Situation socio-politique en Afrique/L’ancien premier ministre du Sénégal très remontée ….

 Ancien Premier ministre sénégalais, Aminata Touré, décortique l’actualité sur les récents évènements, notamment les coups d’Etats qui ont secoué quelques pays de l’Afrique de l’Ouest. Pour elle ces incidents malheureux ne doivent pas occulter les progrès démocratiques et les aspirations au progrès de la jeunesse.

Vous avez occupé diverses responsabilités, dont celle de Premier ministre au Sénégal. Comment jugez-vous l’expérience du pouvoir et de l’action politique ?

Mon expérience remonte déjà à quelque temps puisque j’ai été Premier ministre de 2013 à 2014. L’Afrique a évolué entre-temps avec beaucoup de points positifs et d’autres à améliorer. Aujourd’hui sur le continent africain, nous voyons une demande pour un nouveau type de gouvernance clairement.

Elle s’exprime partout par la jeunesse qui représente 70% de la population. Les moins de 35 ans sont mieux éduqués que leurs aînés, ont accès à l’information à travers les TIC et ont plus d’ambition. Voilà le défi qui se pose aujourd’hui aux leaders africains.

C’est vrai que le continent est jeune depuis longtemps mais aujourd’hui, cette jeunesse revendique une présence plus affirmée avec un désir de développement, d’égalité et de respect du reste du monde.

Le retour des coups d’État montre que quelque chose ne va pas dans la gouvernance. Les peuples sont déçus visiblement, y-a-t-il une explication ..  ?

« C’est vrai que le continent est jeune depuis longtemps mais aujourd’hui, cette jeunesse revendique une présence plus affirmée avec un désir de développement, d’égalité et de respect du reste du monde.La jeunesse africaine aspire à des standards de vie comme tout le monde : vivre dans des conditions décentes, avoir un emploi décent, voyager via des routes acceptables. Il y a également la liberté d’expression et des élections justes et transparentes ».

Il faut relativiser. L’Afrique, c’est 54 pays, or on parle de trois coups d’État en Afrique de l’Ouest. Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. C’est très important de le dire à l’endroit des médias occidentaux qui ont tendance à généraliser. Le continent offre des cultures différentes, des cuisines différentes et également des systèmes et des expériences politiques et historiques différentes.

Je vous parle du Sénégal qui n’a jamais connu de coup d’État et dont les alternances politiques se font par les urnes. Nous venons d’achever nos élections municipales qui se sont passées calmement, avec des résultats qui ne sont pas contestés. Il ne faut donc pas généraliser.

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L’Afrique a souvent souffert d’une mauvaise politique de relations publiques. On se demande si c’est fait exprès ou non mais je me suis toujours érigée contre cette façon de mettre toute l’Afrique dans le même sac et de ne voir que les côtés négatifs. La démocratie a beaucoup progressé sur le continent.

On observe encore des points chauds mais de moins en moins. La démocratie est la norme en Afrique. On se désole de quelques coups d’État qui se passent certes dans la même zone et attirent l’attention. Mais de manière générale, la démocratie africaine avance. Il faut la solidifier, et pour cela il faut trois choses.

D’abord, il faut une excellente gouvernance des ressources avec la promotion par le mérite. La deuxième chose, c’est l’implication des femmes, qui sont 52% de la population. La troisième enfin, c’est une jeunesse qui soit plus participative et inclusive dans les politiques de développement. Ces trois éléments sont clés pour faire avancer la démocratie.

Évidemment, on va regretter les coups d’État qui se sont passés dans le voisinage immédiat du Sénégal comme au Mali, en Guinée et au Burkina Faso. Je m’en désole et j’espère un rapide retour à l’ordre démocratique, mais cela, il faut travailler en collaboration et en discussion justement avec les pouvoirs militaires en place. Il faut privilégier la discussion et la concertation, ce que nous savons faire, notamment en Afrique de l’Ouest, pour un retour à l’ordre constitutionnel et à l’ordre démocratique.

 Le constat est certes incontournable et dans un cadre démocratique et de multipartisme, l’ethnicisme l’emporte à chaque fois. Les expressions de cette appartenance à l’ethnie et son instrumentalisation dans les systèmes politiques sont-elles une réalité ?

