Relation France-Côte d’Ivoire/Albert Toikeusse Mabri dit sa part de vérité

Que se sont dit Alassane Ouattara et Emmanuel Macron lors de leur première rencontre à l’Elysée avant-hier dimanche? Les deux chefs d’Etat ont-ils évoqué les graves mutineries qui ont secoué la Côte d’Ivoire ces derniers mois? Albert Toikeusse Mabri a été ministre ivoirien des Affaires étrangères jusqu’au mois de novembre 2016. Aujourd’hui, il est député à l’Assemblée et président de l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire(Udpci).  Voici son analyse sur cette visite dans cet entretien.

Le président ivoirien Alassane Ouattara, premier chef d’Etat africain reçu par le nouveau président français, Emmanuel Macron, à l’Elysée, est-ce  un hasard ?

Je ne crois pas que ce soit un hasard, compte tenu de la qualité des relations qui lient la Côte d’Ivoire à la France. Nous pensons que c’est un honneur et un privilège, et je m’en félicite.

Dans le camp de l’ex-président Laurent Gbagbo, on dit que c’est la preuve qu’Alassane Ouattara est l’homme des Français.

Je pense que c’est une bonne chose d’être reçu par une puissance comme la France. Il s’agit quand même d’un membre d’un mandat du Conseil de sécurité. Nous, nous venons de rentrer au Conseil de sécurité en tant que membre non permanent. Nous avons des relations historiques avec la France. Nous devons entretenir tout cela. Bien entendu, en tenant compte des intérêts de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens. Et j’espère que c’est ce que le président a essayé de faire.

Au cœur de ce premier entretien, il y a eu le partenariat militaire entre Paris et Abidjan.   Est-ce à dire que les 900 militaires français stationnés en Côte d’Ivoire vont recevoir du renfort ?

Je ne sais pas exactement. Comme moi, je n’y étais pas, je sais que l’accord de défense a été révisé, signé. Nous savons que nous sommes dans une situation où la Côte d’Ivoire doit assurer sa propre défense, bien entendu, avec quand c’est nécessaire l’aide des amis. Maintenant, au terme de la rencontre entre les deux chefs d’Etat, j’espère que tout cela contribuera à renforcer la sécurité qui a été mise à mal ces derniers mois. Nous avons une coopération de confiance. Et au vu de cela, je pense qu’on peut toujours renforcer certains pans de notre coopération militaire, il y a toujours la formation dans laquelle la France est impliquée, la formation de nos forces de défense et de sécurité.

Vous parlez de formation. Est-ce que l’armée ivoirienne a besoin d’une remise en ordre après les graves mutineries de ces derniers mois ?

Je pense que c’est une évidence pour tout le monde, que ce soit pour ceux qui dirigent notre armée, ou les politiques, ou la population. Il y a beaucoup à faire en matière de formation, en matière de discipline, en matière de renforcement des capacités. C’est une nécessité absolue.

Officiellement, ce partenariat c’est pour renforcer la lutte antiterroriste, mais c’est peut-être aussi pour réorganiser l’armée ivoirienne ?

Oui, c’est bien possible et c’est nécessaire. Ce serait une bonne chose que la vieille expérience que nous avons déjà avec la France se poursuive.

Est-ce que ces mutineries ont montré qu’il y avait de graves lacunes dans l’armée ivoirienne ?

Je ne peux pas dire. Ce que nous savons, c’est que la hiérarchie a eu du mal à aller avec la base. Nous avons senti ça et là d’énormes difficultés à gérer les troupes. C’est une réalité. On ne peut pas le cacher. Maintenant, il faut savoir comment on les gère au mieux des intérêts des populations qui ont été traumatisées.

Au terme de ces mutineries, le gouvernement a versé 12 millions de francs CFA à chacun des quelque 8 500 mutins. A-t-il eu raison ou pas ?

Alors je ne sais pas la nature des promesses, mais j’étais intervenu en ma qualité de président de l’UDPCI pour demander que le dialogue soit entretenu. Si l’engagement était que l’Etat devait verser aux militaires cette somme, il était donc de bon droit qu’on puisse leur verser ces 12 millions.

A l’occasion de cette visite à Paris, le président ivoirien a-t-il pu demander une aide budgétaire à la France pour faire face à toutes ces revendications sociales ?

Je ne sais pas, je ne sais pas. Peut-être. Je ne connais pas l’état de notre trésorerie. Je sais qu’il y a une pression budgétaire, je sais que la France est l’un de nos partenaires, mais je sais que la France aussi a ses problèmes économiques. Je ne sais pas ce que le président leur a demandé.

Au plus fort de la dernière mutinerie, le 14 mai à Bouaké, les mutins ont trouvé une cache d’armes providentielle au domicile du directeur du protocole de Guillaume Soro. Qu’en pensez-vous ?

Nous avons tous appris cela. On nous a dit qu’il y avait une enquête en cours. Mon souhait est que cette enquête aboutisse. C’est grave. Et parce que c’est grave, justement, il faut clarifier, situer les responsabilités. Nous sommes tous dans l’attente de savoir exactement ce qui s’est passé.

Guillaume Soro dit qu’il n’y a aucune responsabilité dans tout cela et qu’on lui fait un procès en sorcellerie. Qu’en pensez-vous ?

Il a peut-être raison. Il n’a peut-être pas raison. L’enquête nous situera. Au niveau du Parlement, nous n’en avons pas encore débattu,  mais il n’est pas exclu également que nous demandions au gouvernement de nous informer.

On peut envisager une commission d’enquête parlementaire ?

J’ai vu que la commission de défense et de sécurité de l’Assemblée nationale en a fait la demande. Maintenant, le président de l’Assemblée nationale doit voir avec le chef d’Etat pour voir les modalités de mise en place d’une telle commission qui pourrait être un travail utile.

Pensez-vous comme certains que cette affaire peut créer une crise de confiance entre Alassane Ouattara et Guillaume Soro ?

Les deux se connaissent très bien, ils ont beaucoup travaillé ensemble, ils sont très proches l’un de l’autre. Je pense qu’il faut les laisser gérer ce dossier.

Et vous-même à l’UDPCI, êtes-vous toujours dans Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) ou pas ?

Nous n’en sommes pas sortis. Nous nous sommes mis en marge des activités, d’ailleurs qui ont été suspendues depuis belle lurette. Mais nous n’avons pas encore au niveau des instances du parti pris de décision de sortie du RHDP. Le moment venu, nous verrons si nous continuons à marcher ensemble.

Source : rfi.fr