Afrique/Un essayiste français déclare :« La moitié des élections sont viciées avant le scrutin, avec bourrage d’urnes »

Il y a les vraies et les fausses démocraties, et entre les deux, les « démocraties molles ». C’est la thèse de l’essayiste français Pierre Jacquemot, qui vient de publier Afrique, la démocratie à l’épreuve. – Pourquoi la démocratie est-elle en crise en Afrique ? Pourquoi les militaires putschistes reviennent sur le devant de la scène ? Enseignant à Sciences Po Paris et ancien ambassadeur à Accra, Nairobi et Kinshasa, il fait des révélations.     

L’Afrique de l’Ouest n’est-t-elle pas en train de lancer le concept de « coup d’État militaire à assise populaire » ?

 C’est vrai qu’on constate que ces coups d’État, fomentés par de jeunes officiers, rencontrent une certaine audience auprès de la population, et notamment auprès des jeunes. Cela signifie probablement que ces coups d’État sont assis sur un essoufflement de la démocratie représentative dans ces trois États. La démocratie représentative a été incarnée par exemple par le président de la Guinée Alpha Condé, qui avait outrepassé les règles constitutionnelles en s’accordant un troisième mandat. Elle a été incarnée aussi par l’impuissance des chefs d’État en place, normalement élus -au Mali, au Burkina Faso-, à faire face à la crise sécuritaire qui sévit dans leur pays.

« La plupart des Constitutions africaines prévoient qu’un chef d’État ne peut assurer que deux mandats. Or là, cette règle n’a pas été respectée en Guinée, ni en Côte d’Ivoire, ni en Ouganda », fait savoir Pierre Jacquemot.

Estimez-vous, qu’à l’égard du Mali -la déclaration de la France, jugeant que le nouveau régime avait un caractère illégitime, était-elle particulièrement malencontreuse ?

Tout à fait, je pense que, dans sa relation avec les pays africains, la France a parfois de bons comportements, mais trop souvent émet des déclarations tout à fait malencontreuses, qui témoignent peut-être d’une incapacité à pouvoir analyser les dynamiques en cours dans ces pays. Il y a une espèce de rigidité sur les critères démocratie formelle, élections, institutions, règles du jeu… une espèce de rigidité française envers l’Afrique.

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Dans votre livre, vous expliquez très bien les raisons de ces différents putschs militaires. Mais n’êtes-vous pas un peu compréhensif à l’égard de certains régimes, comme celui du Mali, qui a laissé mourir en prison l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga au mois de mars dernier ?

Non, je n’ai pas à être clément envers les uns et dur envers les autres. J’essaye d’analyser objectivement ce qui se passe. Ce que je peux constater, c’est qu’il y a des pays qui s’en tirent beaucoup mieux que d’autres au regard des critères d’une part de démocratie, d’efficacité des institutions, et d’autre part du respect des droits fondamentaux des personnes.

 Et donc, on est amené à faire des distinctions entre les situations, entre les pays qui sont sur une trajectoire plutôt positive, ce qu’on appelle les « démocraties matures » -Cap-Vert, Maurice, Botswana, Ghana et même le Sénégal-, et puis d’autres qui s’enfoncent dans un dérèglement démocratique total, voire même un délitement comme la Centrafrique, la Somalie, le Soudan du Sud ou la Libye par exemple.

Sur les 623 élections qui se sont déroulées en Afrique subsaharienne depuis trente ans, vous dites que la moitié, quelque 316, relèvent de la mascarade, selon l’index démocratique de The Economist Intelligence Unit. C’est considérable…

Effectivement, la moitié des élections sont viciées avant le scrutin, au niveau de l’enregistrement des électeurs, incomplet. Pendant le scrutin : bourrage d’urnes. Et après le scrutin, lors du calcul des résultats, et ceci malgré les observations. L’autre constat qu’on peut faire, c’est que les possibilités d’alternance sont réservées à quelques pays. On sait que c’est le cas du Ghana ou du Sénégal, dans le passé. Récemment, on a eu le cas aux Seychelles et au Malawi, mais c’est très rare dans les autres pays. Puis, peut-être faut-il ajouter que les chefs d’État ont obtenu d’avoir un troisième mandat.

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 La plupart des Constitutions africaines prévoient qu’un chef d’État ne peut assurer que deux mandats. Or là, cette règle n’a pas été respectée en Guinée, ni en Côte d’Ivoire, ni en Ouganda, six mandats pour Yoweri Museveni, ni au Tchad, six mandats pour Idriss Déby, ni au Congo, quatre mandats pour Denis Sassou-Nguesso.

Du coup, on arrive à des situations, pour un certain nombre de pays, que j’appelle les « démocraties molles », où on élit des vieux. On élit Paul Biya, Alassane Ouattara, Alpha Condé, Nana Akufo-Addo, Yoweri Museveni, Denis Sassou-Nguesso, Ismaël Omar Guelleh, qui ont un écart d’âge avec le reste de la population très important.

Et donc, probablement une capacité d’écoute et de préoccupation de la jeunesse qui est beaucoup plus faible. Globalement, entre les hommes politiques africains et l’âge moyen de la population, il y a un écart de 43 ans.

Est-ce que La présence de la Russie en Centrafrique et au Mali, est-il à vos yeux un phénomène passager ou durable ?

Je pense, et j’espère évidemment aussi, que c’est un phénomène passager. Quand on fait la liste des exactions commises par les milices privées venues de Russie, en particulier le groupe Wagner… La bonne question, c’est celle de l’information des populations et l’impact des intox propagées par ces groupes et envoyées directement par Moscou.

Donc, il y a une guerre là. Évidemment, quand on constate que Rfi est interdite au Mali, on peut être inquiet, alors que ce média, dans tous les pays où j’ai été amené à travailler, est le média privilégié par les populations pour avoir des informations sur le continent, mais également sur leur propre pays.

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Et les médias français dont RFI et France 24

– Mais je pense à Rfi, parce que j’ai subi l’interruption de cette chaîne- quand j’étais en poste à Kinshasa. Et je me souviens du nombre de messages que j’ai reçus, venant de tous les coins de cet immense pays, pour dire « Rétablissez Rfi », parce que c’était le média privilégié pour sortir d’un discours formaté qu’on retrouvait dans les médias officiels.

Source: rfi.fr