Afrique du Sud : un mandat d’arrêt lancé contre Grace Mugabe, ex-première dame du Zimbabwe

Un mandat d’arrêt a été émis en Afrique du Sud contre Grace Mugabe, a annoncé mercredi la police, dans le cadre d’une affaire d’agression contre un mannequin en 2017. Portrait d’une ex-première dame qui a défrayé la chronique ces dernières années.

Ce portrait a été initialement publié le 20 novembre 2017

Certaines formulations ne trompent pas. Celle du communiqué des jeunes de la Zanu-PF, le tout-puissant parti présidentiel zimbabwéen, portant dimanche 19 novembre sur le sort à réserver au couple Mugabe au sein de l’appareil en dit long, très long, sur l’aversion désormais suscitée par la première dame, Grace. Son cas est évoqué en premier, comme pour mieux souligner l’urgence de son règlement. « Nous exigeons l’expulsion à tout jamais de Madame Mugabe de la Zanu-PF et exigeons du président Mugabe qu’il démissionne de son poste de président et premier secrétaire du parti et du poste de président de la République du Zimbabwe », est-il écrit. « À tout jamais », donc. Difficile de faire plus définitif. Quelques heures plus tard, leur vœu sera exaucé. Exit la première dame, qui dirigeait la très influente branche des femmes du mouvement. Quant au chef de l’État, au pouvoir depuis 1980, il annoncera finalement dimanche dans la soirée son intention de s’accrocher, tant au parti qu’au pays, provoquant la stupeur et l’indignation de la population.

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Pour justifier la procédure de destitution contre le dirigeant de 93 ans, qu’il enclenchera mardi 21 novembre faute de démission, le parti avance lundi comme explications les facultés physiques amoindries de Robert Mugabe, mais aussi le fait « d’avoir autorisé sa femme à usurper des pouvoirs ». Grace Mugabe, honnie dans son pays, ne cachait plus récemment son ambition de remplacer, le moment venu, son mari à la santé fragile. Pour cela, fallait-il encore faire tomber une pièce maîtresse, le vice-président Emmerson Mnangagwa, dont elle convoitait le poste comme tremplin à la fonction suprême. Son limogeage interviendra le lundi 6 novembre. Un scénario jugé inacceptable pour l’armée, qui prendra le contrôle du pays deux semaines plus tard. « L’objectif des militaires était d’écarter Grace Mugabe, car le limogeage du vice-président ouvrait la voie à une succession dynastique, la sienne », explique Virginie Roiron, maître de conférences à Sciences Po Strasbourg, spécialiste du Zimbabwe, interrogée par France 24. La dévorante ambition de Grâce Mubage aura probablement précipité la chute du régime.

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« Égoïste, cruelle, violente »

C’est véritablement en 2014 que l’appétit de Grace Mugabe pour le pouvoir se révèle, elle qui jusque-là n’avait montré que peu d’intérêt pour la chose politique. Soutenue par son mari, elle intègre la Zanu-PF où elle est propulsée à la tête de la puissante Ligue des Femmes. Cette même année, elle évince de son poste de vice-présidente Joyce Mujuru, l’une des héroïnes historiques de la guerre d’indépendance et potentielle dauphine de Robert Mugabe, après une campagne lui reprochant de vouloir renverser le président.

Toujours en 2014, Grace Mugabe, ancienne dactylo, ajoute une ligne universitaire à son CV qui va faire grincer des dents. Elle décroche en effet un doctorat en philosophie et sociologie quelques mois seulement après son inscription à la faculté. Sa thèse devait, comme c’est la norme, être mise à disposition à la bibliothèque de l’université. Elle ne l’a jamais été… « Ils veulent qu’on étudie et qu’on passe des examens, mais la première dame n’a rien fait de tout ça », assure à l’AFP un étudiant rencontré à Harare , qui dénonce un « diplôme sexuellement transmis ». Un constat largement partagé au Zimbabwe où la première dame est soupçonnée d’avoir voulu se forger une carrure d’intellectuelle à moindre frais.

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« Elle a une très mauvaise réputation dans le pays. Elle est considérée comme égoïste, cruelle et pouvant se montrer violente. Elle n’inspire pas confiance », affirme le vice-président zimbabwéen de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), Arnold Tsunga, à France 24. Mais pourquoi Grace Mubage, 53 ans, née en Afrique du Sud de parents zimbabwéens, est-elle devenue si impopulaire ?

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Elle n’a en réalité jamais vraiment été acceptée, ni appréciée par les Zimbabwéens. Elle a toujours souffert de la comparaison avec la première épouse du chef de l’État, la respectée Sally Hayfron Mugabe, ancienne militante de la lutte contre le régime blanc, éduquée et très investie dans la sphère sociale. Grace aurait entamé sa relation avec le maître incontesté du Zimbabwe, de 41 ans son aîné, en 1987, alors qu’elle était sa secrétaire et que Sally luttait contre un cancer. La liaison du chef de l’État n’a été révélée qu’à la mort de sa première épouse en 1992. Le couple, qui a déjà deux enfants, se marie en 1996 lors d’une luxueuse cérémonie à laquelle participe le président sud-africain de l’époque et héros de la lutte anti-apartheid Nelson Mandela. Un troisième enfant naîtra ensuite de leur union.

Bague, diamants et coups de sang

Grace Mugabe marque fréquemment les esprits par des excentricités inacceptables pour les Zimbabwéens frappés par un chômage de masse. Elle a notamment lancé cette année des poursuites contre un homme d’affaires libanais qu’elle accuse de ne pas lui avoir remis une bague de 1,35 million de dollars qu’elle avait commandée pour son anniversaire de mariage. Surnommée « Gucci Grace » ou « la première acheteuse », elle est connue pour son goût immodéré pour le shopping et des notes exorbitantes qu’elle laisse dans des boutiques de luxe européennes.

En 2010, elle est accusée d’avoir empoché plusieurs millions de dollars grâce à la vente illégale de diamants extraits d’une mine de l’est du pays, ce que révèlent des notes diplomatiques américaines publiés par Wikileaks.

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La première dame s’illustre également par ses colères monstres. En 2009, elle frappe un photographe britannique qui prenait des photos d’elles dans un hôtel de luxe à Hong Kong. En août dernier, elle est accusée d’avoir agressé un mannequin de 20 ans dans un hôtel du quartier chic de Sandton, à Johannesburg. L’affaire fait scandale, elle s’étale en une des journaux nationaux et internationaux. Visée par une plainte pour agression, la première dame du Zimbabwe sollicitera, le 16 août, l’immunité diplomatique à l’Afrique du Sud. Immunité qu’elle obtiendra grâce à l’intervention de son mari. Et gare à quiconque osera la critiquer ou la mettre en cause, Grace Mugabe n’est pas avare de poursuites judiciaires.

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Lors d’un entretien accordé à la télévision publique sud-africaine SABC, elle avait assuré ne plus se préoccuper de ce que les autres pensaient d’elle. Les Zimbabwéens, appelés à de nouvelles manifestations dans les jours qui viennent, ne manqueront pas, de dire, enfin, ouvertement, ce qu’ils pensent de la sulfureuse Grace Mugabe.

Source: France24