Versus Bank: l’État organise une opération commando qui provoque un tollé dans les milieux des affaires
L’État ivoirien est déterminé à privatiser la société Versus Bank. Mais en violation de toutes les procédures en vigueur et des règles du jeu. Il tente d’exproprier le principal fondateur de cette banque commerciale dans une opération mafieuse qui, dans un État de droit, est vouée à l’échec.
Le mercredi 27 juin 2018, le Conseil des ministres ivoirien a provoqué un tollé dans les milieux d’affaires. Par décret, le capital social de la société Versus Bank a connu une augmentation. Il est passé de 3 milliards à 14,580 milliards de nos francs par l’émission de 267.233 actions nouvelles au profit de la Caisse générale de retraite des agents de l’État (CGRAE, Institution d’État de prévoyance sociale).
«A l’issue de cette opération, poursuit le communiqué du Conseil des ministres, l’État détiendra 300.000 actions, soit 52,89% du capital social de cette banque et le nouvel acquéreur disposera de 47,11% de ce capital».
C’est un coup de tonnerre et un coup de force excessif. Le communiqué dudit Conseil prend l’allure d’une opération commando pour déposséder l’actionnaire privé de ses parts dans la société. Le capital social de Versus Bank, société à participation financière publique, reste détenu dans les faits par deux actionnaires: l’État de Côte d’Ivoire pour 70% et Roger Jean-Claude N’Da Ametchi, principal fondateur de cette banque, pour 30%.
Agréée en qualité de banque par l’arrêté n°425/MEMEF/DGTCP du 1er décembre 2003, Versus Bank était, à sa création, une société anonyme de droit ivoirien détenue par des privés, à savoir l’Aiglon Holding SA de droit suisse de Cheikné Kagnassi, actionnaire majoritaire pour 65%, Roger Jean-Claude N’Da Ametchi pour 30% et Abou-Bakar Ouattara, 5%.
Faillite de l’actionnaire majoritaire.
Selon un rapport secret des experts de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et du ministère d’État ivoirien, ministère de l’Économie et des Finances sous le mandat d’Antoine Bohoun Bouabré, c’est N’Da Ametchi, démissionnaire du groupe Ecobank, qui a «initié le projet de création de Versus Bank».
Mais très rapidement la société Versus Bank va être confrontée à d’énormes problèmes. Ses fonds propres sont devenus négatifs au 31 décembre 2007 pour un montant de 21,827 milliards de FCFA.
Face à une situation financière dégradée du fait des déboires et de la faillite de l’actionnaire majoritaire, cette banque commerciale a été placée sous administration provisoire entre le 2 août 2006 et le 31 décembre 2008. L’Etat a ensuite décidé de racheter la participation de tous les actionnaires.
Mais depuis l’avènement du pouvoir Ouattara, l’Etat, appliquant la politique de deux poids deux mesures, ne rachètera pas la totalité du capital de la société. Il a racheté et payé intégralement les parts de deux actionnaires: l’Office cantonal des faillites de Fribourg, en Suisse (agissant en qualité de Syndic de la faillite de la société Aiglon Holding SA) pour un montant d’un milliard deux cents millions de francs CFA (1.200.000.000FCFA) et Abou-Bakar Ouattara pour quatre vingt douze millions trois cent soixante quatorze mille deux cent quarante francs CFA (92.374.240 FCFA).
En fait, l’Aiglon Holding SA et Abou-Bakar Ouattara sont les deux faces d’une même médaille. Car, ce dernier, ex-directeur général de Karité SA (société de négoce café-cacao en Côte d’Ivoire et filiale du groupe Aiglon), était le directeur de la comptabilité de l’Aiglon Côte d’Ivoire et représentant permanent de Aiglon Holding SA dans le conseil d’administration de Versus Bank.
Mieux, Abou-Bakar Ouattara fait partie du sérail. Cet expert-comptable est un fils du patriarche Gaoussou Ouattara et donc neveu d’Alassane Ouattara.