Les trois coups d’État récents n’ont absolument rien d’ethnique ! Ce sont souvent des crises institutionnelles, des contestations électorales, et surtout l’incapacité des régimes, dans certains endroits, à gérer la question de la sécurité.

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Aujourd’hui, la jeunesse africaine est davantage unifiée, et la question ethnique est de plus en plus reléguée au second plan.

Ce qui se passe également, c’est qu’on réduit souvent la démocratie à des considérations électorales. C’est beaucoup plus que ça, et c’est important que les régimes démocratiques le comprennent. Il faut que les citoyens sentent dans leur vie quotidienne une amélioration notoire de leur niveau de vie.

La jeunesse africaine aspire à des standards de vie comme tout le monde : vivre dans des conditions décentes, avoir un emploi décent, voyager via des routes acceptables. Il y a également la liberté d’expression et des élections justes et transparentes. C’est un tout. On ne peut pas réduire les démocraties aux consultations électorales.

Au Mali, le président a été réélu dans un processus qui n’a pas été contesté. Mais il a été déposé quasiment deux ans après parce que la question sécuritaire n’a pas été réglée. C’est la même chose au Burkina Faso.

Nous voyons cette aspiration citoyenne de mieux-être, de sécurité, de participation, d’égalité, de justice indépendante que les gouvernants africains doivent prendre en compte comme faisant partie intégrante du package démocratique. C’est ça aussi qu’il faut percevoir.

Lorsque vous parlez d’ethnies, je voudrais citer les bons exemples. Nous sommes en Afrique. Je peux citer le Sénégal et le Cap-Vert mais aussi des pays d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Est où la démocratie est devenue la norme.

Parfois elle est turbulente, parfois elle génère des incohérences qu’il faut rapidement régler. La demande citoyenne sera irrépressible et incompressible. Il faut que les gouvernements le comprennent.

L’ancien président américain Barack Obama ne disait-il pas que « l’Afrique a besoin d’institutions fortes et non pas d’hommes forts ». L’on constate de nos jours que les institutions pèchent par leur faiblesse. Selon vous, comment les renforcer ?

Il n’y a pas de baguette magique dans cette situation. Des pays comme les États-Unis peuvent trembler en un jour ; nous l’avons vu lors de l’invasion du Congrès.

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C’est pourtant une démocratie bien ancrée. En France, on a été ahuris de voir durant des mois, lors des manifestations des Gilets jaunes, des scènes qui n’ont rien à voir avec une démocratie normale. C’est pour vous dire que la démocratie est une bataille et un combat continus et permanents.

Ici en Afrique, je ne vois pas d’autre solution que l’éducation citoyenne, l’inclusivité, la bonne gouvernance. Que chaque citoyen ait le sentiment de bénéficier de manière égalitaire de cet État qui doit produire de l’éducation, de la sécurité et de la santé. C’est cela maintenant le défi au-delà même de la consultation électorale. Changer de Parlement et de président, c’est très bien mais ce n’est pas suffisant.

Plusieurs causes se distinguent alors…

Effectivement, nous distinguons plusieurs causes mais la solution de long terme est l’aspiration à une meilleure gouvernance. Il y a aussi cette aspiration notamment de sécurité, nous le voyons au Mali et au Burkina Faso, dans d’autres pays, un mauvais contentieux électoral a été mal géré.

Dans ce terme, je mets la bonne gestion des ressources publiques, l’égalité dans la répartition des ressources, le combat féroce contre la corruption, une répartition égalitaire des revenus entre les différentes parties du pays, le sentiment enfin qu’il y a un traitement égalitaire des populations. Il faut également qu’il y ait une participation des jeunes et des femmes.

De ce point de vue, je pense qu’il faut une alliance stratégique entre les femmes et les jeunes. Ce sont les deux catégories les plus marginalisées et qui ne participent pas à la hauteur de leur représentation. Les deux groupes réunis représentent 80% de la population. Je rêve de coalitions de ce genre, qu’elles soient politiques ou sociales, pour pouvoir changer l’ordre des choses.

Source : magazinedelafrique.com