En proie à l’érosion côtière, oublié par l’Etat: le village de Dagbégo reboise  la mangrove pour survivre

Par Jean Levry – AfriqueMatin.net

Dagbégo, petit village de pêcheurs du département de Sassandra (région du Gboklè) dans le sud-ouest de la Côte d’Ivoire, situé à environ 250 km à l’ouest d’Abidjan, vit un véritable désastre écologique (érosion côtière, mort de la mangrove, raréfaction des poissons de rivière Dagbé…). En réaction, la communauté villageoise a entrepris de reboiser la mangrove. Avec un seul objectif : se battre  contre vents et marées afin de continuer à exister.

Les dégâts causées par la montée de la mer sur les habitations  (érosion côtière)

En arrivant à Dagbégo, le visiteur est frappé par un contraste. En même temps qu’il est séduit par la beauté du paysage, il découvre un village en agonie dont la mer a englouti environ 80% de la superficie. Coincée entre l’embouchure de la rivière Dagbé et l’océan Atlantique, cette presqu’île porte mal son qualificatif de ‘’village de pêcheurs’’ depuis quelques années. Ici, la pêche, activité principale et lucrative du peuple néyo, petit groupe ethnique issu du grand groupe Krou, ne nourrit plus son homme. Les populations se reconvertissent en cacaoculteurs malgré l’insuffisance de terres cultivables.

Le cimentière ravagé par les vagues, des tombes détruites

 

Mais ce qui est beaucoup plus préoccupant à Dagbégo, c’est  la disparition progressive de la mangrove. Est-ce l’œuvre d’esprits maléfiques  qui auraient lancé un sort au village ? Les villageois ont pendant longtemps soutenu cette thèse. Ils ont invoqué leurs ancêtres. Rien n’y fit. Ceux-ci, eux-mêmes, troublés dans leur sommeil éternel par la mer qui  casse le cimetière et les habitations, n’ont pas le temps, s’ils le pouvaient, de voler au secours de leurs descendants.

Reboiser la mangrove : un projet ambitieux et vital

 « Comment allons-nous continuer à vivre ? » Cette  inquiétude de Guet Nado, doyen d’âge du village est partagée par les conservateurs et autres nostalgiques, pas du tout prêts à abandonner le site. Encore moins à bafouer la mémoire de leurs aïeuls pour s’installer à Dagbego II, le nouveau village créé de toutes pièces, 10 km plus loin, sur la voie nationale appelée ‘’la Côtière’’.

Des mangroves mortes au milieu de la rivière

Les cadres,  avec à leur tête Antoinette Kotchi, présidente de la mutuelle pour le développement de Dagbégo, prennent les choses en main. Ils lancent l’idée du reboisement de la mangrove, convaincus que la cause du ‘’malheur’’ du village n’est rien d’autre que la mort des palétuviers. Au surplus, la mort de la mangrove a un lien direct avec la disparition des poissons de la rivière. Ils  sensibilisent alors les  villageois sur le fait que la mangrove, présentée comme un milieu hostile, juste bon pour servir de bois de chauffe pour le fumage de poissons a, en réalité, de nombreux avantages. En effet, ils expliquent que la mangrove est l’habitat, le lieu de reproduction, de développement des stocks de poissons, crustacés, mollusques et huitres et aussi de protection contre la prédation d’autres espèces halieutiques. Elle joue également  un  important rôle dans la séquestration du carbone atmosphérique.

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Les premières propagules n’ont pas tous réussies

Mais l’idée de reboiser la mangrove séduit très peu de villageois, surtout les jeunes. Ils jugent le projet prétentieux et irréaliste. « Mieux vaut planter du cacao en lieu et place de la mangrove», lancent  même certains selon les témoignages recueillis.

Premier essai, succès limité mais la lutte continue

Avec la détermination des cadres, le  projet démarre timidement en décembre 2017 par la  mise en terre de 4000 propagules piquées directement dans le sol sur deux espaces dénudés d’environ 50 m2 chacun. Des espaces devenus des îles artificielles du fait du tarissement de la rivière dont l’embouchure est désormais ouverte toute l’année. Phénomène nouveau ! Petite déception pour les villageois,  à peu près la moitié des plantes ne poussent pas convenablement. Et cela à cause de deux facteurs. La saison sèche qui rend la terre aride et les crabes qui coupent les bourgeons.

Les plants de mangrove qui ont poussé

 

 

 

 

 

 

 

Dès lors, les villageois armés de leur seule volonté de préserver leurs moyens de subsistance, changent de stratégie. Ils décident de faire une pépinière en vue d’avoir des plants plus aguerris, susceptibles de résister aux intempéries. En dépit du manque de moyens financiers et d’une expertise, une pépinière de 5 000 plants est réalisée début janvier 2018,  à environ 20 mètres en bordure de la rivière. Sa mise en terre prévue en août de cette année donnera lieu, selon le chef du village, à une cérémonie à laquelle seront associées les autorités locales.

