Libye-Smaïl Chergui (Commissaire Paix et Sécurité de l’Union africain) demande de ravitaillement en armes aux deux camps

Deux mois après le début de l’offensive du maréchal Khalifa Haftar sur Tripoli, les Etats-Unis et l’Egypte lancent un appel au calme. Ils disent vouloir « empêcher toute escalade » et soulignent « le besoin urgent de parvenir à une solution politique ». Pourtant, l’Egypte est accusée par le gouvernement de Fayez Al Sarraj de fournir des armes lourdes à son adversaire. Le Commissaire Paix et Sécurité de l’Union africain, Smaïl Chergui lance un appel à tous les pays fournisseurs d’armes pour qu’ils cessent leur soutien aux deux belligérants.

Est-ce qu’il a raison que  l’émissaire de l’Onu Ghassan Salamé mettant en garde la communauté internationale contre une guerre longue et contre une division permanente de la Libye peut-elle régler la situation?

Jusqu’à présent, la situation en Libye se caractérisait par une crise de basse intensité. Mais je crois que ce qui se passe depuis le 4 avril, et surtout le ravitaillement des deux protagonistes par des armements modernes ou nombreux, évidemment cela nous pousse à requalifier cette situation pour effectivement considérer que la Libye est en train de glisser vers une véritable guerre civile, qui sera longue et qui sera couteuse en vies humaines et également en déstabilisation pour toute la région, en particulier pour le Sahel.

Donnez-vous raison au Et  Premier ministre Fayez el-Sarraj qui affirme qu’il n’y aura pas de cessez-le-feu tant que celui qu’il appelle « l’agresseur Khalifa Haftar » n’aura pas retiré ses troupes de la Tripolitaine?

Au niveau de l’Union africaine – le président Faki [Moussa Faki Mahamat] et moi-même sommes rendus au mois d’avril dernier en Libye. Notre croyance profonde, c’est que, tant que nous n’aurons pas mis tous les protagonistes libyens autour d’une même table et tant que nous n’aurons pas fait en sorte que les interférences extérieures cessent, je crois que nous ne pourrons pas réellement amener les uns et les autres à plus de raison.

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Donc ce qui est important, c’est que le dialogue reprenne. Pas seulement entre les deux, mais qu’il soit inclusif. Et , nous souhaitons qu’il y ait vraiment une voix unanime de la communauté internationale pour dire aux uns et aux autres que ce n’est pas en ramenant les armes additionnelles en Libye, où il y avait déjà plus de 60 millions d’armes, que nous arriverons à une solution durable dans ce pays. J’espère qu’à travers votre radio, cet appel sera écouté. Au-delà de ce qui est pétrole, de ce qui est exploitation des ressources naturelles, de ce qui est intérêt purement national, il faut que ces protagonistes aient à l’esprit, d’abord, l’intérêt supérieur du peuple libyen.

Quelle appréciation portez-vous sur les déclarations du chef du gouvernement libyen Fayez el-Sarraj qui accuse la France de soutenir le camp du maréchal Haftar?

Cette réponse devrait venir, peut-être, des autorités françaises compétentes. On nous dit que la France essaie, aussi, de faire entendre raison au général Haftar. Si c’est le cas, comme d’ailleurs l’Italie et d’autres, je pense que ce serait une bonne chose. Il faut que l’on parle aux deux camps et qu’on leur dise qu’il n’y a pas de solution militaire à la crise libyenne.

Malgré l’embargo, les livraisons d’armes, étaient très discrètes. Mais depuis le 18 mai 2019 dernier, le gouvernement el-Sarraj n’a pas hésité à publier les photos de quelques dizaines de blindés turcs en train d’être débarqués au port de Tripoli. Cela ne démontre-t-il pas un signe  inquiétant?

Il me semble que c’est un signe inquiétant. Nous avons vu d’autres signes, aussi, de l’autre côté et je pense que c’est une violation de l’embargo qui est décrétée par les Nations unies. Je crois qu’aujourd’hui le Conseil de sécurité est vraiment interpellé. Il faudra absolument arrêter ce flot d’armes, qui ne font qu’aiguiser, aggraver et peut-être étendre la crise, à l’avenir.

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Le président el-Béchir du Soudan a été renversé le 11 avril 2019 dernier, après trente ans de pouvoir et quatre mois de manifestations de rue. Que pensez-vous de cette longévité ?

Je crois que, dans la vie, c’est valable pour nous autres individus et aussi pour tout responsable. Il faut toujours savoir partir. Des signes avant-coureurs étaient là. La décision dans son propre parti était normalement prise pour son départ. Je crois que ce qui lui a fait craindre, peut-être, d’être arrêté, c’est la question de la Cour pénale internationale.

Je crois que c’est une mauvaise appréciation de la situation, qui l’a amené aujourd’hui à quitter le pouvoir de cette manière. Et pour nous, l’Union africaine, nous sommes totalement engagés pour que ceux qui conduisent actuellement ces négociations puissent répondre aux attentes des populations soudanaises.

Nous sommes prêts à consolider et à soutenir n’importe quel accord politique auquel les Soudanais arriveraient. Mon sentiment personnel, c’est que j’espère que même tous les mouvements armés, que ce soient ceux du Darfour, du Blue Nile, du Kordofan ou d’Abiyé, soient associés à cet exercice et qu’on puisse arriver à une solution définitive et complète de tous les problèmes du Soudan.

 Si cet accord prend du temps, je crois que nous sommes disposés à réellement renforcer le processus. Actuellement, nous avons une équipe sur place, qui donne conseil de manière très discrète, mais qui est en contact avec tous les protagonistes. Nous sommes prêts à réellement mener un effort supplémentaire, si nécessaire.

Une transition de trois ans est prévue jusqu’à des élections démocratiques. Pour l’instant, ce sont les militaires qui gouvernent, mais ils refusent de céder la tête du Conseil souverain à un civil. Est-ce que cela ne vous inquiète pas ?

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Par rapport aux dispositions et à nos textes fondateurs, évidemment, si le pouvoir n’est pas confié à un civil, on ne se résoudrait pas à l’accepter facilement. Sauf si vraiment il y a des choses exceptionnelles qu’on nous présente. En règle générale – et la demande du Conseil de paix et sécurité de l’UA était très claire –, il faut rendre le pouvoir aux civils. Mais je crois qu’au-delà de cette question, l’armée soudanaise est une institution qui est importante dans le pays, il faut absolument la préserver de la division et des interférences qui peuvent compliquer la donne.

Source : rfi.fr