Transferts d’argent/Les questions juridiques bloquent une meilleure concurrence dans l’industrie du transfert de fonds

 Les transferts d’argent de la diaspora auront un rôle majeur dans la relance des économies africaines. Ces flux financiers dépassent de loin les montants de l’aide au développement. Mais la pandémie a modifié la donne et l’économiste au sein de l’unité migrations et compétences du Centre de développement de l’OCDE, Jason Gagnon fait son analyse.

  Quels sont les différents types de transferts d’argent issus des diasporas ?

Il y a d’abord les transferts réguliers des migrants vers leurs foyers par des membres de leurs familles, leurs amis. Parfois pour rembourser une dette, parfois comme moyen de survie ou pour acheter des biens. Parfois pour effectuer des investissements personnels sur l’éducation, la santé, mais aussi des investissements financiers, pour des entreprises.

On a aussi les transferts ad hoc ponctuels pour des funérailles et des mariages. Au-delà de cela, il y a aussi-et c’est très intéressant – les transferts de groupes de diaspora. Ce sont les associations des villages natifs qui regroupent leurs fonds pour investir dans quelque chose de très spécifique dans la ville ou le village d’origine : il peut s’agir tout simplement de festivals ou des projets beaucoup plus costauds, pour des écoles, pour les agriculteurs… Nous savons en fait peu de choses sur ce genre de transferts. Cela fonctionne surtout via les réseaux sociaux.

« En Afrique, de nombreux transferts sont effectués de manière très informelle, peut-être même jusqu’à la moitié d’entre eux », selon Jason Gagnon .

Dernier point : les obligations d’État, un phénomène beaucoup plus récent. Les gouvernements émettent des obligations en direction de leur diaspora pour des projets dans le pays d’origine. Ils ciblent la diaspora, car elle est plus susceptible de vouloir investir dans des projets à grande échelle, vu tous les risques. Ces dispositifs ont été expérimentés en Éthiopie, au Sri Lanka, au Liban, en Inde. C’est quelque chose qui pourrait connaître une croissance dans le futur.

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Comment la diaspora s’est-elle adaptée à la crise pour continuer à aider dans les pays d’origine ?

De deux façons se présentent, d’abord par le porte-monnaie, la Banque mondiale avait prédit une grosse baisse des transferts de fonds, mais qui ne s’est jamais matérialisée. On parlait d’une baisse significative des envois de plus de 20% au niveau mondial. Et en fin de compte, on a constaté qu’il y avait une baisse, mais néanmoins moins importante. Et pourquoi prédisaient-ils cela ? À cause des fermetures de frontières, des confinements, des possibilités d’accéder aux opérateurs de transferts, des pertes d’emploi, l’impossibilité de travailler…

En Afrique, il y a eu une petite baisse de 12,5%, mais elle était principalement due à la situation au Nigeria. Mais pour l’ensemble de l’Afrique subsaharienne, si on enlève le Nigeria, on a même observé une légère augmentation. Donc les transferts de fonds n’ont pas vraiment chuté en Afrique subsaharienne, comme on le prédisait. Cela peut s’expliquer par un certain nombre de facteurs. Le premier, c’est que les transferts de fonds sont comme une protection sociale, une assurance, de sorte que les migrants envoient souvent plus d’argent en cas de crise, quitte à puiser dans leurs épargnes. On peut appeler cela « un lissage de consommation ».

Ensuite, les fluctuations monétaires, qui peuvent également encourager le transfert entre des devises en Afrique. L’euro et le dollar américain ont connu des moments où ils se sont appréciés par rapport à d’autres monnaies durant la crise, ce qui a poussé les transferts de fonds à la hausse. La pandémie a aussi poussé à un développement des transferts d’argent numérique, en ligne.

En Afrique, de nombreux transferts sont effectués de manière très informelle, peut-être même jusqu’à la moitié d’entre eux. Il est possible que nous assistions à une émergence de transferts de fonds formels par le biais de ces transferts numériques. Et donc cela pourrait expliquer aussi cette hausse des transferts de fonds en Afrique subsaharienne.

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En matière de transferts d’argent, assiste-t-on à un retour à la normale grâce à la reprise économique ?

Premièrement, je voudrais souligner que nous parlons de flux très importants, de plus de 40 millions de dollars américains [34 milliards d’euros, ndlr]. Dans certaines sous-régions de l’Afrique subsaharienne, mais pas toutes, les transferts dépassent l’aide pour le développement, même les flux d’investissement. En réalité, nous ne comptabilisons peut-être pas tous les transferts, parce qu’une grosse partie des flux restent informels. Et donc, à mesure que les travailleurs retrouvent une vie professionnelle normale, on peut certainement s’attendre à une reprise des transferts.

Les mesures et les politiques fiscales adaptées par de nombreux pays, y compris la France, ont certainement contribué à stimuler des secteurs, où l’on retrouve beaucoup de migrants : la construction, le secteur médical, le tourisme, la restauration… Même si ce n’était pas l’objectif premier. Mais en général, les migrants ont tendance quand même à utiliser l’épargne pour la consommation.

Ce qui est plutôt attendu, c’est un retour à une courbe de croissance grâce aux transferts numériques. Mais certains groupes de personnes, des personnes analphabètes, sans connexion Internet, sans ordinateur, avec une faible alphabétisation numérique pourraient être encore plus marginalisées. C’est une question politique qui doit être abordée.

Pour favoriser les transferts de fonds, une loi a été présentée en France propose la défiscalisation des transferts d’argent et un système de bi-bancarisation, c’est-à-dire un compte dans le pays d’origine, un autre dans le pays d’accueil. Est-ce des pistes à creuser ?

En fait, c’est un débat assez intéressant. Premièrement, il faut dire qu’il est extrêmement rare que les transferts de fonds soient taxés. Au début de l’année, des discussions ont eu lieu au sujet d’une taxe, par exemple sur les transferts de fonds au Koweït, mais en général c’est une rareté. N’oublions pas non plus que les migrants paient des impôts sur leur salaire, du moins ceux qui travaillent sur le marché du travail formel.

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Concernant la bi-bancarisation,- donne la possibilité d’ouvrir un compte bancaire à la fois dans le pays d’origine et dans le pays d’accueil. C’est d’autant plus intéressant qu’en Afrique, l’inclusion financière est assez faible : entre 50 et 60% des ménages en Afrique subsaharienne. C’est très bas par rapport au reste du monde. Deuxième intérêt de la bi-bancarisation est de réduire considérablement aussi les coûts.

En Afrique subsaharienne, actuellement, les transferts coûtent environ 8% et peuvent monter jusqu’à 14-15%. Tandis qu’on a plutôt une moyenne de 5% au niveau mondial, avec un objectif de 3%. Sur ce point, la différence entre l’Afrique et le reste du monde est quand même considérable.

Quelles sont les solutions que vous privilégiez à l’OCDE ?

Nous privilégions de travailler sur l’inclusion financière. Il faut lever les questions juridiques qui bloquent une meilleure concurrence dans l’industrie du transfert de fonds… Western Union, Moneygram, même les banques postales. Améliorer le climat financier dans les pays d’origine et travailler sur l’alphabétisation financière, sur l’investissement, sur les connaissances de l’investissement. Pour que les transferts d’argent ne servent pas qu’à la consommation, mais aussi à investir, créer des apports.

Source: rfi.fr