Aboisso/ Les cadres doivent soutenir collectivement les actions de développement

Par Pascal Fobah  Eblin*

Le jeudi 21 octobre 2021, lors de la cérémonie d’inauguration du nouveau CHR de la ville d’Aboisso, le Président du Conseil économique, social, environnemental et culturel, Eugène Aka Aouélé, a eu une attitude des plus discourtoises à l’endroit du maire de la ville, N’gouan Jérémie Alfred, que nous allons interroger et élucider au regard des techniques discursives utilisées. Ce manque d’élégance est passé inaperçu pour de nombreuses personnes mais pas pour le spécialiste des sciences du langage que nous sommes.

Nous avons donc le devoir de porter ce fait à l’attention de l’opinion publique, d’une part, pour que de telles inimitiés entre des personnalités politique issues du Sud-Comoé ne se répètent plus et, d’autre part, pour que le président du Conseil économique, social, environnemental et culturel comprenne que ses nouvelles charges institutionnelles le mettent dorénavant au-dessus des querelles de clocher. Quels sont les faits ?

Dans son allocution ce jour du 21 octobre 2021, le maire de la commune d’Aboisso a cru bon de formuler, au nom du conseil municipal regroupant toutes les sensibilités politiques et au nom des populations de sa commune, deux doléances, à savoir le bitumage des axes de la ville en état de dégradation avancé et le prolongement de l’autoroute traversant la ville jusqu’au village d’Adaou à cause du tracé particulièrement dangereux et meurtrier de l’actuelle route qui a occasionné de nombreux accidents et occasionnant 105 morts en cinq ans.

La guéguerre entre le président du Conseil régional, Eugène Aka Aouélé...
...et le maire Alfred Jérémie N’gouan détériore l’atmosphère au sein des populations d’Aboisso.

La présentation de ces doléances par le maire, son ennemi juré de notoriété publique, a fortement déplu au président du Conseil économique, social, environnemental et culturel qui s’est cru le devoir de remonter, avec artifice, les bretelles à l’outrecuidant maire issu du Pdci-Rda.

Ses propos, au regard de la rhétorique argumentative, sont, sous leur apparence d’argumentation ad rem (développement d’un thème ou propos sur une chose, ici, le livre blanc), une véritable attaque ad hominem (attaque à la personne à partir de ses propos) pas trop loin de l’attaque ad personam (attaque visant la personne avec une disqualification proche de l’injure). Retranscrivons ces propos avant d’aller plus loin :

« Je voudrais appuyer les doléances présentées par monsieur le maire mais en considération de ce que ces réalisations en cours ou en perspective, ici ou partout dans la région, sont contenues dans le livre blanc conçu à l’occasion de la visite du Président de la République, je voudrais dire que ceci fait partie de la réalisation de ce livre blanc et nous pourrions en citer d’autres de sorte qu’ici encore nous pouvons dire que, quand Alassane Ouattara prend acte de votre demande, vous êtes assuré qu’Alassane Ouattara va réaliser votre demande. Le livre blanc est donc en cours de réalisation et, il y a tous ces projets qu’il n’est plus nécessaire de répéter encore mais nous faisons confiance, nous faisons confiance, au nom de la population, au Président Alassane Ouattara qui réalisera toujours ce qu’elle a demandé ».

Comment souscrire à quelque chose tout en l’invalidant peu après ? C’est la prouesse linguistique que nous a livrée monsieur Aka Aouélé s’arrogeant le droit de répondre au maire pour souligner la vacuité de sa revendication qu’il trouve rébarbative.

LIRE AUSSI :   Côte d’Ivoire/RHDP, la bataille de positionnement pour l’après-Ouattara, fait rage

Le président du Conseil économique, social, environnemental et culturel prétend soutenir les doléances du maire mais il s’attèle juste après à invalider leur pertinence en se servant d’une attaque ad hominem. Cette argumentation ad hominem dévalorisante lui permet de ridiculiser le maire et de s’attaquer à sa crédibilité et à sa légitimité à parler au nom des populations.

