Algérie :L’armée solde l’héritage encombrant du général Ahmed Gaïd Salah.
La décision rendue par le tribunal militaire libère l’armée d’une affaire marquée du sceau de l’inimitié de Gaïd Salah à l’encontre des généraux « Toufik » et Tartag.
Il n’y a pas eu de complot contre l’autorité de l’Etat et de l’armée en Algérie. C’est du moins ce qu’a conclu le tribunal militaire, samedi 2 janvier, en acquittant en appel l’ancien chef des services de renseignements algériens, le général Mohamed Mediène, dit « Toufik », son successeur Athmane Tartag, le frère de l’ancien président, Saïd Bouteflika, et la militante trotskiste Louisa Hanoune. Une décision rendue après une délibération de moins d’une heure.
La célérité avec laquelle les charges qui pesaient sur les prévenus ont été annulées a surpris autant que leur condamnation en septembre 2019. A l’époque, le tribunal militaire de Blida avait expédié l’affaire en un tournemain, condamnant les « comploteurs » présumés à quinze ans de prison. L’ancien ministre de la défense et ex-chef d’état-major de l’armée Khaled Nezzar, en fuite en Espagne et jugé par contumace pour les mêmes faits, avait écopé d’une peine similaire.
Devant le tribunal, le général Tartag, qui avait refusé de quitter sa cellule pour assister aux deux précédentes audiences, a expliqué s’être présenté cette fois parce que « les conditions ne sont plus les mêmes ». L’annonce de son acquittement et de celui des autres accusés était en effet attendu, la situation politique ayant évolué depuis le décès, le 23 décembre 2019, du chef d’état-major de l’armée, le général Ahmed Gaïd Salah.
Ce dernier avait joué un rôle central dans l’arrestation des quatre prévenus et la mise en cause du général Nezzar. L’affaire remonte à 2019 : alors bousculé par la mobilisation populaire contre un cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika, le pouvoir algérien cherche à sortir de la crise.
Un complot de la « Isaba » ?
Ahmed Gaïd Salah, jusque-là loyal soutien du chef de l’Etat, préconise la mise en œuvre de l’article 102 de la Constitution, prévoyant l’empêchement du président pour raison de santé. Pour garder la main, Saïd Bouteflika, le frère du président, tente de faire passer l’option d’une transition dirigée par l’ancien chef d’Etat, le général Liamine Zeroual. Une rencontre est organisée le 27 mars 2019, dans l’une des résidences de la présidence sur les hauteurs d’Alger.
Furieux et suspectant le cercle présidentiel de vouloir le limoger, le général Gaïd Salah dénonce un complot de la « Isaba », « la bande », mot par lequel les contestataires désignent alors l’ensemble des dirigeants. Il contraint Abdelaziz Bouteflika à démissionner et fait arrêter les comploteurs présumés. Leur arrivée au tribunal militaire est filmée et diffusée sur les chaînes de télé pour édifier la population.
Mais en novembre 2020, la situation évolue : la Cour suprême approuve le pourvoi en cassation des prévenus et renvoie l’affaire devant un tribunal militaire recomposé. L’ancien ministre de la défense, le général Khaled Nezzar, est, lui, revenu au pays le 11 décembre. il a été innocenté aussi bien par le tribunal militaire que par le tribunal civil d’Alger, pour une autre affaire en rapport avec l’entreprise que détient son fils. Des photos du gradé ont fuité sur les réseaux sociaux, le montrant sur le tarmac d’un aéroport espagnol et s’apprêtant à monter dans un avion spécial du gouvernement en recevant les honneurs militaires.
Blanchis des accusations de complot contre l’Etat et l’armée, Khaled Nezzar et « Toufik » Mediène sont désormais libres. Ce n’est pas le cas de Saïd Bouteflika, poursuivi dans plusieurs affaires de corruption et transféré vers la prison civile d’El Harrach, à Alger. Le général Tartag reste, pour sa part, en détention à la prison militaire de Blida pour « violation de procédure » dans une autre affaire.
« Faire échec à tous les complots ennemis »
La décision en appel rendue le 2 janvier par le tribunal militaire libère néanmoins l’armée d’une affaire marquée du sceau de l’inimitié personnelle d’Ahmed Gaïd Salah à l’encontre des généraux « Toufik » et Nezzar. En acquittant ces deux personnages, longtemps très influents en son sein, l’armée met fin à un malaise et joue l’apaisement. Elle en appelle à l’unité face à ce qui est présenté comme des menaces extérieures pressantes.
La décision de Donald Trump de reconnaître la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental en contrepartie d’une reconnaissance d’Israël a été largement mise en avant par les médias. Dans son numéro de décembre, la revue des militaires El Djeïch appelait les Algériens à se « tenir prêts » à « renforcer le front intérieur » pour « faire échec à tous les complots ennemis ». Le premier ministre, Abdelaziz Djerad a même affirmé le 11 décembre que l’Algérie était « ciblée comme le confirment les indicateurs de réelles menaces à nos frontières, aux portes desquelles est arrivée l’entité sioniste ».
Beaucoup restent toutefois sceptiques sur une éventuelle évolution du régime : les militants du Hirak poursuivis par la justice n’ont pas, jusque-là, bénéficié de la même mansuétude que celle qui a profité récemment aux généraux. La condamnation à trois ans de prison ferme du jeune militant Walid Kechida pour des mèmes moquant le pouvoir en témoigne.
Source : le monde .fr