Cherté de la vie, pression fiscale, l’Impôt minimum forfaitaire/ Le directeur général Ouattara Sié Abou clarifie tout
Par Yann Dominique N’guessan/afriquematin.net avec sercom
Invité à se prononcer sur la cherté de la vie, lors d’une émission d’une chaine de télévision ivoirienne, le 25 février 2022 dernier, le premier responsable des Impôts, Ouattara Sié Abou a éclairé également les Ivoiriens sur le rôle de la fiscalité dans les ménages et le rôle de l’annexe fiscale.
Monsieur le directeur général, les Ivoiriens donnent de la voix pour se plaindre d’une relative cherté de la vie. Comment réagissez-vous ?
…J’avoue que c’est une situation qui préoccupe tout le monde mais il faut peut-être savoir l’aborder. De ma position de Directeur général des impôts, lorsque j’ai écouté les récriminations de nos concitoyens, je pense qu’il y a un recadrage à faire concernant le lien qu’ils établissent entre l’impôt et la cherté de la vie.
La pression fiscale n’est-elle pas à la base de cette situation ?
… La Côte d’Ivoire a un des taux de pression fiscale les plus faibles de la zone Uemoa. La norme est fixée à 20%. En 2021, nous avons eu le taux de pression fiscale était de 12,4%. Donc, on ne peut pas parler de pression fiscale qui ait un impact sur le quotidien des Ivoiriens.
Maintenant, comment la fiscalité peut, à la limite, affecter le pouvoir d’achat ? Il faut distinguer deux types d’impôts. Il y a des impôts qui touchent à la consommation, c’est ceux-là qui impactent le panier de la ménagère, le portefeuille du citoyen et il y a les impôts à la charge des entreprises.
Les impôts à la charge des consommateurs que nous appelons les impôts indirects sont des impôts de consommation. Il s’agit essentiellement de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et des droits d’accises.
A ce niveau,-la Côte d’Ivoire a fait de gros efforts. Dans le cadre de la lutte contre la pauvreté, vous avez tout un pan de notre économie qui n’est pas fiscalisé. Au niveau du secteur agricole, vous ne trouverez pas de Tva sur la banane, sur le riz, sur la viande à certaines conditions.
…En ce qui concerne les produits vivriers, sont-ils défiscalisés ?
Ils sont défiscalisés et la seule chose qui pourrait entraîner une quelconque surenchère, c’est la Taxe sur la valeur ajoutée sinon ces produits sont exonérés. Les produits médicaux sont exonérés, les honoraires des médecins sont exonérés, la viande est exonérée, le poisson… il faudrait peut-être qu’on se mette d’accord sur la notion de vie chère.
…L’huile, les bouillons et la viande par endroit, sont-ils des produits qui sont concernés ?
Nous avons travaillé régulièrement avec les associations des consommateurs à chaque fois qu’elles en font la demande pour leur apporter la bonne information. Il n’y a pas de TVA sur la viande, sur le poisson parce que c’est la Taxe sur la valeur ajoutée qui est l’impôt à la charge du consommateur.
Or, ces biens dont on parle, ne supporte pas de TVA. Mieux, il y a certains produits qui étaient taxables au taux normal (18%) comme le lait, le sucre, les pattes alimentaires qui sont aujourd’hui à 9%. Vous n’en trouverez pas dans la sous-région. Le riz n’est pas taxé. Même les produits qui ne sont pas les produits de première nécessité : les cigarettes.
La Côte d’Ivoire a le taux de droit d’accises le plus faible, il suffit de franchir nos frontières, vous verrez que des paquets de cigarette sont taxés à 150%. En Côte d’Ivoire, nous sommes à un taux de taxation à 47%. Il y avait une taxe sur les produits cosmétiques à 50%. Au Sénégal, c’est 50% sur les produits cosmétiques et leurs dérivés. La Côte d’Ivoire est à 15% depuis l’entrée en vigueur de l’annexe fiscale 2022.
Les organisations de consommateurs estiment que l’Impôt minimum forfaitaire (IMF) est élevé. Cet IMF n’est-il pas la cause des augmentations ?
L’Impôt minimum forfaitaire (IMF) n’est pas un impôt sur la consommation. Donc, il ne peut pas être source d’inflation. C’est en fin d’exercice qu’on le paie et dans des conditions bien précises. Le minimum de perception, c’est trois millions. Vous avez des pays où l’IMF, c’est 30 millions.
Ce que nos concitoyens aussi ne disent pas c’est que de gros efforts ont été faits en termes de défiscalisation. Quand vous prenez l’impôt sur le bénéfice, puisqu’on aime comparer les choses, en France, le taux de l’impôt sur le bénéfice est de 33,33%. Nous, nous sommes à 25% en Côte d’Ivoire.