 Dans le système des valeurs que promeut le président du Conseil économique, social, environnemental et culturel, cette attaque lui permet de dénoncer une infraction à la déontologie du livre blanc dont se serait rendu coupable le maire en reprenant des doléances qui y figurent déjà alors qu’elles seraient sues des autorités.

La technique utilisée est une antiphrase policée grâce à laquelle le président du Conseil économique, social, environnemental et culturel annonce son soutien à la doléance formulée pour, dans les minutes qui suivent, dire qu’elle ne vaut pas la peine d’être faite parce que déjà contenue dans le livre blanc à la disposition des autorités.

En procédant ainsi, il nie implicitement son adhésion aux doléances formulées par le maire et recommande subrepticement à son auditoire de n’y accorder aucun intérêt. Ses propos incitent à prendre le maire pour un rabat-joie de mauvais aloi et lui dénient toute légitimité de porter des revendications qui, pour lui, figurent déjà dans le livre blanc et dont les autorités compétentes en ont une parfaite connaissance.

Cette posture est d’autant plus curieuse que, quelques minutes après, avant la fin de son allocution, le président du Conseil économique, social, environnemental et culturel se permet – de présenter deux doléances au Premier ministre, lesquelles figurent pourtant, elles aussi, dans le fameux livre blanc qui a été évoqué pour disqualifier les doléances du maire et discréditer son ethos de porte-parole des populations.

 En effet, pourquoi dire qu’il n’est pas nécessaire de répéter des projets contenus dans le livre blanc et se permettre quand même d’en évoquer deux en mettant l’accent sur sa proximité avec le Premier ministre ? Ceux-ci portent sur la construction de nouveaux bâtiments pour abriter la préfecture et la scission du département d’Aboisso en trois départements avec deux nouveaux chefs-lieux de département, à savoir Ayamé et Maféré d’où il est originaire.

LIRE AUSSI :   Présidentielle 2020/Sita Coulibaly « dévoile » le plan des femmes du Pdci-Rda

Pendant que les doléances du maire sont minimisées, dévalorisées et jetées aux orties, le président du Conseil économique, social, environnemental et culturel se met lui-même en scène comme le porte-parole le plus légitime de la population. Il démolit l’ethos (l’image) de porte-parole du maire pour mieux positionner le sien propre.

La chute de son allocution est majestueuse en termes de nuisance pour l’ethos de l’adversaire ; ses doléances sont celles qui doivent marquer les esprits. Le caractère doucereusement belliqueux des propos, du reste discourtois et inélégants, du président du Conseil économique, social, environnemental et culturel sont révélateurs d’un enjeu de domination et de luttes de pouvoir sur le terrain politique, lequel l’a certainement poussé à faire une présentation disqualifiante de son ancien camarade du Pdci-Rda opposée à une présentation valorisante de soi. C’est la légitimité et la crédibilité du maire qui sont démolies pour lui substituer les siennes.

Quel commentaire faire de l’attitude subtilement méprisante du président du Conseil économique, social, environnemental et culturel à l’endroit de son ancien camarade du Pdci-Rda ?

Même si l’inimitié entre le maire et le président du Conseil économique, social, environnemental et culturel est un secret de polichinelle à Aboisso, cela ne justifie pas le spectacle linguistique dégradant qu’il a offert aux populations le jeudi 21 octobre dernier. En quoi une doléance portée par l’actuelle maire gênerait-elle le président du conseil régional du Sud-Comoé et président du Conseil économique, social, environnemental et culturel ? Ne vante-t-on pas les vertus de la répétition qui remet à la mémoire ce qu’on a tendance à oublier ?

 L’intérêt des populations n’est-il pas plus important que les guerres larvées de positionnement politique plus nuisibles que bénéfiques ? La carrière politique des uns et des autres est une affaire personnelle mais le développement de la ville d’Aboisso doit, lui, être une affaire de tous et transcende les clivages politiques d’autant plus qu’elle a existé avant les partis politiques et subsistera après eux.

