Laurent Gbagbo : les extraits en exclusivité de son livre qui font des révélations sur Soro, Wattao …

Alors que Laurent Gbagbo espère obtenir un non-lieu devant la CPI, il revient dans un livre d’entretiens à paraître le 13 décembre sur ses années de pouvoir (2002-2010). Extraits de cet ouvrage, intitulé « Libre. Pour la vérité et la justice ».

Régulièrement, depuis 2012, le journaliste français François Mattei s’est rendu à la prison de Scheveningen pour y rencontrer Laurent Gbagbo. Pendant de longues heures, l’ancien président ivoirien, arrêté en 2011 au terme de la crise post-électorale ivoirienne, lui a raconté ses années au pouvoir, de 2002 à 2010. Le livre Libre. Pour la vérité et la justice (éditions Max Milo) publié ce jeudi 13 décembre, version augmentée et actualisée d’un précédent ouvrage paru en 2014, dont Jeune Afrique livre ici les bonnes feuilles, est le récit de ces entretiens. Les rares que le prisonnier le plus célèbre de la CPI a donné.

Convaincu qu’il a été victime d’un piège de la France, l’ancien président dresse un portrait sans concession des présidents français qui se sont succédés pendant sa présidence. Il livre sa version, par définition singulière et partiale, des épisodes les plus marquants et les plus tendus de sa présidence, des accords de Kléber-Marcoussis en 2003, au bombardement de Bouaké en 2004, jusqu’à son arrestation dans la résidence présidentielle en 2011, puis son transfert à la Cour pénale internationale.Jugé depuis près de trois ans pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, il publie ce livre à un moment charnière. Laurent Gbagbo attend en effet le délibéré des juges de la CPI sur sa demande de non-lieu mais aussi la réponse, le 13 décembre, à sa demande de libération provisoire, sur laquelle il compte plus que jamais.

Mi-octobre, Laurent Gbagbo était en pleine audience de non-lieu devant la CPI. Plus de deux ans et demi après le début du procès et alors que les 82 témoins de l’accusation ont été entendus, les avocats de l’ancien président ivoirien ont plaidé l’abandon de toutes les charges. Selon eux,le dossier est vide et leur client doit être libéré. Laurent Gbagbo se confie alors à François Mattei.

– Mon ambition, c’est de revenir chez moi, en Côte d’Ivoire. J’ai réservé une maison pour m’accueillir. I go back home ! J’ai déjà fait acheter des matelas pour remplacer ceux qu’on m’a volés dans ma petite maison du village. On m’a aussi pris tous les draps, et un minuscule frigo posé à côté de mon lit. Je ne me plains pas : tant d’Ivoiriens ont tout perdu ! J’en parle que pour souligner que les rebelles n’étaient, pour beaucoup d’entre eux , que de pauvres gens manipulés, affamés : le vol de mes matelas est une illustration.

François Mattei : Et redevenir président en 2020 ?

– Il n’est pas indispensable d’être président pour faire de la politique, et se rendre utile. La Côte d’Ivoire, l’Afrique, c’est ma vie, et je serai toujours concerné par leur destin. »

Moins de deux ans après l’arrivée au pouvoir de Laurent Gbagbo, le 19 septembre 2002, des rebelles tentent de prendre le pouvoir à Abidjan. Le coup d’État échoue, mais ouvre huit années de crise politique majeure et conduit à la partition du pays. Les forces loyalistes de Laurent Gbagbo ne contrôlent plus que le Sud du pays, tandis que la rébellion s’est installée au Nord. Laurent Gbagbo reste intimement convaincu que la France a été derrière toutes les déstabilisations qu’a connu son régime.

« Les 18 et 19 septembre 2002, j’étais en voyage officiel à Rome. À peine arrivé, qu’est-ce que je vois, à l’hôtel ? Robert Bourgi. Bien sûr, j’ai trouvé la coïncidence curieuse, et pour tout dire, ça ne pouvait pas en être une. Nous avons dîné ensemble.

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J’ai rencontré le président de la République, puis j’ai rencontré Silvio Berlusconi, qui était à l’époque président du Conseil. […] Il m’a raccompagné à ma voiture en me tenant le bras, et quand nous avons été seuls, qu’il a été certain que personne ne l’entendrait, il m’a dit : “Tu me plais, toi. Si je peux te donner un conseil : méfie-toi de Chirac. Il est très sympathique, comme ça, mais il poignarde dans le dos.”