Au niveau de la TVA, nous avons un taux réduit de 9% qui s’applique aux pattes alimentaires parce qu’on se dit que les pâtes alimentaires sont des produits de première nécessité. L’Ivoirien moyen lorsqu’il n’a rien à manger et qu’il va dans un kiosque, il sait qu’il peut manger du spaghetti à 200, 300 F CFA. Le sucre, le lait, les soins médicaux, l’enseignement, c’est la même chose.
Tout ce qui est produit alimentaire est exonéré, donc, on ne peut pas imputer une quelconque inflation sur les biens de consommation à la fiscalité puisqu’il s’agit de biens qui ne sont pas fiscalisés.
Concernant l’annexe fiscale 2022, plus d’une vingtaine d’articles, dont une dizaine de dispositions sont élaborées. Qu’est-ce qui a fondamentalement changé au niveau de ces nouvelles mesures de cette annexe fiscale ?
D’abord, chaque annexe fiscale obéît à une logique, selon un cadrage. L’annexe fiscale 2022 a été élaborée en s’adossant sur le Plan national de développement (PND) du gouvernement 2021-2025, et ce plan comporte de gros enjeux, de gros défis auxquels le gouvernement est confronté qui est la lutte contre la pauvreté, la question de l’emploi des jeunes, la transformation structurelle de l’économie ivoirienne. C’est tout ça qui va faire de ce pays, un pays moderne.
En ce qui concerne les jeunes, tout un dispositif a été mis en place pour encourager les entreprises ivoiriennes à embaucher nos enfants, nos frères qui ont des diplômes et qui sont sans emploi. Il existe un crédit d’impôt. Le crédit d’impôt dit en substance que chaque fois que vous embauchez un jeune Ivoirien, vous avez un montant considérable sur votre impôt sur le bénéfice.
Le gouvernement veut arriver à une transformation structurelle de l’économie qui fera en sorte que nous puissions transformer sur place une bonne partie de nos productions. Aujourd’hui, nous sommes obligés de vendre à l’export, de brader parce que ce n’est pas la valeur de l’effort du paysan ivoirien. La transformation structurelle de l’économie peut nous permettre d’avoir de la valeur ajoutée, de créer de la richesse. C’est en créant de la richesse qu’on lutte contre la pauvreté.
Monsieur le directeur général, selon vous, la raison de la flambée des prix ne relève pas de la fiscalité, alors d’où viennent ces augmentations ?
Nous devons rechercher tous ensemble les raisons mais elles ne sont pas fiscales. Parcourez certains marchés de la ville d’Abidjan, qu’on vous montre une femme à qui on a facturé la TVA sur le poisson, sur la viande ou sur le manioc. Peut-être qu’il faut regarder ailleurs. Est-ce que ce sont les coûts de facteurs qui influencent les prix à la consommation ? Je ne suis pas un spécialiste en matière macroéconomique mais je sais que les coûts de facteurs peuvent influencer les prix qui peuvent avoir des origines diverses.
Qu’entend-on par « les coûts de facteurs » ?
Par exemple, si je dois transporter un chargement de banane d’une ville de l’intérieur du pays vers Abidjan et que je n’ai pas de bonnes routes, il y a forcément que je perds une partie de la cargaison parce qu’elle est pourrie, naturellement j’essaie de rentrer dans mes fonds en augmentant les prix du peu qui reste. Mais, il peut avoir également des facteurs extérieurs. L’analyse de tous ces éléments devrait nous permettre de savoir à peu près quelle est l’incidence sur les prix à la consommation. Mais, en tout état de cause, je le réaffirme, pour ce qui est des biens de consommation, ce n’est pas la fiscalité qui est « coupable ».
Monsieur le directeur général, la pression fiscale ne pousse-t-elle pas de jeunes entrepreneurs locaux à se tourner vers l’informel ?
La question de la pression fiscale, n’est pas- le bon exemple. En Côte d’Ivoire, on a le taux relativement le plus bas alors que nous faisons pratiquement plus du tiers de la richesse de l’Uémoa. D’après les statistiques, la Côte d’Ivoire à elle seule fait – 40% du Pib de l’Uémoa.
Nous avons un taux de pression fiscale de 12%, donc, ce n’est pas la pression fiscale. Il y a tout un travail de sensibilisation qu’il faut faire parce que nos parents n’ont pas cette culture fiscale et il faut que nous parvenions à la leur inculquer.
L’ une de nos ambitions, c’est d’amener les Ivoiriens à payer leurs impôts avec le sourire. En termes d’avantages, nous avons l’un des codes des investissements, le plus attractif de la Cédéao.
Quels sont les avantages pratiques que réserve la Direction générale des Impôts à un jeune Ivoirien ayant un projet d’entrepreneuriat ?
