Royaume Sanwi/Quand des individus se croyant plus royalistes que le roi prononcent l’exclusion territoriale d’un digne fils du terroir

Le ministre Marcel Amon Tanoh a été récemment l’objet d’une déclaration de personnes, se déclarant et se proclamant Chefs de canton du Royaume Sanwi. Ce comportement de bas étages de ses garants ( !) des us et coutumes n’a pas échappé à un autre digne fils de la région à réagir face à ce  terrorisme orchestré par ces pseudo-chefs, décidant de  l’exclusion du Royaume Sanwi et de son village Eboué l’ex-ministre des Affaires Etrangères.

Réagissant au refus d’Alassane Ouattara de quitter le pouvoir après ses deux mandats et face au péril que cette décision fait courir à la cohésion sociale et à la nation toute entière, Amon Tanoh Marcel a demandé à ce dernier de ne plus prendre la Côte d’Ivoire en otage de ses ambitions troisième mandat-istes, de la libérer et de la rendre aux ivoiriens. Il a, ensuite, ajouté qu’aucun ivoirien ne ferait à ses frères ce qu’Alassane Ouattara nous fait. Cela a suffi pour déclencher l’ire des partisans de ce dernier.

Mais, y a-t-il, dans la Côte d’Ivoire moderne, un président qui a plus emprisonné ses adversaires politiques, plus divisé tous les partis politiques et qui s’est montré le plus fermé au dialogue politique qu’Alassane Ouattara ? Ses partisans, malheureusement, ferment les yeux à cette laideur qui balafre la politique ivoirienne de cette dernière décennie.

Une semaine après les propos tenus lors du meeting de l’opposition au stade Félix Houphouët-Boigny le 10 octobre dernier, un collectif des chefs de cantons du département d’Aboisso produit une déclaration dans laquelle il décide de la déchéance coutumière, d’appartenance à la communauté et d’exclusion territoriale du ministre Marcel Amon Tanoh du village d’Eboué et, par ricochet, du royaume Sanwi. Cette déclaration surprenante appelle des interrogations.

Qu’est-ce qui explique cette fébrilité des militants encagoulés du RHDP ? Pourquoi des chefs de canton d’un royaume aussi respectable que le royaume Sanwi peuvent-il prononcer une sanction aussi grave qu’inédite dans l’histoire de ce royaume et de la Côte d’Ivoire ? Que dit le Roi Nanan Amon N’douffou V, la suprême autorité, à propos de ces dérives qui jettent le discrédit sur tout le royaume ? La Côte d’Ivoire souffre déjà des dérives autocratiques du pouvoir RHDP.

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Si, en plus de cela, les gardiens de la tradition doivent outrepasser leurs compétences, que pourrait-il advenir des royaumes et villages  et de la cohésion sociale et de la fraternité en leur sein ? Il suffit qu’un chef ou un roi, militant encagoulé du parti au pouvoir, n’apprécie guère la participation d’un natif de la région ou du village aux activités de l’opposition pour qu’une fatwa soit lancée contre ce dernier. Dans ces conditions, qu’adviendrait-il de la vie dans les villages, régions et royaumes de Côte d’Ivoire ? Que fait-on de la liberté d’expression garantie par la constitution ? N’est-ce pas une poussée malheureuse vers un état de nature qui consacre la loi du plus fort du moment ? Pourtant, et c’est une lapalissade, le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître. Qu’en sera-t-il lorsque le rapport de force verra inversé ?

N’est-ce pas la meilleure façon et la plus maladroite d’instaurer le désordre dans les villages et royaumes de Côte d’Ivoire ? En effet, on risque, à cause de la bêtise humaine des militants zélés, de faire droit à la fameuse chanson nouchi : « le renard passe-passe, chacun a son tour chez le coiffeur Mamadou ». Y a-t-il plus déchéance morale pour une société que le règne de l’état de nature ?

Par ailleurs, il est utile de se demander si ceux qui ont prononcé la grave sanction inédite contre le ministre Amon Tanoh Marcel sont compétents pour la prononcer ? Ne s’agit-il pas d’une mascarade politique au profit d’individus tapis dans l’ombre, lesquels voudraient se servir de la sortie du ministre Amon Tanoh Marcel et de la réaction subséquente des chefs de cantons comme strapontin pour consolider leur propre position au sein de la machine RHDP ou pour bénéficier de quelques subsides ?

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Déjà, à l’occasion de la mascarade orchestrée par le pouvoir pour faire croire que la candidature d’Alassane Ouattara était suscitée par le peuple, un fils du Sanwi, en l’occurrence le ministre Eugène Aka Aouélé, s’était illustré de la plus maladroite des manières en qualifiant de « gens insignifiants » ceux qu’il appelait, deux jours plus tôt, « mes frères ». Nous assistons là à une perte des valeurs et, il est dommage que, dans le Sanwi, cette perte des valeurs soit incarnée par des personnes qui sont censées être des références et des leaders.

Pourtant, l’article 175 de la constitution de 2016 dispose que la chefferie traditionnelle  est chargée notamment:

– de la valorisation des us et coutumes ;

– de la promotion des idéaux de paix, de développement et de cohésion sociale ;

– du règlement non juridictionnel des conflits dans les villages et entre les communautés.

N’assistons pas là à une violation flagrante de la Constitution ivoirienne mais aussi de la loi portant statut des rois et chefs traditionnels ? L’article 6 de ladite loi indique ceci : « Les Rois et Chefs traditionnels sont soumis aux obligations de neutralité, d’impartialité et de réserve. Ils doivent s’abstenir d’afficher leur appartenance politique ».

La posture affichée par le collectif des chefs de cantons du département d’Aboisso est, à l’analyse tout, sauf apolitique. Elle pue le militantisme zélé à mille lieux. A vouloir être plus royaliste que le roi, on finit par se couvrir de ridicule. La goujaterie n’a jamais honoré personne.

Finalement, il faut bien s’inquiéter de cette perte des repères moraux ainsi que de cette violation continue de l’esprit et de la lettre de nos lois par ceux-là mêmes qui sont censés les observer en premier. Au regard de la déclaration produite le vendredi 16 octobre 2020 par le collectif des chefs de cantons du département d’Aboisso, l’on est en droit de se demander si nos dieux ne sont pas tombés sur la tête.

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Avec de telles attitudes aussi burlesques, on comprend pourquoi le Sanwi, l’un des plus vieux royaumes de Côte d’Ivoire et le plus illustre du point de vue historique, fait pâle figure devant les royaumes frères Abouré, de l’indénié et autres.

Il faut en finir, en Côte d’Ivoire, avec ces bouffonneries d’un autre âge et ces combats par procuration qui n’honorent pas leurs auteurs et qui ne rendent pas service à Alassane Ouattara car, disons-le tout net, c’est pour ses beaux yeux que des individus en mal de publicité se livrent à toute cette mascarade.

                                                                                                                              Pascal FOBAH EBLIN,

                                                                                                              Analyste politique,Fils d’Aboisso