Interview/Culture : Gbéké Lerro Victor (Président de la jeunesse Godié Anounkou) explique « comment le peuple Godié a marqué l’histoire de la Côte d’Ivoire »

Réalisée par Jean Levry – Afrique Matin.net

 « Godié et Fiers », tel est le slogan des jeunes Godié regroupés au sein de « l’association jeunesse Godié Anounkou ». Dans cette interview qu’il nous a accordée récemment à Yopougon lors du lancement des activités de vacances qui auront lieu du 14 au 18 août 2018, Gbéké Lerro Victor, président de l’association parle de ce groupe ethnique du sud-ouest de la Côte d’Ivoire, souvent assimilé aux Bété ou aux Dida. Incursion au cœur  d’un peuple qui « a marqué l’histoire de la Côte d’Ivoire » !

Bonjour président, pouvez-vous situer le peuple  Godié en Côte d’Ivoire ?

Les Godiés sont un sous-groupe ethnique du grand groupe Krou dans le sud-ouest de la Côte d’Ivoire, principalement dans la région du Gboklè et aussi du Loh-Djiboua. Les départements servis sont Sassandra, Fresco, Lakota, Gueyo et un peu de Divo.

Qui peut être membre de l’association « Anounkou » que vous dirigez?

L’association « Jeunesse Godié Anounkou » regroupe, à part les peuples que j’ai cités, tous ceux qui se reconnaissent Godié dans le monde entier. Tous ceux qui ont des gênes godiés ; que ce soit de mère, de père, de grand-père ou même ceux qui ont des intérêts dans les départements que j’ai cités, font partie de l’association « Jeunesse Godié Anounko ». L’association existe depuis 2013. C’est en juillet 2017 que j’ai pris les rênes de ce mouvement.Gbéké Lerro Victor

Quel est le but de l’association « Jeunesse Godié Anounkou » ?

Les Godiés avaient pour habitude de ne se retrouver qu’aux funérailles parce que ce sont les funérailles qui rassemblent beaucoup plus de monde. Et très souvent, lorsqu’on se retrouvait, les gens avaient tendance à délaisser les funérailles pour célébrer les retrouvailles au maquis au lieu de compatir à la douleur de la famille éplorée, parce qu’on n’a pas vu un frère ou un parent il y a longtemps.

Alors nous nous sommes dit pourquoi ne pas créer un cadre de retrouvailles propre aux Godiés, à la jeunesse Godié ? C’est ainsi qu’est née l’association Jeunesse Godié Anounko. Le but est de rassembler tous les Godiés autour des évènements heureux. Et c’est en cela que l’appellation « Anounkou » qui signifie « faisons ou œuvrons ensemble » prend tout son sens.

L’association a-t-elle un volet développement dans ses actions?

Oui, mais le volet développement vient après. « Anounkou » vient d’abord pour affirmer la fierté d’être Godié, en quelque sorte pour affirmer  notre souveraineté, parce que par le passé, on se présentait soit comme bété, soit comme Dida. Mais aujourd’hui, on est fier de dire partout qu’on est Godié. On a un temps d’antenne à la Télévision nationale et nous allons aller au-delà.

Aussi,  quand nous nous sommes rendu compte, lors de nos rencontres, que la jeunesse Godié avait certains besoins notamment l’autonomisation et l’insertion socioprofessionnelle, nous avons développé une chaine de solidarité afin d’aider les jeunes Godié.

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Nous avons deux jeunes qui viennent d’être embauchés  récemment à des CDI (contrat à durée indéterminé, ndlr), nous avons eu des stages avec l’emploi-jeunes et des permis de conduire que nous avons obtenu grâce au député de Dakpadou et Sago, Kébé Mamadou. Le conseil régional de Sassandra nous a promis des débarcadères dans le marché central de Sassandra, et le président des auto-écoles de Côte d’Ivoire, M. Guillaume Koko a promis nous donner des places de formation à l’auto-école. Il est même prévu la construction d’une auto-école dans une des sous-préfectures de la région du Gboklè.Gbéké Lerro Victor

Voilà le combat que nous menons. Nous avons réussi à réunir toute la jeunesse estudiantine de la région du Gboklè en vue de leur encadrement et leur insertion socioprofessionnelle.