Vers 3 ou 4 heures du matin – il était 2 heures à Abidjan – j’ai été informé par un coup de fil de l’attaque militaire massive déclenchée dans tout le pays. Je décide de rentrer immédiatement. Robert Bourgi apparaît à ce moment et insiste : “Passe à Paris voir ton grand frère [Chirac]”. Sur le moment, j’ai pensé à tous ces chefs d’État, en Afrique, qui étaient partis en voyage, et n’avaient jamais pu rentrer. Je n’avais pas vu le pape, je ne suis pas allé à Paris, voir Chirac. Je suis rentré à Abidjan.” »

Laurent Gbagbo n’épargne aucun des présidents français auxquels il a eu affaire. Ni Nicolas Sarkozy, ni François Hollande, ni Jacques Chirac. Il assure que ce dernier lui a demandé de financer la campagne électorale française de 2002.

« C’était en 2001, je pense. Villepin et Robert Bourgi m’ont demandé de cracher au bassinet pour l’élection en 2002 en France. Nous étions dans un salon du restaurant Lapérouse, qui se trouve sur le quai Voltaire, près de la Documentation française. C’était le prix pour avoir la paix, en Françafrique. J’ai eu une entrevue avec Chirac, tout s’est très bien passé, il m’a raccompagné, il était très amical, et il m’a dit en me tapant sur l’épaule, sur le perron : “Je ne suis pas un ingrat.” Je ne suis pas fier de cet épisode, mais je pensais y gagner la marge de manœuvre nécessaire pour avancer vers nos objectifs. On me l’a reproché en disant que c’était la preuve de mon double langage, que je m’appuyais sur le néo-colonialisme pour le critiquer. Comme si on pouvait toujours répondre à des partenaires aussi puissants, sans employer la ruse et la diplomatie… Au moins, ils ne sont jamais revenus à la charge. Je n’aurais pas accepté. Ils le savaient. »

« On m’a glissé sous la porte de ma chambre le texte des accords de Marcoussis »Du 15 au 26 janvier 2003, à Paris, se tiennent des négociations pour parvenir à un accord de paix. À Linas-Marcoussis, sous l’égide de la France, se retrouvent les principaux acteurs politiques : Guillaume Soro, à la tête de la rébellion, Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo, qui a « hésité à venir ».
« Je suis arrivé le jeudi 23 janvier 2003, par un vol régulier d’Air France : je craignais qu’on tire sur mon avion présidentiel. Tout est toujours possible. Je devais voir Chirac le lendemain à 16 heures à l’Elysée. Le matin de ce fameux vendredi, on m’a glissé sous la porte de ma chambre, à l’hôtel Meurice, le texte des accords de Marcoussis. Bongo était descendu dans le même hôtel, pour me travailler au corps. C’était un ami de Ouattara, et le plus fidèle allié de la France depuis la disparition d’Houphouët. À 11 heures, je suis parti pour l’Elysée, Le Monde était déjà paru. Je l’ai lu dans la voiture, j’ai découvert qu’ils y donnaient déjà, en page 2, le nom du futur Premier ministre, une proche de Ouattara, membre de son parti, le RDR, Henriette Diabaté. »

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L’affaire du bombardement de Bouaké

reste une des plus grandes énigmes de la crise ivoirienne. Le 6 novembre 2004, deux sukhoïs de l’armée ivoirienne bombardent la base militaire française de Bouaké, faisant dix morts. La France riposte immédiatement en détruisant toute l’aviation ivoirienne. S’ouvre alors la plus grave crise entre Abidjan et Paris. Laurent Gbagbo a toujours assuré ne jamais avoir donné l’ordre de tirer sur la base française. Il est convaincu qu’il s’agit d’une « bavure de Paris », notamment car les pilotes des sukhoïs, interpellés au Togo, n’ont pas été réclamés par la France.

« Le ministère de l’Intérieur du Togo, François Boko, les fait arrêter ? Il les garde dix jours. […] Eh bien ! La France n’en a pas voulu !!! Cela prouve bien qu’il s’agit d’une bavure française et non d’une bavure ivoirienne.Mon explication, c’est qu’il y avait une filière parallèle, qui travaillait par-dessus la tête de l’ambassadeur, et même d’Henri Poncet [qui dirigeait à l’époque les forces françaises de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire, ndlr]. […] En France, il y a des gens qui savent très exactement ce qui s’est passé… Un coup de billard à trois bandes qui a mal tourné. »

Après le bombardement de Bouaké, des chars français se rendant à l’Hôtel Ivoire, le grand hôtel de la capitale économique ivoirienne, passent à proximité de la résidence présidentielle qu’occupe Laurent Gbagbo à Cocody. L’armée française assure qu’elle s’est trompée de chemin. Pour l’ancien président, il s’agit d’une tentative de coup d’État.