Cinq (5) mois après son lancement, le projet de reboisement de la mangrove est en passe d’être un succès. Les villageois affichent leur optimisme et le projet mobilise à présent tous les ressortissants de Dagbégo, avec comme tête de file le chef du village, Gnako Jean dit ‘’Jeannot’’.

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Planting de cocotiers pour restaurer la plage

Même si à Dagbégo, c’est la croix et la bannière pour les habitants (manque d’eau potable et d’électricité), ces derniers préfèrent concentrer leurs énergies autour du projet de reboisement de la mangrove dénommé « la brigade verte de Dagbégo ». Parallèlement, les populations se battent sur tous les fronts afin de retrouver ‘’le paradis perdu’’. Des actions telles que le planting de cocotiers pour restaurer la plage et la construction d’une école primaire sont en cours de réalisation.

Dagbégo sur les traces de la Casamance

Dagbégo n’est pas un cas isolé. Plusieurs villages du littoral ivoirien et ouest-africain sont confrontés à ce phénomène. Les habitants de Dagbégo mettent, quant à eux, en cause la construction du pont de la Côtière sur la rivière Dagbé pour expliquer la disparition de la mangrove. Mais les experts sont unanimes et d’un autre avis. Le phénomène est essentiellement dû à l’intervention humaine (la recherche de bois de chauffe et de matériaux de construction), le changement climatique, l’érosion côtière, l’élévation du niveau des mers, la salinité des eaux. On note également les émissions de gaz toxiques dues aux activités industrielles et aux transports. Face à ce phénomène, une seule solution parait appropriée : replanter la mangrove. L’expérience a été réussie au Sénégal précisément en Casamance, où un vaste projet de reboisement de la mangrove lancé à partir de 2006 a permis de reboiser plus de 150 millions de palétuviers sur près de 15 000 ha. Dagbégo est certes encore loin de réaliser le ‘’miracle casamançais’’.  Mais, on peut le dire, le village est sur la bonne voie et peut être un cas d’école pour d’autres villages du littoral ivoirien et ouest-africain.

Zoom sur

Quand la Côte d’Ivoire oublie Dagbégo et d’autres régions touchées par l’érosion côtière

La Côte d’Ivoire dispose d’un programme de gestion de l’environnement côtier. Elle est également l’un des 6 pays de l’Afrique de l’Ouest bénéficiaires  du « Projet WACA » de la Banque mondiale (projet d’investissement dans la résilience des régions côtières ouest-africaines – West Africa Coastal Areas Resilience Investment Project, en anglais). Ce projet vise à aider les Etats à promouvoir l’économie bleue à travers  la lutte contre l’érosion côtière, la préservation et la restauration des écosystèmes côtiers et la revitalisation des infrastructures vertes, des mangroves aux récifs de corail.

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La mer a avalé environ 80 % de la superficie du village

Pour la mise en œuvre du projet, la Côte d’Ivoire, qui a bénéficié, le 9 avril 2018, d’un prêt de 30 millions de dollars, soit plus de 16 milliards de francs CFA de la Banque mondiale, a décidé de ne prendre en compte que la seule localité de Grand-Lahou. Le document y afférent et disponible sur le site internet du ministère ivoirien de l’Environnement est formel. « La zone d’intervention du programme (Projet WACA, ndlr) en Côte d’Ivoire est localisée dans la région des Grands Ponts. Elle concerne la commune de  Grand-Lahou et certains  villages environnants…», précise le document de plus de 150 pages. Grand-Lahou n’étant pas la seule région touchée par l’érosion côtière, il y a évidemment problème. Tout le littoral ivoirien, d’Assinie à Grand-Bassam, Assouindé,  Abidjan, Grand-Lahou, Sassandra jusqu’à San-Pedro est sinistré. Dès lors, l’on est en droit de s’interroger sur ce qui justifie le choix arbitraire de Grand-Lahou. La question reste  entière.

La pépinière de mangrove

Le ministère de la salubrité, de l’environnement et du développement durable a une réponse. Prof. Ochou Abé, coordonnateur des programmes dudit ministère et point focal du projet WACA, évoque la gravité de l’érosion côtière à Grand-Lahou d’une part, et l’insuffisance du financement d’autre part.  Une chose est sûre, l’insuffisance du  financement ne peut être un argument viable puisqu’en plus de cette manne financière, d’autres bailleurs de fonds tels que le Fonds nordique de développement (NDF) et le Fonds français pour l’environnement mondial apporteront chacun, respectivement, 13,1 millions d’euros et  de 1,3 million d’euros supplémentaires dans le cadre du projet WACA pour ne citer que ceux-là.

La propagule (bourgeon de la mangrove qui en temps normal repousse naturellement en tombant doit dans l’eau.

En excluant des régions du littoral du programme, pour telle ou telle  raison, la Côte d’Ivoire les laisse ainsi en marge du développement. Ce qui est fortement préjudiciable aux populations qui y vivent. Du coup, une initiative louable comme celle  de Dagbégo qui vise à assurer la survie de toute une population ne peut malheureusement bénéficier du soutien de l’Etat. Hélas !