On voit que vos objectifs sont nobles. Mais comment l’association s’y prend-elle pour échapper à la récupération politique comme c’est souvent le cas pour des associations de jeunesse qui naissent dans les régions ?

Nous avons une solide expérience en matière d’association. Je suis d’ailleurs secrétaire général du syndicat des agents de mon entreprise et également vice-président de l’association de mon église. Partout, j’ai compris que ce sont les cotisations qui font l’autonomie d’une association. A cela s’ajoute l’objectif que se fixent les membres. Au niveau de la jeunesse Anounkou, nous sommes apolitiques et j’insiste sur ce fait. Le politicien qui voudrait s’accaparer la jeunesse Godié Anounkou, je voudrais lui dire qu’il prêche en vain. Pourquoi ? Parce que nous sommes des entités qui viennent de partout. Tous les politiciens ont des petits-frères dans le mouvement. Si chacun veut imprimer son orientation politique à l’association, on ne trouvera pas de repère. Nous regroupons tous les jeunes, qu’ils soient FPI, RDR, PDCI… mais une fois au sein de « la jeunesse Godié Anounkou », nous sommes une seule et même entité qui travaillons ensemble à l’atteinte de nos objectifs.

 

D’où proviennent les ressources de l’association ?

On vit de nos cotisations, des aides des uns et des autres, de la vente de nos t-shirts et c’est ce qui nous rend indépendants. Quand ça ne va pas, on lève des cotisations exceptionnelles au niveau des membres du bureau et c’est avec ça que nous fonctionnons. Effectivement, les politiciens essaient mais ils butent sur notre autonomie si bien qu’ils ne parviennent pas à nous manipuler à leur guise.

Vous avez fait le lancement des activités de vacances 2018 à Yopougon précisément à l’espace Godjedou. Quel sens donnez-vous à ces activités ?

Les activités de vacances de cette année 2018 visent trois (3) objectifs.

Le premier, c’est de rassembler tous les élus politiques et les autorités administratives pour parler développement de notre région. Toutes les sensibilités politiques sont donc invitées. Celui qui ne vient pas, qu’il ne nous taxe pas de pro-X. Nous sommes pour le rassemblement et l’union de tous les cadres.

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Le deuxième objectif, c’est d’aller vers la jeunesse rurale pour nous imprégner de leur situation, partager leur quotidien pour mieux apprécier et comprendre leurs agissements. Parce que nous les critiquons beaucoup. Nous les accusons de vendre la terre mais nous ne connaissons pas leurs motivations. Nous allons échanger avec eux (les jeunes, ndlr) pour comprendre et les sensibiliser.

Le troisième objectif est relatif au fait que nous avons payé un lourd tribut à la crise postélectorale de 2010. Nos parents ont été assassinés de façon atroce dans les cinq (5) villages que sont Adébem, Godjiboué, Tchrikpoko, Gnégrouboué et Gobroko. Les autres villages ont été touchés mais, je dirai, à un degré moindre. Quant à ces 5 villages, ils ont été sinistrés. Il y a eu d’énormes pertes en vie humaines, en habitations et en plantations. Aujourd’hui, vous arrivez dans l’un de ces villages, le spectacle est très désolant. À partir de 17 heures, tous nos parents dorment déjà. Or, par le passé, on marchait tard dans la nuit, au-delà de minuit, d’un village à un autre quand on jouait les tournois inter-villages. Mais aujourd’hui, la psychose s’est installée. Nos parents nous disent qu’ils ont même peur d’aller dans leurs plantations parce qu’ils ne savent qui ils vont y rencontrer. Il y a tombes dans les plantations, des tombes derrières les maisons. C’est très triste. C’est pourquoi, nous allons pour  compatir avec eux. Quand ils verront la masse de jeunes que nous sommes, quand ils nous verront marcher de Gnégrouboué à Godjiboué à 2 heures ou 3 heures du matin, nous aurons à notre manière contribuer à ramener la gaieté, la joie et surtout à dissiper la peur qui habite nos parents. Et nous sommes convaincus que la vie reprendra.

