Surendettement/Un rapport américain dévoile la dette cachée des pays africains

 Par la Rédaction

Les pays en développement ont sous-évalué leur dette à l’égard de la Chine et seraient, aujourd’hui, enserrés par une dette cachée de 330 milliards d’euros due à Pékin. Selon un rapport mené par l’institut américain AidData et publié le 29 septembre dernier, la dette cachée de l’Afrique, qui n’échappe pas à ce phénomène propre aux pays en développement, s’élèverait à 40 milliards d’euros, portée notamment par le Mozambique, l’Angola ou encore la République démocratique du Congo.

La Chine prête de longue date à l’Afrique…

Les liquidités chinoises ont massivement atterri dans les pays africains depuis l’annonce, en 2013 par le président Xi Jinping, du lancement du programme des Nouvelles Routes de la soie, qui fait de l’Afrique un point de passage obligé des échanges commerciaux de la Chine avec le reste du monde. Selon un article du journal Jeune Afrique, le régime chinois aurait dépensé environ 85,4 milliards d’euros par an pour des projets d’infrastructure à travers le monde entier entre 2013 et 2017. La Chine Africa Research Initiative de la John Hopkins School of Advanced International Studies de Washington estime, quant à elle, que 152 milliards de dollars ont été accordés à une cinquantaine de gouvernements africains et ses entreprises entre 2000 et 2018. En Afrique, Pékin s’est surtout concentré sur le financement d’infrastructures, qui font en effet cruellement défaut aux populations locales.

En Afrique, cette approche est aujourd’hui très critiquée par de nombreux observateurs. En effet, en succombant aux liquidités pékinoises, plusieurs pays africains ont privilégié la croissance économique par des infrastructures sans retombées concrètes pour les populations au développement économique et social. Une grande partie des liquidités accordées par la Chine aux pays africains ne prend pas la forme d’aide au développement, mais plutôt de prêts. «Seulement 43 % des financements chinois peuvent être définis comme une aide au développement sur la base des paramètres de l’OCDE. Le reste constitue des prêts commerciaux qui ont peu à voir avec une quelconque aide au développement», estime, pour Les Échos, Bradley Parks, directeur exécutif d’AidData. Les prêts chinois ont une période d’échéance de remboursement presque deux fois plus courte -16 ans contre 38 ans — que celle des prêts de l’Agence internationale de développement, un organe de financement de la banque mondiale.

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Parmi certains des projets d’infrastructures financés par Pékin les plus connus, la construction d’un boulevard périphérique de 320 millions de dollars autour d’Addis-Abeba, en Éthiopie, ou encore une ligne de chemin de fer à 3 milliards de dollars entre la capitale éthiopienne et le port de Doraleh, à Djibouti.

Des sommes faramineuses prêtées par Pékin ayant conduit certains gouvernements à s’enfermer dans le « piège de la dette » chinoise. La Chine possède, par exemple, 70 % de la dette de Djibouti et peut d’ores et déjà agir sur certaines décisions stratégiques du pays.

Les Chinois, qui ont longtemps lorgné sur le port de Djibouti, semblent avoir réussi à en prendre le contrôle après que le gouvernement djiboutien ait, en 2018, rompu unilatéralement et de manière trouble le contrat avec DP World, l’ancien opérateur émirati et partenaire de longue date de Djibouti, au profit de China Merchants Group.

Un acte jugé contraire aux pratiques internationales selon la Haute Cour d’Angleterre et du Pays de Galles qui a statué contre Djibouti le 7 juillet dernier, qui témoigne aussi des conséquences néfastes du surendettement sur la souveraineté des États face à Pékin.

