Appel des Africains pour s’enrôler dans l’armée ukrainienne/Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » s’insurge contre un tel message
Pr. Séraphin Prao*
Ce lundi 07 Mars marque le 13ème jour de guerre en Ukraine et le conflit continue de s’aggraver, en dépit des sanctions et négociations. Bien avant l’intensification des bombardements de la Russie, le président ukrainien Volodymyr Zelensky avait appelé toute personne qui est en mesure de se battre à rejoindre son pays. Cet appel fait à l’endroit des africains n’est pas passé auprès de quelques autorités. Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » trouve ahurissant ce message adressé aux Africains.
C’est ahuri que le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » a lu dans la presse l’appel d’une ambassade étrangère dans différents pays, notamment africains, à l’endroit de volontaires africains pour constituer, selon elle, une légion étrangère destinée à combattre aux côtés des forces ukrainiennes dans la guerre qui oppose l’Ukraine à la Fédération de Russie. Même s’il déplore la situation vécue par le peuple ukrainien attaqué sur son sol en violation du droit international, le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » trouve dangereux ces appels à se faire enrôler dans l’armée ukrainienne.
Pourquoi le monde est-il si sciemment amnésique ?
Le monde a-t-il oublié que les actes terroristes qui ont endeuillé l’Europe à partir de 2015 ont été perpétrés par de jeunes européens ayant combattu en Syrie aux côtés de l’Etat islamique aussi appelé Daesh ? L’intention de départ de ces combattants étrangers était d’aider leurs frères en Syrie.
Mais, revenus dans leurs pays d’origine, ils lui ont appliqué les techniques terroristes apprises en Syrie, posant ainsi d’énormes problèmes de sécurité nationale. Pourra-t-on maîtriser la trajectoire de ces candidats africains ou autres qui iront combattre en Ukraine ? Ne risquent-ils pas de faire l’objet d’endoctrinement par des groupes extrémistes ou mafieux ou autres, transnationaux, et être utilisés à leur retour pour changer dans leurs pays d’origine les régimes politiques ?
A-t-on oublié que c’est revenu d’Algérie où il a participé à la guerre en tant que soldat de l’armée coloniale que Gnassingbé Eyadéma a renversé Sylvanius Olympio ? Son exemple n’a-t-il pas fait école encore récemment en Afrique ? A-t-on oublié aussi que les rebelles touaregs qui ont permis aux terroristes djihadistes de prendre pied dans le nord du Mali et de déstabiliser ce pays sont d’anciens combattants de l’armée de Kadhafi ?
Avec ces appels à aller combattre auprès des troupes ukrainiennes et qui rappellent un modus operandi bien connu, n’assiste-t-on pas à une manœuvre fine de fabrique de combattants par des mains obscures pour déstabiliser des Etats ? A-t-on pensé à tout cela avant d’encourager les ressortissants européens comme africains à aller combattre en Ukraine aux côtés des forces ukrainiennes ? Il ne faut pas jouer avec le feu parce qu’il brûle.
Eu égard à cela, le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » trouve totalement irresponsable qu’un élu de la nation, en Côte d’Ivoire, déclare vouloir aller combattre en Ukraine si l’opportunité se présentait pour lui. Les attitudes ubuesques deviennent dénuées de tout bon sens lorsqu’elles ne s’appuient pas sur de solides connaissances historiques et géopolitiques et en prospective stratégique.
L’Afrique n’est pas en guerre et sa voie est celle de la paix par le dialogue
L’Afrique n’a déclaré la guerre à aucun Etat. Les opinions publiques sont, certes, libres mais le camp de l’Afrique politique est celui de la paix et du dialogue. De tous les continents, l’Afrique est le seul qui, pendant ces soixante dernières années, a été le terrain des luttes d’influence entre puissances qui lui ont imposé des objectifs stratégiques qui ne sont pas les siens, avec leurs manœuvres subtiles et parfois ouvertes d’attaques, seules ou par des coalitions sous mandats onusiens. L’Afrique comprend l’Ukraine et le désarroi de son peuple qui aurait demandé une application du paradigme mis en route pour les pays africains et arabes.
L’Afrique connaît bien les conséquences malheureuses de la guerre pendant laquelle l’humanité fuit l’humain. On sait quand elle commence mais on ne sait malheureusement jamais quand elle prend fin. La double voix paronymique de l’Afrique est celle de la paix, de la négociation et de la désescalade.
Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » est convaincu que la voix de l’entre-deux a peu de chance de porter ses fruits face à des machines de guerre prêtes à en découdre les unes avec les autres, ouvertement et subtilement, et que le monde ne sera prêt à écouter cette voix qu’après un bain de sang qui aura satisfait les appétits voraces des industries de l’armement.
Cependant, le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » tient à rappeler que, même s’il y a des coupables dans le déclenchement de la crise ukrainienne, la responsabilité de son aggravation est partagée, collective. Pourquoi faire la guerre, pourquoi encourager ou alimenter la guerre alors qu’il est plus facile de faire la paix en appelant sans ruse ni fourberie mais objectivement les parties en conflit autour de la table pour résoudre leurs contradictions par la négociation sans tabou.
La rationalisation de l’émotion est dangereuse pour le monde
Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » déplore la rationalisation de l’émotion qui se déploie sous les yeux du monde. Et pourtant, avec un peu de mémoire, l’on se souviendra que c’est ce qui a conduit à la deuxième guerre mondiale. Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » trouve dommage que le monde soit embarqué dans une rationalisation de l’émotion portée sur les ailes de la guerre d’influence dans un contexte d’endettements massifs, lesquels émotions, guerre d’influence et endettements massifs, avant la seconde guerre mondiale, s’appelaient ressentiment, sentiment de revanche, crise économique, expansionnisme impérialiste vorace et rapace.
Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » déplore aussi que l’écroulement des économies et des régimes et la faillite des Etats soient érigés, depuis un certain nombre d’années, en objectifs tactiques pour maintenir une domination sans partage.
Cette stratégie est militaire et fonctionne comme un rouleau compresseur destiné à broyer tout ennemi, à le faire abdiquer et à le pousser à signer sa reddition d’une manière populaire ou militaire. Elle est bien loin du caractère humanitaire et démocratique qui sert à sa justification et qui permet de la vendre par le marketing politico-diplomatique.
La pensée politique africaine a, ces dernières années, malheureusement, colonisé les relations internationales marquées par une démocratie vantée et vendue mais soutenue par la promotion de la pensée unique privative de libertés et de la dynamique dialectique.
La destruction des instruments de la coopération internationale : une arme de destruction massive
Le mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire » s’inquiète de la destruction systématique des instruments de la coopération internationale en représailles à l’annexion de l’Ukraine par la Fédération de Russie pour, selon elle, garantir sa sécurité avec le rapprochement à ses frontières des infrastructures militaires de l’Organisation du traité de l’atlantique nord (OTAN).
Cette destruction des instruments de coopération internationale est, en elle-même, une arme de destruction encore plus dévastatrice que la guerre elle-même. C’est un élément de plein droit de la guerre asymétrique et de la guerre proxy. Il y a ainsi des risques de faire s’effondrer le système économique mondial pour que, de ce chaos, émerge un nouvel ordre plus avantageux.
Ce que l’on ignore, c’est que ce chaos constructeur aux pendants à la fois politiques, économiques et militaires peut totalement transformer le visage du monde, détruire le village planétaire que le monde a mis tant de temps à construire et faire ressurgir le règne des empires et des économies fermées sur eux, dans les limites de leur domination.
L’autarcie veut prendre le pas sur l’ouverture. Sous nos yeux, le Protectionnisme se métamorphose, s’adapte aux instruments du 21e siècle, capture les esprits pour que collectivement le monde pousse l’Ouverture vers la porte de sortie. Son arme principale, la guerre dont la réprobation empêche les esprits de voir clair dans son jeu et de prendre le recul nécessaire.
Le monde est tombé dans un gros piège qui lui a été tendu depuis des années et qui semble avoir atteint ses limites avec la crise ukrainienne puisqu’il y a été conduit patiemment et progressivement. Partir d’Afrique ou d’ailleurs combattre en Ukraine ou combattre en Ukraine même ne semble pas la meilleure option puisque cela fait la part belle à ceux qui veulent détruire la mondialisation pour mettre en place un nouveau système qui pourrait mieux servir leurs intérêts.
En Ukraine se joue l’avenir de la mondialisation
Le destin qui se joue avec la crise ukrainienne, au-delà des hommes et des deux Etats officiellement en conflit, c’est celui de la mondialisation telle que l’on l’a connue jusque-là, avec l’interdépendance entre les Etats et l’intégration du monde, la réduction des obstacles à la circulation des produits, des monnaies et des idées. La mondialisation est finement et méticuleusement poussée vers la contraction (dans le sens économique du terme), vers la fermeture du commerce, des finances et des réseaux de communication permettant la libre circulation des idées dans un cadre contradictoire et ce, pour déréglementer davantage le monde, pour provoquer le chaos et pousser à l’instauration de nouveaux paradigmes de développement économique et social qui feront perdre leurs repères à tous et maintiendront les différents statu quo. Une telle perspective prospective n’instaurera jamais la paix sur terre. Elle avait déjà pointé le bout de son nez avec la crise sanitaire de la Covid.
