la ligne de départ ? C’est ce qui entraîne les modifications en sa faveur de la loi électorale, du découpage électoral et de la constitution avec les « et », « ou » et autres formules à interprétations multiples utilisés pour inoculer le venin de la discorde, de la division et de la violence dans le corps sociétal ivoirien.
Monsieur le Président,
Les Ivoiriens vous regardent et voient qu’il n’y a point de sincérité dans ce jeu politique. On a souri devant les caméras mais on a tordu le bras au président Henri Konan Bédié. On a souri devant les caméras mais on a tordu le bras au président Laurent Gbagbo. On sourit encore devant les caméras. Vous tordra-t-on aussi le bras ?
Cela n’est pas souhaitable et peut bien être évité. Une réconciliation dite nationale mais avec des agendas cachés liés à la problématique de la conquête ou de la conservation du pouvoir n’en est pas une. Elle condamne à répéter les mêmes erreurs du passé et à revivre les mêmes situations. Ce jeu politique où la ruse est intelligence, la dissimulation des intentions réelles, sagesse et le dialogue, trompeur n’aide pas à construire une Côte d’Ivoire de paix et des valeurs ni pour les générations actuelles ni pour les générations futures.
Monsieur le Président,
Nelson Mandela et Frederik de Klerk ne se sont pas contentés d’être tout sourire devant les caméras et les flashs des appareils photographiques. Leur dialogue n’a pas été trompeur. Ils ont apporté la paix et la réconciliation vraie, sans hypocrisie, aux Sud-africains. Dire une chose devant les caméras pour contenter l’opinion publique et faire autre chose hors micro en ne respectant pas les engagements pris, voilà le problème fondamental de la Côte d’Ivoire qui nous condamne à revivre constamment le mythe de Sisyphe.
Et pourtant, par cette ruse, on ne fait que créer les meilleures conditions pour des crises pré- et post-électorales dévastatrices pour les familles, pour les particuliers, les entreprises et les finances publiques puisqu’après les morts d’hommes, après les traumatismes et après les destructions, il faut bien apporter l’assistance de la nation aux victimes, reconstruire ou réparer ce qui a été endommagé.
Et pourtant, cet argent que l’Etat, les particuliers et les entreprises ont, chaque fois, dépensé en 1995, en 2002, de 2010 à 2011 et en 2020 aurait pu servir à d’autres besoins. Nous sommes en permanence dans la reconstruction post-crise. Nous bâtissons collectivement, avec nos efforts et au prix de nombreux sacrifices (politique fiscale, endettement, etc.) la maison ivoire pour, ensuite, la démolir à chaque élection présidentielle.
Nous devons en finir avec ce schéma macabre qui fait couler le sang des innocents qu’on enjambe, ensuite, pour continuer le chemin du pouvoir comme si de rien n’était. Nous devons apprendre de nos erreurs passées. Celui qui n’apprend pas de ses erreurs passées est condamné à les revivre.
Monsieur le Président,
Cette fois, nous vous conjurons de vous entendre, vous dits « les trois grands », les trois référents principaux de la politique ivoirienne, pour éviter à la Côte d’ivoire de nouvelles effusions de sang, des têtes tranchées transformées en ballon de football, des biens détruits ou brûlés, des routes barrées, des odeurs âcres de lacrymogènes, à la présidentielle de 2025 que, déjà en 2024, les ivoiriens vont commencer à redouter avec effroi comme une répétition de 1995, de 2000, de 2010 et de 2020.
Monsieur le Président,
L’Amérique latine a réglé ses problèmes d’élections. Aujourd’hui, l’alternance y est naturelle et les peuples se concentrent sur leurs vrais problèmes de développement. Il est temps, pour l’Afrique, d’en faire autant. Il est temps de nous inventer notre voie, même s’il le faut, contre la volonté de nos maîtres d’hier qui voudront nous choisir nos dirigeants afin de nous maintenir dans les fers et mieux confisquer nos ressources qu’ils assimilent malheureusement à leurs réserves stratégiques.
La désespérance sociale et la dégénérescence programmée de la société ivoirienne
Monsieur le Président,
La société ivoirienne se meurt pendant que la classe politique, après tant d’années de retour au multipartisme, continue de se battre pour des conditions d’élections justes, transparentes et crédibles qui auraient dû être des questions réglées depuis fort longtemps pour que les efforts nationaux soient consacrés à la synergie dialectique des énergies afin d’offrir plus d’espérance aux jeunes, aux étudiants, aux femmes, aux travailleurs, aux hommes d’affaires nationaux. Les valeurs de travail, de discipline, de probité, aujourd’hui, sonnent creux dans la société ivoirienne. C’est leur contraire qui est plutôt observé avec entrain.
Monsieur le Président,
La société ivoirienne est une société en dégénérescence. Une société sans valeur est une société condamnée à la ruine, au déclin. Le mal physique, on peut le soigner en peu de temps. Mais, pour la perte des valeurs, il faut des générations pour qu’une société se relève. L’abime n’est pas encore atteint mais nous n’en sommes peut-être pas loin.
Il ne tient, cependant, qu’à nous de nous réveiller ou de laisser notre société aller à vau-l’eau. Il ne tient qu’à ceux qui tiennent le gouvernail du navire ivoire de le faire accoster sur des berges de valeurs ou sur une île aux pirates où seul compte tout ce qui est antivaleur.
Président du Mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire »*.
A suivre…
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