Monnaie/Divergences sur l’ECO, deux visions du monde

Par Nazaire Kadia*  afriquematin.net

La mise en place annoncée fin décembre 2019 de la monnaie « Eco » en lieu et place du FCFA par le chef de l’Etat ivoirien, sous le regard vigilant de M. Emmanuel Macron le président français, n’a pas l’assentiment des pays anglophones d’Afrique de l’Ouest et de la Guinée.

Initialement conçue pour être la monnaie unique de tous les pays de la Cédéao, l’Eco tel que présenté par le chef de l’Etat ivoirien n’est selon les pays sus-évoqués, qu’un avatar du FCFA où la présence étouffante de la France ne disparaît pas mais est plus subtile. Cet empressement des pays de l’Uémoa de rebaptiser le FCFA en Eco, est un véritable sabotage et « court-circuitage » de la conception initiale adoptée par les chefs d’états et de gouvernement de la Cédéao. La réaction du Nigéria, du Ghana, de la Gambie, du Liberia, de la Sierra Léone et de la Guinée est un véritable désaveu pour le chef de l’Etat ivoirien et de ses pairs de l’UEMOA. Rien n’explique cet empressement de transformer le FCFA en ECO sans véritablement prendre attache avec tous les pays de la Cédéao, initiateurs du projet.

 C’est une opération cosmétique faite pour atténuer un tant soit peu les critiques des intellectuels africains contre la présence oppressante de la France et permettre à celle-ci de reprendre un peu de souffle, par rapport à la montée de la contestation de ses actions et de sa présence en Afrique de l’ouest.

La critique des pays contestataires porte sur les similitudes entre le FCFA et l’Eco : monnaie adossée à l’euro, taux de change garanti par la France, non flexibilité de ce taux de change, etc. Et selon leurs critiques, rien n’a fondamentalement changé.

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Mais au-delà des divergences sur la nouvelle monnaie qu’on peut noter, deux visions du monde s’affrontent ; deux conceptions du rapport à entretenir avec l’ancienne puissance coloniale s’affrontent également.

D’un côté les pays anglophones. Très tôt, ces pays ont appris à se prendre en charge, à tout faire pour eux-mêmes et par eux-mêmes. Ils en ont souffert, ont commis des erreurs, ont touché le fond à tel enseigne que certains étaient la risée chez nous ici. Qui ne se souvient pas de l’expression « tomber comme Ghana » ?  Mais l’avantage, ils se sont forgé un mental, connaissent l’adversité et n’ont pas peur d’échouer et ils osent « oser » ; ils ont beaucoup appris de leurs erreurs. Aujourd’hui, il ne viendra pas à l’esprit d’un ivoirien quel qu’émergent qu’il soit, de se moquer du Ghana qui a réussi l’exploit de refuser l’assistance du FMI, là où certains se promènent avec leur obole pour mendier des crédits dans la droite ligne et dans l’esprit de « Ayé di Allah man » !

Il est également bon de noter que l’ancien pays colonisateur, l’Angleterre, n’interfère en rien dans les affaires intérieures de ses anciennes colonies, n’entretient aucune base militaire dans un de ces pays et ne choisit pas leurs dirigeants. Les pays anglophones sont très jaloux de leur souveraineté.

A l’opposé, les pays francophones se comportent encore soixante ans après l’indépendance comme des gamins, incapables de prendre des décisions sans l’approbation de leur père.

Au début des indépendances, ils ont tous signé des accords avec la France avec des clauses sécrètes, qui font de la France le véritable propriétaire de ces territoires. Ces pays ont développé un complexe de dépendance qui leur enlève toute envie d’oser, de tenter ou de souffrir pour se prendre en charge. Ils se reposent en tout sur la France : monnaie, défense, diplomatie. Et la France aussi s’adonne à cœur joie pour parler en leur nom à l’Onu, à être à l’initiative de toutes les résolutions de l’Onu concernant ces pays et…à choisir ou à imposer les dirigeants.

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S’il advenait qu’un dirigeant veuille s’éloigner du cadre « normal » tracé par la France, ou veuille se sortir du carcan dans lequel la France l’enferme, il est aussitôt l’objet d’un coup d’état, d’une rébellion avec un battage médiatique pour le présenter comme un monstre et in fine, on le dégomme à coup de bombes pour le remplacer par un autre plus conciliant et plus malléable. Voilà la vision qu’ont développée ces deux groupes de pays d’Afrique dans leur cheminement vers le développement et dans leur rapport avec le monde.

Au regard de ce qui précède, œuvrons tous inlassablement pour que tous les dirigeants d’Afrique développent et intériorisent l’esprit FUBU (for us and by us) afin que demain soit meilleur pour nous. Demain est certes un autre jour, mais demain arrive toujours. Mais soyez sans crainte, s’il y a eu un matin, il y aura un soir et l’ivraie sera séparée du vrai.

*Analyste politique