Côte d’Ivoire-Flambée des prix/Les Ivoiriens entre soupirs et murmures
Par Nazaire Kadia*
L’actualité ivoirienne bruit avec la hausse du prix de certains produits de premières nécessités : riz, huile, cube d’assaisonnement, viande de bœuf, etc. Les cris de cœur et d’indignation des ménagères se font de plus en plus entendre. Aussitôt, des voix s’élèvent pour donner des explications sur cette hausse de prix à l’effet d’apaiser les ivoiriens.
Les explications sont nombreuses et variées, et devant tant d’explications, l’ivoirien ne sait pas laquelle retenir et où donner de la tête. Ainsi, pour M. Koizan Kablan Aimé, Directeur Général du Commerce Intérieur, la vie est devenue chère parce qu’il ne pleut pas beaucoup.
Pour M. Alain Lobognon, nouvellement sorti de prison, et qui entreprend une nouvelle technique d’approche (TAP selon Espoir 2000) de ses anciens alliés, la flambée des prix est due à l’inflation mondiale.
Quant à Mme Koné ci-devant, Secrétaire Exécutif du Conseil national de la lutte contre la vie chère, elle affirme qu’on ne peut pas parler de flambée de prix car l’oignon, le gombo et le sucre ont des prix stables. Il ne reste plus aux ivoiriens qu’à se faire une sauce de gombo et d’oignon, assaisonnée de sucre et le tour est joué ! Et que dire de la proposition du porte-parole du gouvernement quand il suggère ceci : « …Il faut changer nos habitudes de consommation et que nous allions vers les endroits où les produits sont le moins cher possible, cela participe à notre engagement dans la lutte contre la vie chère… ». Quelle lumineuse idée !
Donc si le kilogramme de viande coûte moins cher à Korhogo, les ivoiriens doivent effectuer le voyage dans cette ville pour s’en procurer ! Belle proposition en effet. D’autres têtes bien pensantes, plutôt que de proposer des pistes concevables de solutions à ce problème qui se pose aux ivoiriens, se contentent d’affirmer que le pouvoir actuel lutte mieux contre la cherté de la vie que les pouvoirs précédents. Mais actuellement est-ce la préoccupation des ivoiriens ? Peut-on raisonnablement aujourd’hui, affirmer que les ivoiriens vivent mieux, se soignent mieux, mangent mieux et s’éduquent mieux qu’il y a dix ou quinze ans ?
Au demeurant pourquoi continuer de se comparer à un pouvoir qu’on a jugé incompétent, combattu huit années durant, au travers d’une rébellion armée et après dix années d’exercice effectif d’un pouvoir, dont on tient encore les rênes ?
De retour de voyage, le Chef de l’Etat a promis de prendre ce problème à bras le corps, après le show de certains de ses ministres sur le terrain. Il a surtout promis de prendre des mesures pour contenir les augmentations. Comme un tailleur ou même un couturier, espérons que les mesures qui seront prises, permettront de faire les ajustements nécessaires pour que l’habit soit à la taille des ivoiriens. Mais quelques pistes peuvent être suggérées pour que ces mesures soient efficaces et durables.
Ce n’est un secret pour personne que les nombreuses taxes sur les produits de consommation, et la hausse du prix du carburant, ne sont pas étrangères à cette flambée des prix. Certes l’Etat a besoin de ces taxes pour sa survie, mais celui-ci gagnerait à réduire son train de vie.
Entretenir trente-quatre (34) ministères et quatre (4) secrétariats d’Etat, une Assemblée nationale, un Sénat, un conseil économique et social, une médiature, une vice-présidence, quatorze (14) ministres-gouverneurs et une pléthore d’autres institutions, dont le travail n’a aucune incidence sur le quotidien des ivoiriens, fait passer la vie des ivoiriens au second plan. Il serait souhaitable de supprimer certaines de ces institutions, et des économies substantielles seraient faites.
Des années en arrière, que n’avons-nous pas entendu quand le Rdr, devenu Rhdp était dans l’opposition relativement à la cherté de la vie ? Revisitons ensemble, une séquence du discours-programme du leader du Rdr, l’actuel chef de l’Etat à la convention de ce parti en 2008 à Yamoussoukro. Morceau choisi : « …Cette crise économique est aggravée par la situation des finances publiques. Il ne peut en être autrement, quand on traine un boulet, une dette de 6 000 milliards FCFA. Voilà un chiffre qui donne le vertige n’est-ce pas ? 6 000 milliards FCFA, c’est 60% de la richesse que nous produisons. C’est effarant. Avec un tel endettement, on peut dire que la Côte d’Ivoire vit au-dessus de ses moyens, et qu’elle a cédé à la facilité.
Cela signifie que nous vivons à crédit, tant sur le dos de nos enfants que sur le dos de nos petits-enfants qui devront payer…Chers frères et chères sœurs, je dirai que la crise est également sociale. On n’a pas besoin d’être économiste pour constater que les ivoiriens sont de plus en plus pauvres… » Wouaoooo, quelle belle radioscopie ! Mais quatorze années après ce discours, et dix années de gouvernance du Rhdp, la situation est-elle devenue meilleure qu’en 2008 ?
Les ivoiriens sont-ils devenus plus riches qu’ils ne l’étaient en 2008 ? Et que dire de la dette qui serait passée de 6000 milliards FCFA à près de 19 000 milliards aujourd’hui ? Quelle lecture peut-on faire de cette évolution ?
Assurément, la critique est aisée mais l’art difficile ! C’est pourquoi la sagesse africaine enseigne : « …Toute parole est parole. La parole est facile, la parole est difficile. Qui veut parler, doit parler juste et vrai. Car la parole est dans la vérité et la vérité est la parole… » (Kassa bya kassa). A-t-on parlé juste en 2008 ?
Assurément A-t-on parlé vrai en 2008 ? Certainement Que dit-on de la même situation en 2022 ? Peut-on parler bien aujourd’hui ? Et parler fort ? Pour le moment c’est … le silence radio. Et les ivoiriens, cloîtrés dans leurs salons ou dans les « maquis », avec l’humour caustique qu’on leur connait, soupirent et murmurent : « sans dôhi, dôhi n’est rien ». Ainsi va le pays. Et s’il y a eu un matin en Eburnie, il y aura assurément un soir, et l’ivraie sera séparée du vrai.
*Analyste politique