Rwanda/Après le génocide, que justice soit rendue au peuple
Après plus de vingt-sept ans de conflit entre la France et le Rwanda, Emmanuel Macron est arrivé récemment à Kigali avec l’espoir, « d’écrire une nouvelle page » entre les deux pays. Deux mois après la remise du rapport de l’historien français Vincent Duclert, son discours au Mémorial du génocide a été écouté avec beaucoup d’attention-. Qu’est-ce que les autorités rwandaises en attendent ? Jean-Paul Kimonyo a été conseiller du président Kagame, il a publié « Rwanda demain » chez Karthala, il donne son point de vue sur cette visite.
Qu’attendez-vous du discours qu’Emmanuel Macron a prononcé -au mémorial du génocide de Gisozi ?
Pour nous, les faits sont plus importants que les mots, mais les faits, c’est d’abord d’accepter le rôle que la France a eu durant les années de braise au Rwanda, c’est une première chose. Ensuite, c’est la fin de l’hostilité de l’État français contre l’État rwandais qui est une chose de nouveau quand même. Et, il y a la poursuite des génocidaires – où la France a été complice. Il y a donc un certain nombre de faits qui ont été posés, et c’est cela – le plus important. Maintenant, les mots aussi ont leur importance. On est preneurs, mais on n’a aucune exigence. En tant que victimes de ce qui s’est passé au Rwanda, nous n’allons pas demander ou exiger des excuses. Non, on va attendre que le président Emmanuel Macron prononce le discours qu’il a préparé.
Et au vu du rapport Duclert, commandé par l’Elysée et publié il y a quelques mois, pensez-vous que les mots qui ont été prononcés par Emmanuel Macron ont été à la hauteur…?
…Le président français a fait preuve de courage. Rien ne l’obligeait à aller aussi fortement et aussi vite dans le processus de rapprochement avec le Rwanda. Donc, je ne vois pas pourquoi ce courage politique s’arrêterait là au mémorial du génocide contre les Tutsis. De ce point de vue, je fais assez confiance au président Emmanuel Macron, parce qu’il a fait preuve de courage politique et de clairvoyance.
D’autre part aussi, la barre a été relativement haute, puisque déjà le président Nicolas Sarkozy avait exprimé des regrets par rapport à une forme d’aveuglement. Donc, cela m’étonnerait que le président Emmanuel Macron aille en deçà de cela.
À partir du moment où Emmanuel Macron devrait aller plus loin que Nicolas Sarkozy, qui avait déjà parlé « d’erreurs et d’aveuglement » il y a de cela plus d’une dizaine d’années, est-ce qu’il n’a pas été conduit tout naturellement à présenter des excuses ?
Dans le monde actuel, il y a un esprit d’activisme qui quelquefois réclame des excuses à des grandes institutions, à des personnes, ce n’est pas vraiment dans la culture rwandaise. Dans la culture rwandaise, si quelqu’un doit faire des excuses, on laisse cette personne venir les faire elle-même, mais on ne va pas exiger d’une personne de faire des excuses.
Le Rwanda ne va rien demander à la France, mais si elle le fait, comment ce geste sera-t-il vu par les populations ?
S’il y a des excuses qui sont prononcées, bien entendu qu’on les acceptera avec un esprit très positif, bien sûr.
Dans une récente interview, le président Paul Kagame a laissé entendre qu’il continuait personnellement de penser que la France est complice du génocide des Tutsis, mais qu’il ne le dit pas pour des raisons politiques. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Je ne vais pas me comparer au président Paul Kagame, mais j’ai à peu près la même position, c’est-à-dire que, vu les faits, il y a une certaine conviction qui ressort de tous ces faits-là. Mais, maintenant, il y a aussi la réalité politique, la réalité sociale, la réalité économique de notre pays. Pourquoi chasser des fantômes du passé, alors qu’on peut reconstruire un avenir plus solide ?
De cette visite, vous attendez la fin de l’hostilité de l’État français à l’égard de votre pays, cela veut-il dire qu’un ambassadeur de France peut-il revenir à Kigali ?
Très probablement, c’est l’une des annonces qui a été faite par le président Macron. Ce serait l’aboutissement logique du processus de rapprochement entre les deux pays.
… Êtes-vous êtes pour ou contre le retour de l’enseignement du français à l’école au Rwanda ?
Je serais pour, mais de façon limitée, parce qu’on ne peut pas faire de zigzags avec la langue d’enseignement dans les écoles. C’est un processus lourd et ils sont déjà engagés dans le processus de l’anglicisation de la langue dans l’enseignement. Donc, cela pourrait se faire, mais de façon limitée. Après un certain nombre d’années, en ayant par exemple des options de cours de français ou même d’enseignement de français, mais après avoir d’abord bien maîtrisé le kinyarwanda, ensuite l’anglais, et ensuite le français.
Donc, le français en première langue étrangère en quelque sorte ?
Oui.
Au vu de la mainmise du Front patriotique français (FPR), parti au pouvoir sur la vie politique rwandaise ne porte-t-elle pas atteinte aux droits de l’homme ? On pense évidemment à la mort du chanteur de gospel – Kizito Mihigo, retrouvé mort, dans sa cellule du commissariat de police de Kigali le 17 février 2020-, tout cela ne risque-t-il pas de compliquer la réconciliation entre le Rwanda et la France ?
D’abord, c’est votre interprétation des faits, parce que, à ma connaissance, il n’y a aucune preuve de la façon dont vous présentez les choses. Et d’autre part aussi, que ce soit la France ou le Rwanda, ils devraient travailler sur des sujets d’intérêt commun plutôt que de chercher les sujets controversés qui pourraient nous faire reculer en arrière. Aller de l’avant est beaucoup plus utile, que ce soit pour la France ou pour le Rwanda, que de chercher des sujets controversés sur lesquels on ne s’entend pas.
Après le rapport Duclert, et le discours de Macron, êtes-vous favorable à des poursuites judiciaires, au Rwanda ou en France d’ailleurs, contre les responsables français de l’époque, de 1994 ?
Par rapport au gouvernement rwandais, je ne pense pas que le gouvernement français fera des poursuites, mais on ne peut pas empêcher la société civile ou les personnes privées de chercher à ce que justice leur soit rendue.
Source: rfi.fr