Il représente Hamed Bakayoko, alors ministre d’État, ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, au conseil d’administration de La Poste de Côte d’Ivoire, et son cabinet d’audit, Goodwill Audit ans Consulting, assure avec Ernst and Young, le commissariat aux comptes de la…. CGRAE.
Dans le collimateur du pouvoir.
Un actionnaire manque à l’appel: Roger Jean-Claude N’Da Ametchi. Il a été royalement ignoré dans le paiement du prix de cession de ses actions dans la société. Dans le collimateur du pouvoir Ouattara, il est le souffre-douleur. Par décret n°2011-0078 du 14 avril 2011 pris à l’hôtel du Golf, il a été suspendu de ses fonctions de directeur général de Versus Bank et le 3 mai de la même année, ses avoirs ont été gelés.
Pourtant, le 7 janvier 2009, un protocole d’accord de rachat d’actions de la Versus Bank a été signé entre Diby Koffi Charles, ministre de l’Économie et des Finances, pour l’État de Côte d’Ivoire, et Roger Jean-Claude N’Da Ametchi, le cédant. Les deux parties ont convenu du montant de cinq cent cinquante trois millions neuf cent cinquante mille francs CFA (553.950.000 FCFA) comme prix de la cession des 90.000 actions représentant 30% du capital social détenues par N’Da Ametchi qui devait être honoré le 31 mars 2009 au plus tard.
L’État a refusé de s’exécuter. Par exploit d’huissier, N’Da Ametchi a été contraint d’adresser deux sommations de payer les 28 mai 2014 et 5 juin de la même année. En vain. Alors, de guerre lasse, il a notifié, le 20 octobre 2014, à l’État ivoirien qu’en application de la clause de résolution de plein droit sans recours à la justice prévue à l’article 7 du protocole d’accord, il retrouvait la pleine propriété de ses 90.000 actions et redevenait actionnaire de Versus Bank.
De facto, Versus Bank qui était devenue une société d’État par le décret n°2009-02 du 6 janvier 2009, redevenait ainsi une société à participation financière publique avec deux actionnaires: l’État avec 70% des parts du capital social et Roger Jean-Claude N’Da Ametchi (30%).
C’est alors que l’État va entrer en conflit avec la loi, en se présentant et agissant comme l’actionnaire unique de Versus Bank. Le 24 juin 2015, en Conseil des ministres, le Gouvernement ivoirien décide unilatéralement la privatisation de Versus Bank. Mais il avoue que «la mise en œuvre de ce schéma nécessite le règlement à Monsieur N’Da Ametchi du prix des actions cédées à l’État en 2009, s’il confirme que le paiement n’a pas été effectif».
L’État souffle chaud et le froid.
Le 20 avril 2017, le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, en visite aux Etats-Unis d’Amérique, était devant la Chambre de commerce américaine pour inviter les milieux d’affaires américains à investir en Côte d’Ivoire. Aussi, sous la plume de notre confrère Gooré Bi Hué, il l’informait que «Versus Bank est sur la liste des privatisations mais un contentieux oppose l’Etat à un privé qui affirme détenir 30% du capital. (…) L’affaire est pendante devant les juridictions nationales» (Cf. le journal Fraternité Matin n°15.715 du 26 avril 2017, p. 3).
Soufflant le chaud et le froid, l’État ne met pas, en effet, tous ses œufs dans le même panier. D’un côté, et faisant mine d’écouter les recommandations du Comité de privatisation et à son initiative, il s’est montré favorable à un règlement à l’amiable, «si le défaut de paiement par l’Etat est avéré, en convenant du règlement de cette dette sur les recettes de la privatisation de la banque».
Ce sera en trompe-l’œil. Cette tentative sera sanctionnée par deux procès-verbaux de carence; l’Etat ayant brillé par son absence aux deux rencontres de conciliation. De l’autre, il a engagé le bras de fer pour un passage en force.