Mais, sur ce terrain-là, les cadres d’Aboisso pèchent énormément et ne cachent malheureusement aucune occasion pour étaler leurs divergences parfois inexplicables et souvent liées à des questions d’egos alors que le Sanwi demeurera pendant que les partis politiques, leurs partis politiques passeront.

 Les richesses et les nominations personnelles passeront mais les ouvrages réalisés au bénéfice de la communauté demeureront. L’ancien maire Etché Elleingand est mort depuis des années mais la passerelle, par exemple, qu’il a réalisée pour soulager la souffrance des élèves d’Aboisso et, surtout, les habitants du quartier « derrière-l’eau » n’est-elle pas toujours là pour témoigner de son sens élevé de la communauté ?

A ce jour, il demeure la référence que cette génération de politiciens (palabreurs) devrait chercher à imiter au lieu de passer leur temps à s’entre-déchirer pour des questions d’egos.

LIRE AUSSI :   Conflits à répétition : agir pour  éviter le pire dans l’Ouest ivoirien

Au lieu de saboter les actions des autres et de s’enfermer dans la logique du « pourquoi lui et pas moi ? », pourquoi les cadres du département d’Aboisso ne soutiendraient-ils pas collectivement les actions de développement ou les doléances qui peuvent améliorer les conditions de vie des populations d’Aboisso même si elles sont portées par des cadres politiques du camp opposé ? Comment être forts et développer sa région en étant dans une belligérance permanente ? La politique n’est-elle pas faite pour unir et tirer le meilleur parti possible en termes de développement pour sa contrée ? Telles sont les questions qu’on pourrait poser aux cadres politiques du département d’Aboisso.

Par ailleurs, si l’Etat avait honoré ses promesses faites en mars 2019 aux populations d’Aboisso, le spectacle désolant d’humiliation publique du maire n’aurait jamais eu lieu. Les localités d’Ayamé, de Bonoua, de Grand-Bassam et de Tiapoum ont reçu leurs kilomètres de bitume promis, pourquoi Aboisso n’a pas eu les siens ?

 Où est passé le bitume promis en 2019 à la ville d’Aboisso ? Pourquoi l’évocation de cette promesse non tenue pousse-t-elle le président du Conseil économique, social, environnemental et culturel à user d’artifices langagiers pour éviter d’en faire un sujet de débat et éteindre toute critique ?

Les cadres d’Aboisso doivent soutenir le développement.

Les cent-cinq (105) morts en (5) ans sur l’axe Assouba-Aboisso avec ses descentes et son double virage d’une dangerosité extrême ne sont-ils que du menu fretin à ses yeux, lui qui a géré le département ministériel de la santé et pour qui sauver ou garantir le bon état des vies humaines était plus qu’un sacerdoce ?

Entre l’érection d’Ayamé et, surtout, de Maféré d’où il est originaire en chefs-lieux de département et le prolongement de l’autoroute jusqu’à Adaou pour sauver des vies dont certaines pourraient lui être proches, qu’est-ce qui est le plus urgent et le plus pertinent en termes de doléances à appuyer fortement et honnêtement ?

Monsieur le Président de la République, monsieur le Premier ministre, honorez les promesses de l’Etat faites aux populations d’Aboisso en mars 2019 pour éviter que le président du Conseil économique, social, environnemental et culturel ne profite encore d’une autre occasion publique pour humilier et ridiculiser le maire dont le crime a été et sera encore certainement de rappeler, au nom de son conseil municipal regroupant le Pdci-Rda, le Rhdp et les indépendants, ces promesses non tenues. Cette attitude de conflit permanent n’honore à coup sûr personne et dessert la commune d’Aboisso qui a tout à perdre dans ces conditions.

 *Professeur des Universités, Secrétaire général du mouvement « Les Démocrates de Côte d’Ivoire », natif d’Aboisso