A la veille des élections en RDC, l’inquiétant calme à Kinshasa.

Dans la capitale congolaise, où la campagne a été suspendue, comme dans tout le pays, les habitants attendent et redoutent les scrutins prévus dimanche.

Il est un peu moins de 10 heures et l’archevêque de Kinshasa, Fridolin Ambongo, s’avance d’un pas lent dans la cour de la petite église Saint-Benoît. Avec son clocher biscornu, elle est modeste et un peu délabrée, comme cette commune populaire de Lemba, dans la capitale congolaise. Elle est aussi un symbole, célébré ce mardi 25 décembre. « Il a pris la balle ici ? », demande l’archevêque à un paroissien. Sur le sol sablonneux, une brique rouge cerclée de craie blanche. Une prière est improvisée en mémoire de Rossy Mukendi Tshimanga, un beau jeune homme de 35 ans, militant catholique, défenseur des droits humains et judoka talentueux.

Il a été tué dans cette paroisse par un policier, il y a dix mois, en marge d’une marche pacifique contre le maintien au pouvoir du président Joseph Kabila, dont le dernier mandat s’est terminé le 19 décembre 2016 selon la Constitution. « C’est un fidèle qui a donné sa vie, qui a versé son sang pour que la cause supérieure de son pays triomphe », dit Mgr Ambongo dans son homélie. En aparté, il ajoute : « On veut que les élections aient lieu. Pas de prétexte pour les reporter. »

C’est Noël, et Kinshasa est engourdie, ce qui ne lui ressemble pas. Les élections présidentielle, législatives et provinciales de la République démocratique du Congo (RDC) auraient dû se tenir le 23 décembre mais ont été reportées d’une semaine. Dans la mégapole de près de douze, quinze, vingt millions d’habitants, normalement fourmillante, l’activité a été mise sur pause. En cette fin d’année, les politiciens sont les maîtres du temps et des angoisses, d’une économie à l’arrêt qui aggrave la misère et renforce la colère populaire, jusque-là contenue. Il n’y a plus que dans les églises qu’on danse et qu’on chante.

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« Le calme avant la tempête », répètent en boucle les habitants. Les rues sont calmes, trop calmes. Le gouverneur de Kinshasa a préféré y suspendre la campagne. Les opposants sont étonnamment discrets, et leurs mots, prudents. Le dispositif sécuritaire est présent mais encore peu visible. Par crainte d’une flambée de violences, les privilégiés ont quitté le pays ou envoyé femme et enfants en Afrique du Sud, au Kenya, en Europe. Ceux qui restent se débattent pour tenir. Dans les quartiers populaires et les immenses bidonvilles, où la majorité de la population survit avec moins de deux dollars quotidiens, on compte les jours et les repas, de plus en plus rares.

 « Ça devient trop long, et les gens ici n’ont plus rien dans les poches. Les politiciens le savent et en jouent. On a peur et on a faim, mais nous, les jeunes, on peut se lever s’il le faut, car on doit faire changer ce pays », affirme Hervé Samba, diplômé en économie de 24 ans et chômeur. Comme lui, 35 % des 40 millions d’électeurs sont impatients de voter pour la première fois de leur vie. Près de 80 % des inscrits ont moins de 45 ans, selon la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Sauf que cette jeunesse ne sait plus si elle doit encore rêver de changement, d’éducation, d’emploi, de développement d’un pays qui regorge de ressources naturelles au point d’être le premier producteur et exportateur mondial de cobalt, ce minerai stratégique et tant convoité. « Le pouvoir n’a pas assez vendu l’espoir, et il n’y a rien de plus dangereux qu’une jeunesse sans espoir », constate Patrick Muyaya, député kinois âgé de 36 ans.

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Kinshasa, comme toute la RDC, ne sait toujours pas si ces élections se tiendront bien dimanche, avec deux ans de retard. Le président sortant, Joseph Kabila, aurait voulu et eu intérêt à ce que les Congolais se rendent aux urnes ce 23 décembre, insistent ses conseillers. Sa sœur jumelle et son frère, tous deux députés, son épouse et ses stratèges font campagne pour son dauphin, Emmanuel Ramazani Shadary, lesté de ses sanctions de l’Union européenne pour, entre autres, répression des manifestations.

Les leaders de l’opposition, toujours divisée, ne cessent, eux, de fustiger l’organisation défaillante des élections. Un avion affrété par la CENI est tombé du ciel le 21 décembre. Neuf jours plus tôt, un entrepôt de la même CENI avait brûlé, réduisant en cendres le matériel électoral de dix-neuf des vingt-quatre communes de Kinshasa. Ce qui a ravivé les soupçons de manipulations et la machine à rumeurs, tant ce site se trouve dans une zone sécurisée, en plein cœur de la capitale. Cet incident a justifié le report des élections au 30 décembre.

Une semaine, c’est court pour régler les innombrables dysfonctionnements techniques et logistiques sur un territoire grand comme l’Europe occidentale, où sévissent des groupes armés et une épidémie d’Ebola. Mais le président de la CENI, Corneille Nangaa, veut éviter un « glissement » des scrutins en 2019, ce qui compromettrait l’accord politique entre le pouvoir et l’opposition, nécessiterait une révision du fichier électoral et risquerait de provoquer une mobilisation, dans la rue, de la jeunesse impatiente.« Je ne peux pas vous garantir des élections parfaites, car on est en RDC et les défis sont énormes, a-t-il déclaré le 24 décembre aux diplomates occidentaux et africains conviés à déjeuner. On fera tout pour éviter les contestations sur des insuffisances techniques. »

Toutefois, selon le président de la CENI, la tenue des élections à Beni et Butembo, au Nord-Kivu (est), où Ebola se conjugue à une recrudescence de l’activité de groupes armés, est compromise. Comme à Yumbi, dans la province de Maï-Ndombe, à 300 km au nord de Kinshasa, où des affrontements politico-communautaires ont provoqué la mort d’une centaine de personnes et des déplacements de population, comme ce fut le cas lors des scrutins de 2006 et 2011, ce qui laisse craindre une instrumentalisation par des acteurs politiques locaux.

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Les élections ne seront sans doute pas « parfaites » mais elles sont attendues par la population, par les pays voisins et par les autres partenaires de la RDC. Corneille Nangaa tente, une fois encore, de rassurer la « communauté internationale », méfiante et dans l’expectative car il est devenu impossible de prédire la suite des événements. Une certitude, toutefois, qui est aussi une source de crainte : les résultats seront contestés, chacun des trois principaux candidats à la présidentielle se disant certain de sa victoire. « La vraie paix est une paix qui exige que les élections aient lieu à la date fixée du 30 décembre 2018 », a rappelé Mgr Fridolin Ambongo. En attendant, à Kinshasa comme dans le reste du pays, les Congolais se perdent en conjectures et se préparent à tous les scénarios.

Source : le Monde