Il importe donc de sortir des paradigmes émotionnels pour apprécier avec lucidité les enjeux profonds de la crise ukrainienne que les uns trouvent choquante parce que le droit international a été violé alors que d’autres la trouvent compréhensive parce qu’elle permet à un pays de se dégager d’une stratégie d’encerclement malveillante qui était à un stade dormant et dont il a voulu anticiper le réveil brutal.
Le monde ne doit pas tomber dans le piège des forces réactionnaires et totalitaires aux allures démocratiques, très malignes et qui essaient de le pousser dans leur logique à elles, sur leurs propres chemins de l’autarcie. Le développement économique doit être à la portée de tous et une perspective pour tous et non être géographiquement limité.
Au sortir de la crise ukrainienne, la leçon que le monde doit apprendre, c’est de ne pas confier son destin politique, économique, financier, sportif, etc. à un seul groupe dont l’expansion finale finit par instaurer une dictature du groupe. Mais, pourra-t-on faire autrement en régime capitaliste ? Cela est moins sûr. La dictature de groupe et le capitalisme feront encore bon ménage pendant longtemps et, un groupe remplacera un autre pour un nouvel ordre mondial.
Il faut repenser les mécanismes multilatéraux pour mieux garantir la paix dans le monde
Au sortir de la seconde guerre mondiale, au regard des horreurs de la guerre et devant la nécessité d’instaurer la paix entre les nations et entre les races, les fondateurs de l’Organisation des nations unies (ONU) et tous ceux qui leur ont succédé sur ce laborieux chemin de la paix ont progressivement pensé à la mise en place de mécanismes multilatéraux, d’instruments de coopération (économique, politique, sportive, financière, etc.) pour que l’internationalisme et l’intégration remplacent le séparatisme. Malheureusement, cette logique du bon sens a été rompue avec certaines guerres, plaçant le monde dans une grande instabilité.
Cette instabilité a ouvert la voie aux violations répétées du droit international. L’arrimage des relations internationales à la notion de sphère d’influence des organes étatiques ou non étatiques est la plus grande menace de cette fin de siècle. L’humanité se trouve face à l’impérieuse nécessité de repenser le mécanisme de l’immixtion de cette notion dans les délibérations du Conseil de sécurité de l’ONU. La notion de sécurité pour tous, mise à mal depuis des années malgré l’existence de la Charte des Nations Unies devrait, elle aussi, faire l’objet de réflexions approfondies de sorte qu’une attaque contre un pays par un autre, par une coalition militaire ou par des groupes transnationaux fasse l’objet d’un traitement spécifique décidé collectivement au préalable.
Le continent africain et des pays amis peuvent jouer les facilitateurs
L’Afrique doit appeler à la fin des combats entre la Fédération de Russie et l’Ukraine. Elle doit inviter toutes les parties en conflit (la Russie, l’Ukraine, l’OTAN et l’Union européenne) à une table de négociations sous la co-présidence de la Chine, de l’Inde, du Brésil et de l’Afrique du Sud pour recueillir les préoccupations des uns et des autres et établir les compromis possibles pour la cessation définitive des hostilités avant d’engager les discussions sur les problèmes de fond. Il y va de l’avenir de tous et de chaque pays qui tire profit de la mondialisation.
Sans une initiative volontariste des hommes et femmes de bonne volonté politique pour faire taire les passions et haines dévastatrices, l’humanité sera condamnée à tuer son humanité dans la guerre et à périr. Il n’est, pourtant, dans l’intérêt d’aucune nation d’éteindre l’évolution de l’homo sapiens, à moins qu’il ne soit arrivé aux termes prescrits de son existence. L’unité de l’humanité ne devrait pas servir à nuire et à détruire mais à construire la synthèse objective en faveur de la paix et de la compréhension internationale. Si les hommes et les Etats ne se comprennent pas, il n’y aura jamais de paix. La crise, toute crise est un réservoir immense d’opportunités nouvelles pour se reconstruire.
Président du Mouvement Pour « Les Démocrates de Côte d’Ivoire ».