Situation socio-politique/ Les Travaux d’Hercule du peuple ivoirien : capture des cavales mangeuses d’hommes, destruction de l’hydre de Lerne, destruction de Cerbère, gardien de l’Hadès et nettoyage des écuries d’Augias
Par Fobah Eblin Pascal*
La décision de l’actuel chef d’Etat ivoirien de briguer un nouveau mandat continue de faire des vagues au sein de la société civile et particulièrement de la classe politique. Enseignant de son état, Fobah Eblin Pascal apporte des éclairages sur ce qui s’apparente aux yeux d’une frange importante de la population comme un acte anti constitutionnel.
Les Travaux d’Hercule du peuple ivoirien : capture des cavales mangeuses d’hommes, destruction de l’hydre de Lerne, destruction de Cerbère, gardien de l’Hadès et nettoyage des écuries d’Augias.
Depuis que le Président Alassane Ouattara a décidé d’être candidat à un troisième mandat pour cas de force majeure, la Côte d’Ivoire est entrée dans une zone de turbulence. Le temps s’est arrêté pour les Ivoiriens divisés entre partisans d’Alassane Ouattara et partisans de l’opposition.
Ces derniers temps, la pression politique s’est accrue, exacerbant des conflits latents et rouvrant des plaies non cicatrisées. La Côte d’Ivoire est au bord du gouffre et la déflagration risque de toucher toute la sous-région. Mais l’attitude de l’autruche est celle adoptée par les acteurs extérieurs.
Les entités étatiques qui avaient tordu le bras à Laurent Gbagbo deviennent subitement très respectueuses des souverainetés. Les organisations sous-régionales s’affichent plus comme des syndicats de chefs d’Etat que des défenseurs des peuples et de leurs textes fondamentaux. Dans cette indifférence générale, la Côte d’Ivoire glisse dangereusement vers le Rwanda de 1994. Ce texte fondé sur les travaux d’Hercule appelle le peuple de Côte d’Ivoire à oser courageusement se débarrasser de tout ce qui nuit à la cohésion nationale.
Les quatre travaux d’hercule du peuple ivoirien : le mythe qui parle à notre conscience
Premier travail : capture des cavales mangeuses d’hommes
Diomède, fils de Mars dieu de la guerre, réputé fougueux, gouvernait le pays par-delà la Porte et il élevait les chevaux et les cavales pour la guerre sur les marais de ses terres. Ces chevaux étaient sauvages et les cavales féroces ; tous les hommes tremblaient à leur approche, car ils ravageaient le pays, causant de grands dégâts, tuant tous les fils des hommes qu’ils rencontraient sur leur chemin. Ils engendraient régulièrement des chevaux des plus sauvages et des plus méchants.
« Capture ces cavales et fais cesser ces actes mauvais » fut l’ordre qui parvint aux oreilles d’Hercule. « Va et délivre ce lointain pays et ceux qui y vivent ».
Deuxième travail : destruction de l’hydre de Lerne
« Dans l’ancien Argos est survenue une période de sécheresse. Amymoné implora l’aide de Neptune qui lui ordonna de frapper un rocher. Lorsqu’elle le fit, trois sources de cristal jaillirent. Mais, bientôt, une hydre y fit sa demeure ».
« Près de la rivière, se trouve le marais empoisonné de Lerne. Dans ce marécage infect, vit l’hydre monstrueuse, vraie calamité pour toute la région. Cette horrible créature a neuf têtes et l’une d’elles est immortelle. Prépare-toi à te battre contre cette bête répugnante. Ne pense pas pouvoir te servir de moyens ordinaires car, pour une tête détruite, deux autres repoussent immédiatement ». Hercule était dans l’expectative.
« Je ne peux te donner qu’un conseil. Nous nous élevons en nous agenouillant ; nous conquérons en nous rendant ; nous gagnons en cédant. Vas, ô fils de Dieu et fils d’homme, et conquiers. ».