« Les Français ont dit après coup « qu’ils avaient fait une erreur de trajet. » Quand on connaît Abidjan, c’est impossible à croire. Ils venaient donc pour me faire fuir, ou me faire tuer par quelqu’un pour me remplacer : le plan était de mettre Doué [Mathias Doué, chef d’état-major de l’armée ivoirienne de 2000 à 2004, ndlr] à ma place, « en interim », mais il s’est dégonflé. C’est aussi ce qui a fait rater l’affaire. »

Le 11 avril 2011, après quatre mois de guerre qui ont fait 3 000 morts selon les Nations unies et suite à une offensive des troupes rebelles appuyées militairement par la France, Laurent Gbagbo est arrêté dans la résidence présidentielle de Cocody.

« Les rebelles sont descendus en tirant. « On veut Gbagbo ! » Je me suis levé : « C’est moi Gbagbo. » Ils m’ont saisi. J’ai reconnu Wattao [un des commandants de la rébellion, ndlr]. Il a dit : « Il ne faut pas le toucher. » […]

C’est Ouattara Morou [un autre commandant de la rébellion, ndlr] qui m’a mis le gilet pare-balles, le casque. Je savais à partir de ce moment que tout pouvait m’arriver, à moi, à tous les miens… Ouattara Morou m’a poussé dans un véhicule qui a roulé à tombeau ouvert, et on est allés jusqu’à l’Hôtel du Golf. Là, on m’a fait attendre dans une pièce, j’ai vu d’autres prisonniers couchés à même le sol, puis on m’a mené au quatrième étage, dans une chambre, je crois la 468.

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Les barons du nouveau régime sont venus me voir : Soro, avec une petite casquette, Hamed Bakayoko. Pour quoi faire ? Pour savourer leur victoire. Ils sont restés une quinzaine de minutes, pas plus. »

Laurent Gbagbo est ensuite détenu à Korhogo, dans le Nord du pays, où il passe huit mois. Le 29 novembre, le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale lui est signifié.

« Ce jour-là, mardi 29, alors que l’interrogatoire a repris un magistrat se précipite dans la salle où nous nous trouvons et nous annonce que la CPI demande mon transfert à La Haye. Mes avocats objectent que seule la cour d’appel est habilitée à traiter d’une telle requête, et que si audience il doit y avoir elle doit se tenir au siège de cette cour à Abidjan. « Tous les magistrats de la cour d’appel sont là, nous rétorque-t-on, inutile d’aller à Abidjan ! »

Mes avocats ivoiriens, ceux qui étaient présents, ont voulu s’exprimer. C’est à peine si les juges les ont écoutés. Mais ils ont été courageux, ils ont insisté et ont fini par faire résonner la voix du droit et de la raison. Cela n’a pas suffi.

Ça s’est passé comme ça, et ça n’a rien à voir avec le droit… ni avec rien de normal, d’ailleurs. On ne m’a même rien donné à manger de la journée… Après l’audience, les gardes m’ont emmené en me disant que je rentrais dans la maison où j’étais détenu, et que je pourrais revoir mes avocats le lendemain. Les avocats y ont cru ! »

route de la maison. J’ai demandé où nous allions : « On ne s’arrête pas ? » Il m’a répondu : « Non, on va l’aéroport. Il n’est pas éclairé et votre avion doit partir avant la nuit, à 18 heures 30. » « Où est-ce que je vais ? » Il n’a pas eu le courage de me le dire. Il a dit : « Abidjan. » J’ai rigolé, ça j’avais compris. Il n’a pas osé répondre. Je crois qu’il a eu honte. En fait, nous sommes allés jusqu’à l’aéroport de Korhogo. Et de là, on m’a mis dans l’un des deux avions officiels de la présidence et direction La Haye. »

Depuis fin 2011, Laurent Gbagbo est incarcéré à la prison de Scheveningen. Son procès pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité s’est ouvert en janvier 2016 et est toujours en cours. Dans son livre d’entretien avec François Mattei, l’ancien président ivoirien se montre confiant quant à l’issue des audiences.

« Mes avocats ont su retourner complètement la situation. Mes adversaires croyaient avoir gagné et avoir utilisé la Cour pénale internationale à leur profit. Il apparaît désormais qu’ils ont tout à perdre à un procès. Parce qu’un procès révélera la vérité. Ils sont coincés. C’est là l’un des grands mérites d’Emmanuel Altit et de son équipe, avoir compris immédiatement quelle avait été la réalité sur le terrain et être parvenus à la donner à voir aux juges. Ils ont détruit la preuve du procureur. Désormais, tout le monde sait que les éléments présentés par le procureur au soutien de ses allégations ne résistent pas à l’analyse. Enfin, ils ont montré le parti pris du procureur qui va avec le vent que soufflent les grandes puissances. »

Source : jeune Afrique

NDLR: Le titre est de la rédaction