Bénin/L’ancien premier ministre Lionel Zinsou confirme que la situation d’aujourd’hui n’est pas une situation stable

Les quinze pays d’Afrique de l’Ouest auront une monnaie commune et ce sera l’eco en 2027. C’est ce qu’ont décidé les quinze chefs d’État de la Cedeao lors de leur sommet à Accra, le 19 juin dernier. Ce calendrier pourra-t-il être tenu ? Voici l’opinion d’un grand banquier, Lionel Zinsou, qui a fondé la banque d’affaires South Bridge. Pour la première fois depuis la présidentielle d’avril dernier, cet ancien Premier ministre du Bénin s’exprime aussi -sur la situation politique au Bénin et sur le sort des opposants qui sont actuellement en prison.

Lors de leur dernier sommet du 19 juin à Accra, les chefs d’État de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) ont programmé le lancement de la monnaie unique de l’Afrique de l’Ouest pour 2027. Pensez-vous que le calendrier pourra-t-il  être tenu ?

 Je pense que c’est un bon calendrier pour concrétiser la convergence des économies, parce que cinq ans d’adaptation avec une volonté de convergence… Il faut y travailler beaucoup. Quand on regarde la préparation de l’euro dans l’Union européenne, cela a été très long, il a fallu une vingtaine d’années pour concrétiser. Mais dans les dernières années, il y a eu un effort de convergence très fort pour que ce soient des économies les plus homogènes possibles. Et cela a plutôt réussi. Je pense que c’est à peu près le temps qu’il faut pour la préparation. Un quinquennat, ça paraît raisonnable.

Cette future monnaie s’appellera l’éco. Mais au mois de décembre 2019, le président ivoirien Alassane Ouattara et le président français Emmanuel Macron ont annoncé que les huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), -Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo- passaient du franc CFA à l’éco sans prévenir les sept autres pays d’Afrique de l’Ouest, le Nigeria notamment.  N’est-ce pas une grosse bévue ?

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D’abord, c’est assez fréquent, quand on essaie de se regrouper, qu’on le fasse par étapes. Je ne crois pas du tout au fait qu’il n’y ait pas eu de conversations diplomatiques et aucune information. Simplement, c’est vrai qu’il y a eu un acte historique qui veut dire : huit pays sont prêts, donc ils vont s’engager tout de suite.

Oui, mais le président Muhammadu Buhari du Nigeria n’était pas content, il l’a dit publiquement.

Oui, mais la construction d’une monnaie touche des éléments vraiment essentiels. Il y a toujours des débats assez forts. Le Nigeria pose un problème particulier par rapport à la question de la création d’une monnaie commune de la Cédéao, puisqu’il représente un poids très important et une économie différente des autres.

 Vous avez vu que, lorsque cela a été annoncé en décembre 2019, le Ghana a été très positif sur le fait que les 8 pays de l’Uémoa prenaient le nom d’éco et allaient plus vite que les autres. Et vous avez vu que le Nigeria a été négatif. Oui, le Nigeria a une position différente. Le Ghana, la Guinée, etc., ce sont des pays très proches des pays de l’institution monétaire, qui ont vocation à rentrer assez vite dans le système de l’éco. Mais le Nigeria a un sujet particulier, c’est qu’il n’a pas la même conjoncture, car c’est un pays pétrolier. Quand le prix du pétrole monte, le Nigeria va beaucoup mieux et l’Uémoa va beaucoup moins bien, parce qu’elle n’est pas productrice, mais importatrice de pétrole. On est à contre conjoncture entre les deux. Et l’un de ces pays, qui est à contre conjoncture avec les quatorze (14) autres, se trouve représenter les deux tiers de la richesse concrète du PIB dans cette union.

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Donc, il y a forcément un cas particulier du Nigeria par rapport à l’ensemble de la démarche. Ayant dit cela, le Nigeria est aussi une chance considérable pour l’éco, notamment parce que c’est un pays qui n’est pas du tout endetté. Personne ne le dit. C’est un des pays les moins endettés du monde avec 25% du PIB.

On est quand même très loin des 118%de telle grande puissance européenne comme la France. Vingt-cinq pour cent, cela veut dire qu’il a des marges pour converger, pour changer son économie, pour qu’en cinq ans, l’économie du Nigeria cesse d’être à contre-cycle des autres.

Vu le poids économique du Nigeria, est-ce que le futur éco des 15 ne risque pas de devenir une sorte de super naira, du nom de la monnaie du Nigeria, et du coup, une monnaie très instable ?

Non, ce n’est pas un danger. Dans l’Eurogroupe, vous avez un pays qui a le même PIB que le Bénin, qui s’appelle Malte, qui rentre dans l’Eurogroupe ; puis, vous avez la République fédérale allemande et là on peut dire que cette monnaie s’appelle le deutschemark. Et bien non, dans une zone monétaire, comme à l’intérieur du système de réserve fédérale des Etats-Unis, vous pouvez avoir des pays qui ont des poids différents, mais des économies homogènes et un très grand avantage à ne pas avoir de barrières commerciales et à pouvoir ajouter de la croissance. L’éco va ajouter un à deux points de croissance par an et beaucoup d’emplois à ces économies.

Vous avez été l’ancien Premier ministre du Bénin, et vous avez affronté Patrice Talon, au deuxième tour de 2016. Que pensez-vous des conditions dans lesquelles il a été réélu en avril dernier ?

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Moi, je l’ai dit, après les élections législatives qui posaient les mêmes problèmes de libertés publiques, les mêmes problèmes quant à l’Etat de droit au Bénin, je l’ai dit, tout ceci doit se transcender par une réconciliation. -Dans le domaine politique, il y a évidemment des situations que je regrette et je ne parle pas du tout de la mienne. Je parle de celle des gens qui sont malheureusement innocents, et pourtant dans des geôles.

Évidemment qu’il y a une situation que je regrette, mais je pense que la solution est d’aller le plus possible vers la conciliation. Il y a bien des pays qui ont dominé, par exemple le nôtre au moment de la conférence nationale, des situations bien plus envenimées. Je pense que le génie du Bénin peut très bien se retrouver dans quelque chose qui ressemble à un vrai effort de réconciliation et d’union nationale.

Voilà, c’est le message que je veux faire passer, parce que la situation d’aujourd’hui n’est pas une situation stable, et moi, j’ai besoin comme tous les Béninois que mon pays soit le plus fort possible et utilise les ressources de toutes ses forces économiques et politiques.

Source : rfi.fr