L’Etat de Côte d’Ivoire a saisi la juridiction des référés en décembre 2017 afin qu’elle fasse «injonction à Monsieur N’Da Ametchi Roger Jean-Claude d’avoir à cesser toutes menaces et toutes entraves au projet de privatisation qu’il a régulièrement entrepris». Et ce, sous «astreinte de cent millions de francs CFA par jour de retard».
En effet, pour être rétabli dans ses pleins droits, N’Da Ametchi a dû frapper à toutes les portes. Il a saisi les autorités nationales et internationales compétentes, dont celles de l’Union monétaire ouest-africaine (BCEAO et Commission bancaire) pour faire obstruction à son expropriation forcée.
Les résultats sont probants. Par l’ordonnance n°2655 du 30 mai 2018, l’État de Côte d’Ivoire a mordu la poussière: le juge des référés, s’est déclaré «incompétent à connaître de ce litige».
Cet échec judiciaire s’ajoute à d’autres défaites subies auparavant par l’État de Côte d’Ivoire. La banque d’affaires internationale Rothschild et Cie, qui agissait en qualité de conseil financier pour le compte de l’État ivoirien dans cette privatisation, a finalement pris ses distances en raison du contentieux sur le sujet. Le 29 mars 2017, ce mandataire déclarait avoir interrompu ses travaux, «sans date de reprise du processus prévu», dans un message adressé au Comité ivoirien de privatisation.
Climat délétère d’insécurité.
Quant au Comité de privatisation, lui-même, il confirmait également dans un courrier en date du 19 juillet 2017 et dans son rapport annuel 2017 que ses «travaux sont suspendus dans l’attente du règlement du litige opposant Monsieur N’Da Ametchi à l’État de Côte d’Ivoire».
C’est dans cette ambiance de bérézina que l’État, contre toute attente, a choisi de passer outre aux dispositions constitutionnelles qui garantissent, en l’article 11, le droit de propriété, aux décisions des juridictions nationales, aux réserves du Comité de privatisation et de son conseiller financier désigné pour s’installer dans la défiance et la rébellion, aggravant ainsi un climat délétère d’insécurité et de désordre dans le monde des affaires.
L’oukase du 27 juin 2018 est donc une fraude à la loi. D’un, Versus Bank reste une société à participation financière publique et toute décision d’augmentation du capital relève, non d’un décret, mais de la décision souveraine des actionnaires, tant privé que public. Sans compter que tous les actes sociaux (conseil d’administration, assemblée générale ordinaire ou extraordinaire sans la participation de N’Da Ametchi) sont frappés de nullité.
De deux, non seulement la participation de cet actionnaire privé à l’assemblée générale extraordinaire qui a décidé de l’augmentation du capital social, est obligatoire, mais la décision qui devait être adoptée, aurait dû être prise par les actionnaires représentant au moins trois-quarts du capital social, soit 75%. Or, l’État n’en possède que 70% et est disqualifié dans cette opération mafieuse.
Méthodes de barbouzes.
C’est le branle-bas de combat. L’opération reste bloquée avec un État piégé dans un dossier qui pue l’irrégularité. Le pire, c’est que cette forfaiture est censée se réaliser sur des fonds constitués, mois par mois, par les agents de la Fonction publique puisque la recapitalisation annoncée à hauteur de 14,580 milliards de nos francs sera alimentée par prélèvement sur les fonds de pension de retraite des Ivoiriens fonctionnaires qui sont étrangers à cette tentative de spoliation d’un de leur concitoyen.
Pour enrayer l’escalade de la violation des droits, Ouattara qui a soutenu que «la Côte d’Ivoire va surprendre l’Afrique et le monde», risque, au final, d’être bien servi avec la saisine des tribunaux tant nationaux qu’internationaux. Objectif, faire échec aux méthodes de barbouzes et à la loi de la jungle, afin que la justice triomphe.
Car, comme le soutient Jean-Baptiste-Henri Dominique Lacordaire, «entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit».
FERRO M. Bally
Source: Page officielle de FERRO M. Bally