Création d’une Force miliaire anti-putschs /Les réflexions ont-elles été poussées à fond et bien nourries ?
Par Babacar Justin Ndiaye*
La création d’une Force miliaire anti-putschs et, surtout, sa mise en branle soulèvent un geyser de questions et un paquet d’appréhensions singulièrement dans les pays du Sahel qui connaissent une progression fulgurante du djihadisme comme le Burkina ou une certaine sédimentation du terrorisme tel le Mali.
Concrètement, si un officier putschiste (tel le Capitaine Ibrahima Traoré) torpille le processus de Transition, perpétue son coup d’État et garde le fauteuil présidentiel, à l’instar du Général Mahamat Déby au Tchad, la Force anti-coups d’État de la Cédéao débarquera alors à Ouagadougou, affrontera une partie de l’armée burkinabé, cassera l’outil de défense du pays de Thomas Sankara puis installera de facto un Protectorat militaire étranger dans un pays souverain. Question : est-ce que les chefs d’État réunis à Abuja et leurs conseillers ont réfléchi à un cas de figure aussi extrême, aussi inacceptable et évidemment non viable ?
Est-il nécessaire d’indiquer que dans la foulée d’une intervention communautaire qui engendre ainsi un supplément de chaos, les terroristes (maîtres d’une bonne partie du territoire burkinabé) ne resteront pas les bras croisés et contraindront la Force anti-putschs à se muer en Force d’occupation et de lutte antiterroriste sans en disposer les moyens humains et matériels. Et obligation sera faite à la Cédéao de faire appel à Barkhane qui rôde dans les parages.
Bref, cette Force militaire anti-coups d’État aura du mal à masquer le cordon ombilical la reliant potentiellement à la Force Barkhane. D’autant que des opérations aéroterrestres ne pourront être lancées qu’à partir de Dakar, Abidjan et Niamey (Lagos et Accra étant très éloignées) en direction de pays continentaux comme le Mali et le Burkina enclavés et dépourvus de façades maritimes. D’où la nécessité pour la Cédéao de solliciter les pays étrangers ayant des norias d’avion-cargo et des Bataillons ou Régiments du Train bien équipés.
Au demeurant, certains observateurs soupçonnent la Cédéao de ramer en faveur d’un retour de la force Barkhane sur zones sahéliennes, non pas par des accords entre une capitale et Paris mais, cette fois-ci, sous l’égide et les auspices « légitimants » d’une conférence au sommet ; et plus nettement encore avec l’approbation officielle des Présidents ouest-africains.
Exhiber les biceps contre les coups d’État amorce indiscutablement une opération normale de salubrité politique et démocratique. Toutefois, la crédibilité serait davantage au rendez-vous, si la Cédéao créait-parallèlement à la Force militaire anti-putschs – une Force politique, morale et éthique de sauvegarde des textes constitutionnels. Autrement dit, la Cédéao devait simultanément imposer l’intangibilité des Constitutions et de toutes leurs dispositions, dès lors qu’elles sont votées par voie référendaire.
Au chapitre des 46 militaires ivoiriens détenus au Mali, les muscles brandis par la Cédéao laissent les observateurs totalement perplexes ; notamment sur la nature et les contours des sanctions envisagées en janvier 2023.
Le Président Alassane Ouattara a visiblement réussi le tour de passe-passe qui consiste à transformer une affaire strictement bilatérale en une affaire communautaire. Une arrestation de soldats qui concerne de prime abord les deux capitales Bamako et Abidjan. Et par extension, la Minusma sortie des entrailles de l’Onu.
Une ultime interrogation affleure ; « le Président ivoirien réussira-t-il la prouesse d’embarquer un pays comme le Sénégal dans un nouvel embargo contre le Mali ou dans une posture forcément chargée d’étincelles ravageuses pour les relations exceptionnelles entre les deux pays « ?
À l’heure où l’économie sénégalaise renoue avec la vigueur ; au moment où les Premiers ministres de l’OMVS viennent de boucler l’inauguration du barrage hydro-électrique de Gouina situé en territoire malien, le Président en exercice de l’Union Africaine (Macky Sall) est sûrement plus porté vers les dénouements diplomatiques que vers les épreuves de force avec le pays frère et voisin du Mali.
Attitude certainement semblable pour le Togo ; car le Médiateur Faure Eyadema ne saurait être, à la fois, l’homme de la facilitation et celui de la punition aux yeux des Maliens. In fine, l’attitude vive d’Alassane Ouattara et le suivisme de la Cédéao épaississent le mystère et ouvrent la porte au doute et à tous les doutes. Parmi les quarante (46) militaires figurent-ils des soldats et des mercenaires ressortissants de tous les pays de la Cédéao voire des Français originaires des Antilles comme le journaliste Olivier Dubois capturé au Nord-Mali ?
Pourrait-on conclure que les deux décisions-phares du Sommet de la Cédéao ne sont-elles pas des thérapies plus convulsives que dissuasives dans le contexte du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest où les cordages institutionnels sont trop rongés pour bien amarrer les États ?
* Politologue et éditorialiste
N.B : Le titre est de la Rédaction d’afriquemain.net