Gabon/Le trafic de bois précieux au centre des mesures politiques

La lutte contre les trafiquants de bois précieux est-elle prétexte à règlement de compte politique ? Le célèbre écologiste Marc Ona qui a reçu en 2009 aux États Unis le prix Goldman pour l’environnement fait le constat.

Que pensez-vous des poursuites lancées par la justice gabonaise contre de présumés trafiquants de bois précieux ?

A la suite d’une enquête menée par la douane internationale, la justice gabonaise est arrivée à un constat. Le bois précieux, le kevazingo, est exploité de manière illégale au Gabon. Cette intervention de la justice fait suite aux enquêtes que nous avons déjà menées sur le terrain depuis bientôt cinq ans. Nous avons toujours dénoncé cette exploitation illégale de cette richesse – mais pas seulement, de toute la forêt gabonaise – par des compagnies chinoises. Et selon les statistiques du ministère des Eaux et forêts lui-même, les opérateurs chinois occupent 71% des permis attribués. Vous imaginez l’ampleur.

Plusieurs opérateurs chinois sont poursuivis en effet, dans cette affaire, dont François Wu, qui est présenté par le procureur de Libreville comme le cerveau de tout ce trafic. Mais ce dernier a clamé son innocence en se présentant comme un expert en conseil juridique et un traducteur, que nulle part, son nom n’est associé à aucune  signature !  

Dans ses déclarations, François Wu fait dans la mauvaise foi, il a eu de très bonnes relations au sommet de l’État, à tous les niveaux. Il passait pour un expert juridique. Mais, au fond, c’est lui le grand spécialiste de tous les réseaux chinois, qui s’installent au niveau du Gabon pour l’exploitation forestière. Et le procureur n’a pas tort de dire que c’est le cerveau de la mafia forestière dans le pays. Tout simplement, parce que la plupart des petites compagnies chinoises qui s’y installent, c’est lui qui les introduit dans les milieux politiques.

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Quand le ministre Franck Nguema affirme, « Il n’y a pas de chasse aux sorcières envers les opérateurs chinois, je peux vous assurer qu’il existe au Gabon, dans la filière bois, des opérateurs chinois qui sont réglo», il a raison ou pas ?

Il y a des opérateurs chinois qui sont en train de prendre conscience de la gravité de la situation. Il y a même un groupe de syndicats qui s’est créé à côté, pour dénoncer les pratiques de certaines compagnies chinoises. Une ONG britannique – EIA – vient de publier un rapport sur l’exploitation forestière illégale au Congo Brazzaville et au Gabon. Et ce qui ressort en caméra cachée, ce sont les déclarations des opérateurs chinois par rapport à leurs pratiques. Là, ils reconnaissent, effectivement, que, s’ils respectaient la règlementation en vigueur au Gabon, ils ne gagneraient absolument rien. Ils reconnaissent avoir corrompu de hauts responsables administratifs et politiques. Voilà la collusion de l’administration dans cette mafia chinoise. Tout simplement parce que chaque homme politique, chaque ministre, chaque député a son chinois exploitant forestier.

Le vice-président Maganga Mousavou et le ministre d’État Guy-Bertrand Mapangou ont été limogés suite à ce scandale. Est-ce que vous approuvez ces mesures ?

Je pense que, quand on veut prendre des mesures individuelles, il faut aller jusqu’au bout de la logique. Si on essaie d’identifier les principaux acteurs qui interviennent dans ce scandale, en premier nous avons l’Office des Ports et Rades du Gabon (Oprag), où ces containers étaient stockés. Est-ce que l’on peut dire que 353 containers de Kevazingo ont disparu au port, alors que le port est sécurisé ? Est-ce qu’on peut ne pas incriminer le ministre des Transports, le ministre de l’Économie ? Aujourd’hui, le directeur des Douanes est en prison. Donc, si on voulait aller jusqu’au bout de la logique, on aurait limogé le ministre de l’Économie, le ministre des Transports, le directeur de l’Oprag et bien d’autres fonctionnaires. C’est pour cela qu’à un moment donné, nous avons salué cette action. Mais on se rend finalement compte qu’il y a une petite odeur de règlement de comptes politiques derrière.

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Dans la majorité présidentielle, on dit souvent qu’il y a une lutte d’influence entre deux clans. Celui de la première dame et celui des Républicains. Et certains disent que Guy-Bertrand Mapangou pourrait être le bouc émissaire de cette lutte de clans.

Qu’on ne profite pas d’un scandale forestier, qui est réel, pour régler les comptes politiques !

Opposant d’Ali Bongo, depuis dix ans, est-ce que vous ne reconnaissez pas qu’il  est un champion de la protection de l’environnement ?

Les efforts fournis par le président Ali Bongo sont louables dans la protection de l’environnement. Cela, personne ne peut le nier. Sauf qu’aujourd’hui, beaucoup sont en train de profiter de  son état la santé  pour prendre certaines décisions. Et quand on regarde la gestion des parcs nationaux, quand on regarde un peu ce scandale du kevazingo, quand on voit la création des agences qui n’ont fait qu’engloutir des sommes colossales pour des résultats absolument nuls, vous comprenez qu’on prend des décisions qui n’ont pas de lendemain. On gère les personnes, on ne gère pas l’environnement.

Vous avez rejoint le groupe « Appel à agir », qui demande à la Cour constitutionnelle de déclarer une vacance du pouvoir. Mais au vu des images du président Ali Bongo, qui travaille au palais présidentiel, qui reçoit de nombreuses personnalités étrangères, est-ce que vous n’êtes pas en retard sur l’actualité ?

Maintenant, dans notre « Appel à agir », nous disons qu’il faut absolument déclarer la vacance de la présidence de la république. Ces images vidéo qui sont tournées – elles ne sont pas en direct là – ne nous convainquent pas du tout. On voit monsieur Ali Bongo qui reçoit, mais monsieur Ali Bongo ne s’est jamais exprimé. Il ne s’est jamais adressé aux Gabonais depuis qu’il est arrivé ! Monsieur Ali Bongo, aujourd’hui, va célébrer les dix ans de la disparition de son père. Nous attendons la sortie d’Ali Bongo pour s’adresser aux Gabonais. C’est pour cela que nous souhaitons que la vacance du pouvoir soit déclarée, que la transition soit assurée par celle qui doit le faire. C’est-à-dire madame Lucie Milebou-Aubusson, présidente du Sénat.

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Source : rfi.fr