Débat sur la présidentielle de 2010: voici pourquoi Bédié n’a pas fait de recours, Gbagbo non plus.
Par Léon SAKI – Afrique Matin.Net
Dans son tout dernier livre, sorti le 14 décembre dernier, l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, depuis la prison de Scheveningen fait des révélations majeures sur le premier tour de la présidentielle de 2010. Lesquelles révélations sont aujourd’hui au cœur d’un débat houleux entre « Pro – Pro ». « Ehui m’a dit :” J’étais avec Bédié toute la soirée, on a travaillé. Je t’appelle demain.” ….Bien sûr, il était question que Bédié conteste officiellement. Il ne l’a fait que le cinquième jour.Trop tard, la réclamation n’était plus recevable ». C’était volontaire, Bédié est non seulement économiste mais il est aussi juriste. Il savait ce qu’il faisait. Il a cédé aux pressions de la France, et à son portefeuille », a-t-il indiqué.
Cette sortie inattendue de Laurent Gbagbo qui continue de souffler sur le paysage politique ivoirien, a manifestement secoué le PDCI dont le premier responsable, publiquement indexé ici, a choisi de faire recours à la justice en vue de restaurer son intégrité morale insultée. Mais en aura-t-il le courage, se demandent les partisans de Laurent Gbagbo? Ces derniers estiment que le président du PDCI, convaincu de la vérité des faits établis, ne s’avisera jamais à mener une telle démarche.
C’est à ce niveau d’échanges que le nouveau maire de Tiassalé, Assalé Tiémoko, intervient pour accuser Gbagbo d’avoir usé de son autorité présidentielle et sa proximité fraternelle avec le président de la Cour Constitutionnelle pour empêcher voire invalider le recours du candidat Bédié, qui s’est dit spolié de 600 000 voix.
Chose qui sera démentie quelques heures après par Khara Kakri, un ancien travailleur de la Cour Constitutionnel, proche collaborateur de Paul Yao N’dré: « Je travaillais au Conseil Constitutionnel, nous y avons veillé tous les jours, au second tour, depuis la fin du vote jusqu’à la proclamation des résultats par le Conseil Constitutionnel en passant par la parodie de la CEI. Les conseils de Bédié ne s’y sont emmenés qu’au lendemain de la forclusion. Ils savaient bien le délais qu’il fallait pour déposer leur requête, tous juristes qu’ils sont, mais ils ont fait exprès. Eux seuls savent pourquoi ».
Si Assalé Tiémoko pense qu’il y a eu une volonté manifeste pour le Président Laurent Gbagbo de ne pas voir le candidat Bédié au 2ème tour, certains estiment également qu’en tant que candidat, et selon l’article 60 du code électoral, Gbagbo avait le droit de formuler une requête auprès du Conseil constitutionnel pour dénoncer les irrégularités dont il dit avoir eu connaissance.
Voici ce que dit la loi à ce sujet: « Considérant que l’article 60 du code électoral modifié par l’ordonnance 2008-133 du 14 avril 2008 portant ajustement au code électoral dispose que tout candidat à l’élection du président de la république peut présenter une requête écrite au président du Conseil Constitutionnel, une réclamation concernant la régularité du scrutin ou son dépouillement».
Après tout ce qui précède, nous nous retrouvons face à deux interrogations majeures: La première est, pourquoi Bédié n’a-t-il pas fait de recours à temps, si on s’en tient au témoignage de Khaza Kakry? Et la deuxième, pourquoi Laurent Gbagbo n’a-t-il pas eu recours à l’article 60 pour dénoncer les irrégularités dont il était informé?
Connaissant le poids politique du PDCI et au regard de la ténacité dont il fait aujourd’hui preuve quant à la dénonciation des fraudes concernant les dernières élections municipales au Plateau, à Port-Bouët et à Grand-Bassam, franchement, le silence de ce grand parti devant les graves irrégularités constatées lors de la plus suprême des élections, lesquelles devaient lui permettre de reconquérir le fauteuil présidentiel, nous parait suspect. Il aurait fallu au plus vieux parti politique d’élever le ton pour que le processus électoral gravement entaché soit repris.
C’est toute la raison qui permet de dire, sans risque de se tromper, que quelque chose ne semblait pas tourner rond. Le président français Nicolas Sarkozy que l’on savait « très violent » a certainement exercé une pression sans pareille sur le président Bédié qui a fini par céder, préférant sauver ce qu’il a encore de très précieux et qu’aucune élection ne peut procurer. Bien pris et bien liés par les chaines sarkoziennes, le seul espoir qui se dégageait des pensées profondes du patron du PDCI n’était autre que l’usage de l’article 60 par l’un des candidats notamment Laurent Gbagbo.
Si le président Bédié semblait être pratiquement associé aux grandes stratégies de la conquête absolue du pouvoir, au nom de l’alliance, ce n’était pas le cas pour certains plans, et il le savait très bien. C’est pourquoi il a compté sur la balle qui vient de l’adversaire et qui annule le hors jeu. Ceux qui le persécutaient ne lui en voudraient pas si Gbagbo avait fait une réclamation synonyme d’un deuxième tour pour le PDCI . Mais Gbagbo avait-il intérêt à sauver Bédié? Tout l’intérêt du sujet réside à ce niveau. L’ex-président ivoirien avait trois raisons fondamentales de ne pas courir au secours du soldat Bédié.
La première et plus évidente est qu’ils ne sont pas du même camp.
La deuxième raison, quelque peu risquée, est la suivante: conscient de ce qu’il est confronté à une guerre de tous contre lui, qu’adviendrait-il si un recomptage des voix ou une reprise des élections lui revenait défavorable alors qu’il a déjà son ticket pour le deuxième tour? Au simple regard de ces deux points, il aurait été absurde pour Laurent Gbagbo de recourir à l’article 60, rien que pour faire plaisir à Bédié et ainsi courir le risque de faire le lit de sa défaite.
Enfin, la troisième raison, plus calculatrice et mathématique, donne encore tord à ceux qui estiment que Laurent Gbagbo aurait pu dénoncer les irrégularités constatées. En effet, lorsqu’on se présente à une élection, c’est pour la gagner. Pour ce simple principe, des calculs de probabilités sont souvent effectués pour définir les possibilités de victoire qui s’offrent au candidat.
Entre Ouattara et Bédié, lequel des candidats paraissait-il vincible par le candidat de la LMP? Pour le savoir, faisons les interprétations suivantes: Dans la crise ivoirienne, deux groupements politiques sont farouchement opposés, le RDR et le FPI. Si le PDCI accédait au deuxième tour, conformément à la plate-forme du RHDP et pour des raisons idéologiques, les militants du RDR apporteraient, corps et âmes, leur soutien systématique voire aveugle à Bédié, qui gagnerait les élections, malgré tout. Laurent Gbagbo ne pouvait donc sortir vainqueur de ces élections qu’avec Alassane Ouattara comme adversaire au deuxième tour.
Parce qu’une bonne partie des électeurs du PDCI frappés par le découragement ne prendraient plus part au deuxième tour. Il faut rappeler qu’une bonne partie des militants du PDCI dont les leaders ont dû s’allier à la Majorité Présidentielle (LMP) de Laurent Gbagbo, n’ont jamais digéré l’alliance du PDCI d’avec le RDR et les Forces Nouvelles, pour des raisons historiques et politiques. C’est pourquoi, le FPI a pu faire des percées spectaculaires dans des zones autrefois favorables au PDCI notamment le sud et l’est. Il faut conclure simplement pour dire que la politique, c’est la saine appréciation des réalités du moment.