D’abord, il faut qu’il fasse une demande d’agrément auprès du Cépici. Dans l’arrêté d’agrément, il a tous les avantages. Il n’a pas besoin du Directeur général des Impôts pour faire valoir ses avantages. Le Directeur général et ses services n’ont qu’à appliquer les avantages qui lui ont été accordés par un arrêté interministériel signé par le Ministre du Budget et du Portefeuille de l’Etat et le Ministre en charge de la Promotion de l’Investissement.
Ces avantages vont de cinq (5) à quinze (15) ans selon la zone d’implantation du projet. Pour la zone A qui est le Grand Abidjan, vous avez cinq (5) ans, pour la zone B, dix (10) ans et pour la zone C, quinze (15) ans. Et c’est quinze (15) ans d’exonération de patente, quinze (15) ans d’exonération d’impôt sur le bénéfice, et quinze (15) ans d’exonération d’impôt foncier…
S’agissant de la cherté de la vie, l’Administration fiscale peut-elle consentir des sacrifices en abandonnant certaines taxes ?
Malheureusement, -ce n’est pas de mon pouvoir, la loi est votée par le Parlement et elle s’applique. S’il y a des exonérations ou des allègements à accorder, il faut encore solliciter le Parlement. C’est ce qui a été fait en 2020 et en 2021 pour permettre aux Ivoiriens, personnes physiques et également aux entreprises ivoiriennes, de faire face à la pandémie du Covid-19.
Le Président de la République a dû intervenir par voie d’ordonnance pour suspendre la perception de certains impôts et – différer le paiement d’une autre catégorie d’impôt. Et cette ordonnance tient lieu de loi. Elle a été ratifiée à la fin de l’année. Donc, s’il y a des mesures d’exonérations exceptionnelles, je crois qu’il faut que les différentes faîtières puissent saisir les autorités compétentes afin que la procédure législative qui sied en la matière soit engagée.
Pouvez-vous nous indiquer le niveau de progression de l’assiette fiscale ?
L’assiette fiscale a progressé de façon significative tant en nombre de contribuables qu’en termes de recettes. En 2016, l’impôt foncier rapportait 64 milliards de F CFA. En 2021, on a fait 131 milliards de F CFA. En termes de progression des recettes, l’année 2021, l’objectif qui était assigné à la Direction générale des Impôts était 2701 milliards de F CFA. Mais, au final, 2819 milliards de F CFA avec un excédent de 119 milliards de F CFA. Il y a de nouvelles niches à aller chercher. La Direction générale choisit une voie un peu originale. Il y a plusieurs façons d’augmenter la pression fiscale dans un pays…
On peut augmenter la pression fiscale en augmentant les taux d’imposition, en créant de nouveaux impôts, en combinant les deux. Mais la Côte d’Ivoire n’a pas fait ce choix, elle a fait le choix d’augmenter la pression fiscale par l’élargissement de l’assiette, c’est-à-dire faire en sorte que l’ensemble des opérateurs économiques qui exercent dans ce pays quel que soit leur activité paient l’impôt correspondant à leurs chiffres d’affaires.
Et les nouveaux outils, notamment la digitalisation dont nous nous sommes dotés visent à aller vers cet élargissement d’assiette. Plutôt que de relever les taux, de créer de nouveaux impôts, ce sont de nouveaux outils que nous sommes en train de mettre en place qui vont nous permettre de ratisser large et d’être à la hauteur des ambitions qu’en matière budgétaire, les autorités placent en nous.
L’outil de digitalisation mis en œuvre donne-t-il satisfaction ?
L’outil de digitalisation donne satisfaction mais il mérite d’être amélioré. C’est un outil dynamique parce que c’est une véritable base de données que nous sommes en train de faire derrière, un véritable data center.
Plus tard nous n’aurons plus besoin d’aller vous chercher dans un marché, du fait qu’on détient toutes les informations sur toutes vos activités, vos déplacements, vos opérations, avec qui vous traitez. Nous avons une application qui ne permet plus de faire la déduction de la TVA par un assujetti. Il y a un autre applicatif avec le cadastre. Retenez que nous avons cadastré tout le Grand Abidjan avec des appareils aériens qui permettent de prendre des vues en 3D. Sur toutes les treize communes, les informations sont en exploitation et très bientôt, nous aurons les résultats.
Ce travail se fait en collaboration avec un cabinet international coopté par la Banque mondiale qui a en charge de restituer à la Direction générale des Impôts le fruit de tous ces travaux-là et nous transférer en même temps la technologie. Il y a un bon vivier en matière d’impôt foncier tout comme en matière d’impôt professionnel. A cet effet, j’invite donc les opérateurs économiques et l’ensemble des contribuables à cultiver le civisme fiscal et à fréquenter régulièrement les centres des Impôts.