Qu’est-ce qu’il y a au programme de ces activités?

Nous allons faire des opérations coups de balai dans les villages, des danses et des chansons traditionnelles. Nous allons également aller dans les champs avec les parents pour travailler.

Nous ferons aussi passer  un message de réconciliation à l’endroit de tous ceux qui vivent avec nous. D’ailleurs partout où nous passons, nous mettons en place des bureaux locaux de notre association où sont logés aussi bien des autochtones que des allogènes. A Gnago, dans mon village par exemple, il y a des jeunes sénoufo, lobi, burkinabès, maliens etc. Nous les considérons comme  des Godiés parce qu’ils sont nés là-bas, ils y ont fait leurs études et leurs parents sont installés chez nous depuis plusieurs années. Ce sont avec eux que nous allons faire les activités.

Est-ce que pour vous une façon de tourner la page ?

La page ne peut pas se tourner d’un clin d’œil. Ce sera progressivement. Il faut que ces personnes que nous avons accueillies chez nous et qui nous ont fait du mal, comprennent que nous avons pardonné mais avec la manière, de sorte qu’elles ne répètent plus ce qu’elles ont fait. Parce que je ne trouve pas raisonnable que je loge quelqu’un chez moi, et pendant qu’il est sur mes terres, il assassine mes parents. Je rirai avec lui avec la manière de sorte qu’il comprenne que l’acte qu’il a posé est mauvais mais que je lui ai pardonné.  C’est pourquoi, nous les intégrons dans toutes les activités que nous faisons.

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On dit souvent que les Godié ne sont pas nombreux. Dites-nous, aujourd’hui, vous êtes combien dans l’association ? 

Ça me fait rire quand on me dit que « vous les Godié, vous n’êtes pas nombreux ». Pourtant, je constate que les Godié ont un temps d’antenne à la RTI tout comme les autres ethnies dites majoritaires… il y a une chose que les Ivoiriens doivent savoir.  Les Godiés ont marqué l’histoire de la Côte d’Ivoire. On peut vérifier cela aux archives nationales. Le premier plasticien de la Côte d’Ivoire est un Godié, le 1er instituteur ivoirien était un Godié et le 1er ingénieur agronome ivoirien est un Godié. C’est vrai qu’aujourd’hui, dans le développement de la Côte d’Ivoire, nous avons été rangés aux oubliettes. Et donc on comprend qu’on parle de moins en moins du Godié. Sinon, si la voie qui part de Sassandra à Lakota était bitumée, ainsi que celle qui part de Sassandra à Soubré en passant les sous-préfectures de Gueyo et de Dakpadou, si nos villages étaient électrifiés, le Godié serait plus en vue et on ne dirait pas que nous ne sommes pas nombreux.

Quels sont les mets typiques en pays Godié ?

Nous chez, on mange le « Zognou Saka » c’est-à-dire, le riz à la sauce graine faite avec le cœur du palmier qu’on appelle « le Sokou ».  On mange aussi le foutou, c’est-à-dire la banane plantain mélangée au manioc. Chez nous, il y a aussi les crabes poilus…

Ça c’est pour la gastronomie. Mais je disais à une radio dont je préfère taire le nom, que nous avons les plus belles plages d’Afrique. Les plages de chez nous ont une particularité qui fait qu’elles sont uniques au monde. On peut aller jusqu’à plus de 50 mètres dans la mer sans que l’eau n’arrive au niveau de la hanche. Nos plages sont encore les plus naturelles où vous trouverez  du sable très fin. J’ai eu le privilège de découvrir la plage de Kosso (village de la sous-préfecture de Fresco, ndlr) qui est une des plus belles en Côte d’Ivoire où nous avons la mer et la lagune comme à Assinie.  J’invite les gens à découvrir ces plages qui sont des sites touristes  encore plus beaux que ceux de San Pedro.