Troisième travail : destruction de Cerbère, gardien de l’Hadès
Quand Hercule se trouva en présence de Celui qui était son guide, ce dernier déclara : « Tu as bravé mille dangers, ô Hercule, et beaucoup de choses ont été accomplies. Tu possèdes la sagesse et la force. Veux-tu les employer à secourir un être en proie à une incessante souffrance ? »
L’Instructeur toucha légèrement le front d’Hercule et, devant l’œil intérieur de celui-ci, une vision surgit : un homme gisait couché sur un rocher ; il gémissait comme si son cœur allait se briser. Ses mains et ses jambes étaient enchaînées et les chaînes qui le ligotaient étaient attachées à des anneaux de fer. Un vautour effronté et cruel rongeait le foie de la victime prostrée ; aussi un filet de sang s’écoulait de son côté. L’homme soulevait ses mains enchaînées et implorait de l’aide ; mais ses paroles se répercutaient vainement dans la solitude et étaient emportées par le vent… La vision s’évanouit. Hercule se tenait toujours à côté de son guide.
Quatrième Travail : nettoyage des écuries d’Augias
« La roue a tourné onze fois ; tu es maintenant devant une autre Porte. Tu as longtemps poursuivi la lumière qui vacillait tout d’abord, puis grandit jusqu’à devenir un phare sûr et qui maintenant brille pour toi comme un soleil resplendissant. Tourne le dos à son éclat ; reviens sur tes pas ; retourne vers ceux pour qui la lumière n’est qu’un point et aide-les à l’intensifier. Dirige tes pas vers Augias dont le royaume doit être nettoyé d’un mal très ancien. J’ai dit ».
Hercule passa par la onzième Porte à la recherche d’Augias, le roi. Quand il approcha du royaume sur lequel régnait Augias, une horrible puanteur l’assaillit qui le fit se sentir mal. Il apprit que, depuis des années, le roi Augias n’avait jamais fait enlever le fumier accumulé par son bétail dans les écuries royales ; les pâturages eux-mêmes étaient tellement recouverts du fumier que rien n’y pouvait pousser. Par conséquent, une pestilence mortelle s’étendait à tout le pays, causant des ravages en vies humaines.
Quel message pour le peuple ivoirien ?
La Côte d’Ivoire est à la croisée des chemins. Sa classe politique s’étripe sur des questions électorales et le respect de la loi fondamentale dont l’esprit et la lettre ont été violés par Alassane Ouattara et le conseil constitutionnel. Mais, plus que jamais auparavant, une possibilité s’offre au peuple de résorber ses contradictions, de créer les conditions d’une réconciliation véritable et d’un consensus national susceptible de jeter les bases d’un nouveau contrat social pour une Côte d’Ivoire plus rayonnante. Mais les ivoiriens tergiversent, ne semblent pas comprendre ni saisir l’opportunité que leur offre le destin pour construire du neuf en nettoyant les écuries d’Augias.
Le nouveau contrat social qui est à mettre en place a un prix et, il faut que les ivoiriens acceptent d’en payer le prix qui n’est pas forcément le prix du sang. Il doit être porté par des forces populaires (de tous les camps) capables de capturer les cavales mangeuses d’hommes, de détruire l’hydre de Lerne ainsi que Cerbère, gardien de l’Hadès. La Côte d’Ivoire doit vaincre ses propres démons pour renaître. Ils ont pour noms : tribalisme, clientélisme de la classe politique, népotisme, corruption, indiscipline, faiblesse des institutions, hyper-présidentialisme qui finit par faire le lit de la dictature, armée assimilée à une milice privée à la solde du pouvoir en place, floraison de supplétifs, etc. C’est dans l’union de tous ses fils et filles, à commencer par la classe politique, que ce défi ainsi décliné peut être relevé. Un seul camp ne saurait accomplir cette difficile mission de renouvellement des paradigmes fondateurs de la République.
Il va falloir de l’audace. Il va falloir vaincre les egos, du reste très surdimensionnés dans le paysage politique ivoirien. Il va falloir, par exemple, imposer que les cabinets ministériels ne soient pas mono-ethniques. Les collaborateurs du ministre devraient provenir des quatre subdivisions ethniques que compte le pays pour éviter que le pays soit pris en otage par une ethnie comme il l’est sous Alassane Ouattara au point de donner l’impression que l’intelligence est devenue ethnique avec le RHDP.
