Coronavirus/L’Afrique subira une grande crise économique
La crise sanitaire mondiale liée au coronavirus s’accompagne d’ores et déjà de graves conséquences économiques. Marquée par la chute des exportations de matières premières comme le pétrole, la crise pourrait entraîner en Afrique, une récession semblable à celle de 2008 à laquelle le continent avait pourtant échappé. L’économiste franco-béninois Lionel Zinsou porte un regard sur cette situation de crise sanitaire.
Quelles conséquences économiques du Covid-19 sur le continent ?
L’impact macro-économique le plus fort pour l’Afrique sera la chute des exportations des matières premières. Les pays africains sont dépendants des matières premières minérales d’une façon très significative. Le pétrole par exemple représente une partie considérable du produit intérieur brut pour une quinzaine de pays.
Quand le prix du baril fluctue entre 22 et 30 dollars et quand les répercussions sont très fortes sur le cuivre, le fer ou la bauxite, vous avez forcément une crise qui va entraîner une récession dans beaucoup de pays. Elle va créer des problèmes très significatifs de budget et de capacité d’importer pour assurer la sécurité alimentaire, l’électricité.
Quelles sont les secteurs d’activités qui sont les plus touchées ?
Par exemple, au Nigéria, les hydrocarbures représentent 20 % du PIB mais près de 90 % des recettes fiscales et des ressources de devises (donc d’exportations). À 26 dollars le baril, le pays n’aurait plus de devises. Mais il y aussi la RD Congo, l’Angola, l’Algérie. Même les économies les moins dépendantes de matières premières ne pourront pas rester prospères alors que leurs principaux marchés de proximité sont en récession. Toute l’Afrique sera donc impactée.
Les activités des ports et des aéroports sont touchés, le continent est affecté par le ralentissement de la demande chinoise et européenne, ses principaux clients. ll n’y a pas de pays qui puisse échapper à l’effet macro-économique de la pandémie. La récession sera bien plus grande que la crise économique de 2008 à laquelle l’Afrique avait échappé.
Quelles sont les secteurs économiques les plus exposés?
Les biens de consommation courante ou la production agricole résisteront un peu mieux parce que les ménages, les populations vont continuer de se nourrir et de faire les dépenses essentielles.
Les secteurs liés à la santé et à la télécommunication seront extrêmement sollicités. Dans les entreprises modernes, on se mettra au télétravail. On va beaucoup échanger des informations, les nouvelles des uns et des autres. Les volumes de trafic de télécommunications seront très importants.
En revanche, les secteurs de la logistique vont être très affectés dans les ports et les transports aériens. Le secteur du tourisme va être complètement bouleversé. Il n’y aura ni tourisme d’affaires – les liaisons aériennes étant suspendues –, ni tourisme de loisirs, qu’il soit domestique, régional, ou international. L’hôtellerie, la restauration qu’elle soit traditionnelle dans nos marchés, nos maquis [restaurant populaires en Afrique] ou nos palaces seront fortement impactées. Il y a des pays où cela représente plus de 10 % de la production nationale. Comme le Cap-Vert, les pays du Maghreb, l’Afrique du Sud et les pays d’Afrique de l’est.
Comment l’Afrique pourrait-elle alors amortir les chocs économiques à venir ?
Nous assistons déjà à une réponse des banques centrales et des gouvernements. La première banque centrale qui a mis en place un dispositif très tôt pour que le système productif et les entreprises ne s’effondrent pas, est celle du Rwanda. La banque centrale marocaine est aussi très active.
Ce matin la Banque centrale des États de l’Afrique de l’ouest (BCEAO) a mis en place un dispositif considérable en annonçant un plan de 1 400 milliards de francs CFA de financements supplémentaires des banques.
Ces dispositifs permettront de donner les moyens aux gouvernements de faire ce qui est nécessaire en matière d’équipements d’urgence au moment où leurs recettes budgétaires baissent de façon importante.
Ils aideront aussi à la liquidité des entreprises à un moment où elles vont perdre leurs chiffres d’affaires du fait de la baisse de la demande et de l’exportation. Ce sera un effort de longue haleine des États et du système financier, car selon moi, il faudra toute l’année 2021 pour que les entreprises africaines se rétablissent. Il est essentiel que le FMI et les partenaires du développement nous libère du carcan des déficits budgétaires.
Quel pourrait être le coût social d’un confinement total sachant que la majorité des populations exerce dans le secteur informel ?
On va avoir besoin d’un effort de solidarité exceptionnel dans nos pays. Puisque nous n’avons pas de mécanisme de solidarité social et institutionnel, il va falloir se reposer sur les solidarités familiales, villageoises. C’est pour cela qu’il faut prendre des mesures rapides.
Le confinement a un coût social élevé. Cela empêche beaucoup de gens de travailler, de se réunir, d’aller à la mosquée ou à l’église. Mais plus le confinement est précoce, plus il est efficace. On a tendance à attendre d’être dans l’état d’urgence pour prendre des mesures. Les pays comme le Maroc ou le Rwanda ont pris des mesures extrêmement précoces.
En Afrique, nous n’avons pas d’autres moyens pour le moment que la « distanciation sociale ». Cela semble être une mesure extrêmement préjudiciable, mais en fait c’est une mesure de sauvetage. Quand elle est prise tôt, on peut plus facilement faire barrage à la pandémie.
L’Afrique, selon moi, est en train de répondre assez vite à cette crise, par des mesures de prévention sanitaires et économiques. Nous n’avons pas le choix, tant les systèmes de santé et les entreprises sont fragiles. Cela demandera une unité nationale de chaque pays contre le virus. La solidarité (ancestrale) fera partie des remèdes.
Source : france24.com