Le trésor de Béhanzin et le sabre d’Oumar Tall appartiennent de nouveau aux Africains.

Les députés français ont voté la première loi de restitution d’objets, au bénéfice du Bénin et du Sénégal. Cinq autres pays réclament le retour de biens culturels.Le trésor du roi Béhanzin et le sabre attribué à El Hadj Oumar Tall, chef spirituel et fondateur de l’empire toucouleur, n’appartiennent plus aux collections publiques françaises. Les députés ont définitivement adopté, jeudi 17 décembre, le projet de loi actant le transfert de propriété de ces objets au bénéfice du Bénin et du Sénégal, par dérogation au principe d’inaliénabilité du code du patrimoine.

Il s’agit des premières restitutions à l’Afrique d’objets spoliés pendant la colonisation, comme s’y était engagé le président Emmanuel Macron dans son discours à la jeunesse africaine prononcé à l’université de Ouagadougou, en novembre 2017. Ce texte « incarne une nouvelle ambition dans nos relations culturelles avec le continent africain », s’est félicitée la ministre de la culture, Roselyne Bachelot.

Les vingt-six objets provenant du palais des rois d’Abomey, emportés par les troupes du général Dodds lors de la conquête du Dahomey, en 1892, et aujourd’hui conservés au Musée du quai Branly, devront être remis au Bénin d’ici à un an au plus tard. Le sabre se trouve quant à lui déjà exposé au Musée des civilisations noires de Dakar, dans le cadre d’une convention de dépôt, signée en 2018.

L’adoption de cette loi marque une étape importante et hautement symbolique dans le travail de mémoire entrepris sur la colonisation et les circonstances dans lesquelles ont été acquis les œuvres d’art et les objets entreposés dans les musées français. Mais si les députés et les sénateurs ont approuvé de façon unanime ces deux restitutions, le débat parlementaire a mis en lumière les divergences persistantes sur la façon de procéder.

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Faute de compromis entre les deux chambres à l’issue d’une commission mixte paritaire, le gouvernement a été contraint de recourir à la procédure dite du « dernier mot », qui donne à l’Assemblée le pouvoir d’imposer son texte. Celui-ci a été expurgé de l’article introduit au cours de la discussion par les sénateurs, visant à créer une instance dévolue à l’examen des demandes de restitution. Le gouvernement s’y était montré défavorable, considérant que le travail mené au sein des ministères et par les musées permet déjà de répondre aux questions qui se posent, notamment sur l’origine des objets.

Une couronne malgache transférée en catimini

« Nous avons besoin d’un cadre pérenne, composé de scientifiques, qui puisse éclairer la décision politique sur les demandes de restitution. Pour cela, il est nécessaire de réfléchir à des critères qui aboutissent à une doctrine. Sinon, nous resterons dans le “fait du prince”, et les considérations diplomatiques continueront de prévaloir », maintient la sénatrice Catherine Morin-Desailly (Union centriste), présidente de la mission d’information sur la restitution des œuvres d’art et rapporteuse du projet de loi.

Les sénateurs ont particulièrement mal vécu l’épisode du transfert en catimini de la couronne ornant le dais de la reine Ranavalona III à Madagascar, début novembre, alors qu’ils examinaient le projet de loi en séance. « Seul le Parlement a le pouvoir d’aliéner les biens appartenant aux collections nationales. En abusant de la convention de dépôt [qui permet de confier un bien à un musée étranger], le gouvernement contourne le Parlement et le transforme en chambre d’enregistrement. Ce n’est pas acceptable », poursuit Mme Morin-Desailly. En outre, dans le cas malgache, les recherches sur la provenance de l’objet menées par le Musée de l’armée, où il était exposé depuis 1910, excluent qu’il s’agisse d’une prise de guerre ou d’un « bien mal acquis », catégorie qui avait été mise en avant par le rapport des universitaires Felwine Sarr et Bénédicte Savoy pour justifier d’une restitution.

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Ce rapport, remis à Emmanuel Macron fin 2018 et qui avait bousculé le milieu des conservateurs de musée français et européens en prônant un retour massif du patrimoine culturel africain appréhendé pendant la période coloniale, a été la cible de nouvelles critiques de la part des parlementaires. Le travail de M. Sarr et Mme Savoy avait permis d’évaluer à environ 88 000 le nombre d’objets africains présents dans les collections françaises, pour l’essentiel au Musée du quai Branly.

« Je ne dis pas que je le mets au placard, mais ce n’est pas une référence », estime ainsi Yannick Kerlogot (La République en marche), rapporteur du projet de loi sur les restitutions de la commission culture de l’Assemblée. Pour le sénateur Pierre Ouzoulias (Parti communiste), ses conclusions radicales ne permettent pas de bâtir un consensus national sur le sujet. Il déplore que ce rapport reste l’unique référence dans le débat public : « Le ministère de la culture est resté étonnamment absent depuis deux ans. Il aurait dû prendre position, dire ce qu’il souhaitait conserver. Aucune réflexion n’a été engagée. »

Examen des demandes au cas par cas

A l’issue de ce premier acte de restitution, il apparaît néanmoins clairement que le gouvernement ne s’engagera pas dans la réforme du code du patrimoine, comme le recommandaient les deux universitaires pour faciliter les procédures. « Ce projet de loi n’aura pas pour effet de créer une jurisprudence. Il n’institue aucun droit général à la restitution en fonction de critères abstraits définis a priori, a réaffirmé Roselyne Bachelot devant l’Assemblée. Il implique de déroger ponctuellement au principe d’inaliénabilité des collections publiques françaises. »

L’examen des demandes au cas par cas, assorti d’une loi « de circonstance », continuera donc d’être la règle. Outre le Bénin, qui, le premier, avait initié une demande de restitution en 2016, et le Sénégal (en 2019), cinq autres pays se sont engagés dans cette démarche. Le Tchad réclame « l’ensemble des pièces tchadiennes présentes dans les collections du Musée du quai Branly, soit presque 10 000 objets ». L’Ethiopie sollicite « 3 081 biens culturels éthiopiens conservés dans les collections publiques françaises », le Mali « seize biens » et Madagascar « l’intégralité des biens culturels malagasy présents sur le territoire français ». Enfin, la Côte d’Ivoire a identifié une liste de 148 objets. Des discussions en vue de la restitution du tambour parleur du peuple ébrié, exposé au Quai Branly, sont en cours. Cet instrument, dont le son servait à mobiliser les hommes, est considéré comme un des symboles de la résistance contre les troupes coloniales.

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Source : le monde .fr