Des dettes pas toujours incluses dans le bilan comptable des États

Aujourd’hui, 330 milliards de dollars de dettes sont sortis des radars de la banque mondiale. Si les dettes des pays africains à l’égard de Pékin sont sous-évaluées, c’est parce que la Chine a accordé des prêts à des sociétés parapubliques, des entreprises privées ou des joint-ventures. Tout en rendant les gouvernements responsables de leur remboursement en cas de crise. « Ces dettes, pour la plupart, n’apparaissent pas dans les bilans des gouvernements des pays en développement. L’élément clé est que la plupart d’entre elles bénéficient d’une forte de protection explicite ou implicite sous la responsabilité du gouvernement d’accueil. Cela revient à brouiller la distinction entre la dette publique et la dette privée », affirme, au Financial Times, Brad Parks, directeur exécutif d’AidData. En tout et pour tout, 20 % des prêts accordés par Pékin prennent la forme de dette cachée, selon les conclusions du rapport d’AidData

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En Afrique, les pays les plus touchés par la dette cachée sont la République Démocratique du Congo, la Namibie, le Mozambique ou encore l’Angola. Pour tous ces pays, la dette cachée à l’égard de Pékin est estimée à plus de 10 % de leurs PIB respectifs. Des dettes qui, quand elles prennent cette forme, ne sont pas incluses dans la comptabilité des États et échappent donc au contrôle des instances internationales.

Les clauses cachées des contrats de prêt

Les détails des prêts chinois, rarement accessibles au grand public, sont remplis de clauses secrètes, qui peuvent ponctuellement menacer la souveraineté des États. Un rapport, intitulé « Comment la Chine prête », rendu public le 31 mars dernier et préparé par deux instituts de recherche et deux ONG a passé au crible 100 contrats signés entre la Chine, par l’intermédiaire de la China Eximbank et la China Development Bank, et 24 pays en développement. Si les taux d’intérêt restent proches de ceux des prêts classiques, fournis par les Occidentaux ou les instances internationales, les conditionnalités sont beaucoup plus contraignantes.

Les prêts sont ainsi exclus des clauses du Club de Paris, un mécanisme de restructuration des dettes créé en 1976, dont la Chine n’est pas membre. Parfois, les clauses permettent à la Chine de s’ingérer dans les affaires internationales ou intérieures du pays débiteur, rognant ainsi sur sa souveraineté.

L’une des clauses les plus répandues oblige les États africains incapables de rembourser les dettes à céder des infrastructures stratégiques ou des matières premières à la Chine. Le port de Mombasa, fer-de-lance commercial du Kenya, pourrait par exemple en faire les frais. Si le gouvernement était dans l’incapacité de rembourser ses prêts pour le financement d’une ligne de chemin de fer entre le port et Nairobi, il pourrait théoriquement tomber dans l’escarcelle de Pékin.

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Ressources Based Loans : Pékin lorgne sur les ressources naturelles africaines

Depuis quelques années, Pékin s’est attaché à développer les Ressources Based Loans, qui permettent de conditionner les prêts à des ressources naturelles. Selon un rapport du Natural Ressources Gouvernance Institute, publié en février 2020, de nombreux prêts auraient ainsi été adossés à des ressources naturelles.

L’Angola, par exemple, a reçu un prêt de 24 milliards de dollars pour un projet d’infrastructure, en échange de pétrole. La Guinée a reçu un prêt de 20 milliards de dollars pour des routes et universités, en échange de bauxite.

Quant au Ghana, un prêt de 5,6 milliards de dollars a été perçu par le gouvernement, contre de la bauxite, du pétrole, ou encore du cacao. La Chine, qui ne dispose pas des ressources naturelles suffisantes pour subvenir à ses besoins, a ainsi augmenté l’octroi de prêt avec un remboursement adossé aux ressources naturelles des pays emprunteurs. Des contreparties extrêmement dangereuses pour les pays disposant de ressources, dont les cours restent très volatils.

Face aux critiques internationales et à la méfiance de plus en plus grande des pays africains- la Côte d’Ivoire a par exemple créé un comité de suivi des prêts chinois-, Pékin tente de redorer son image.

 La Chine a ainsi annoncé plusieurs restructurations de dette dans un contexte de sortie de crise sanitaire qui, en Afrique, a fortement impacté l’économie de certains pays africains. De même, en 2020, Pékin a annoncé collaborer avec le Club de Paris pour d’éventuelles restructurations de dette, même si les résultats restent encore incertains.