La crise politique actuelle donne l’occasion de s’entendre par consensus si l’on estime que les ivoiriens partagent des valeurs communes ou par compromis si, au contraire, l’on estime que des divergences existent sur des questions fondamentales et qu’il faut rechercher un juste milieu.
Le nouveau modèle à proposer aux Ivoiriens doit porter la marque de notre histoire collective, avec nos réussites et nos échecs auxquelles nous emprunterons ce qu’il faut et dont nous avons su tirer les leçons. Quel modèle économico-social notre histoire collective nous impose-t-elle et comment assurer la pérennité, en l’améliorant, de l’ouverture au monde et de la puissance hégémonique sous-régionale de la Côte d’Ivoire de sorte qu’elle continue d’être un pays toujours ouvert et à vocation exceptionnelle ; ce que les spécialiste de prospective ont désigné comme le « scénario de l’éléphant en marche? » Telle est la préoccupation de fond qui devrait guider le renouvellement des paradigmes en Côte d’Ivoire.
Avec ce modèle, il ne s’agira pas seulement d’enrichir les multinationales mais aussi d’enrichir les ivoiriens. Les multinationales et leurs pays se foutent pas mal que la démocratie ou la constitution soient respectées dans nos pays. Tout ce qu’ils recherchent, c’est faire le maximum de profits pour soutenir leurs états, même si le dirigeant en place doit appauvrir son peuple ou endetter son pays pour leur faire plaisir.
Ce modèle conduit toujours à des crises que paie seul le dirigeant qui pense avoir été désigné par les multinationales et leurs états pour veiller sur leurs intérêts et qui, pour cela, méprise son peuple. Elles n’hésitent pas à le lâcher et l’oublier pour coopérer avec le nouveau maître des lieux.
Le piège à éviter de la division
Les ivoiriens doivent éviter de tomber dans le piège de tous ceux qui instrumentent les milices ethno-tribales pour exacerber les conflits entre les communautés. En effet, ce que ces groupes recherchent à travers les attaques ciblées de ces jours-ci, c’est de dresser les communautés du sud contre leurs frères du nord. Il s’agit de pousser les paisibles populations ivoiriennes à bout, de les acculer au maximum pour qu’excéder elles en viennent aux mains en stigmatisant les communautés voisines. Ces milices ne doivent pas avoir le dessus sur la cohésion sociale ivoirienne.
Nous devons nous unir contre la barbarie et les démons de la division. Nous devons, partout, faire barrage à ces esprits rétrogrades. Partout, les communautés du nord et leurs hôtes du sud, les communautés du sud et leurs hôtes du nord doivent s’unir pour faire barrage aux milices à la solde de ceux qui veulent voir les ivoiriens se découper à la machette pour, ensuite, les justifier par l’ivoirité et la xénophobie qui sont leurs fonds de commerce depuis des décennies.
On le sait trop bien que ces esprits rétrogrades qui ne connaissent rien à l’histoire de ce pays et de sa multiculturalité ne prospèrent que dans la division des ivoiriens. Ils espèrent voir les ivoiriens emprunter les chemins incertains du Rwanda d’avril à juillet 1994. Mais, nous devons faire échec à leur plan funeste. C’est dans la solidarité et la fraternité que nous triompherons de ces grands diviseurs de la nation ivoirienne.
Nous sommes uns et notre slogan devrait être « tous pour un et un pour tous » pour sauver la Côte d’Ivoire, la Patrie de la vraie fraternité, hospitalière, généreuse, ouverte à tous mais fière de ses valeurs et de sa particularité unique en Afrique.
Faisons le pari d’un monde de paix, démocratique et plus prospère, avec des principes sacro-saints comme l’équité, la discipline et le respect de la loi fondamentale qui devrait être au-dessus des cas de force majeure qui pourraient pousser des dirigeants à renoncer à la parole donnée.
Otons du milieu de nous les prestidigitateurs et les pieds nickelés. Osons avoir de l’audace collective. Construisons une Côte d’Ivoire nouvelle dans le consensus retrouvé. Tout en espérant ne pas prêcher dans le désert.
Professeur à l’Université Alassane Ouattara*