Terrorisme/Voici pourquoi la stabilité de toute l’Afrique de l’Ouest est menacée

La région de Ménaka subit depuis plusieurs mois les assauts de la branche sahélienne du groupe État islamique (EIGS) qui tente de s’installer durablement dans cette partie du nord-est du Mali, proche du Niger et du Burkina Faso. Guillaume Soto-Mayor est chercheur associé au Middle East Institute, spécialiste des groupes jihadistes au Sahel et en Afrique de l’Ouest, il porte un regard sur la situation dans ces parties du Sahel.

Le groupe État islamique est à l’offensive dans le nord-est du Mali depuis plusieurs mois contrôlant deux cercles sur trois dans la région de Ménaka. Il  mène aussi des attaques de plus en plus près de la ville de Ménaka et même, tout récemment, de Gao.  Pourriez-vous nous donner un aperçu de l’état des forces actuelles de l’EIGS ?

Pour évaluer la présence et la force du groupe, il est intéressant de mesurer sa capacité simultanée d’action et de présence, aussi bien dans les régions de Gao et de Ménaka, mais également de plus en plus dans l’Oudalan, dans la région des Trois frontières.

Au nord du Burkina Faso, dans laquelle le groupe EI qui avait été chassé par al-Qaïda il y a deux ans, met de nouveau pied, et dans lequel il affronte la branche d’al-Qaïda qui s’appelle Ansarou al-Islam, mais également dans les régions de Tombouctou, dans les cercles de Gossi et de Hombori, dans la région de Douentza, où l’État islamique est actuellement à l’offensive contre la Katiba Macina et la Katiba Serma. C’est-à-dire que le groupe se sent suffisamment fort pour affronter Al-Qaïda, principalement, dans toutes ces régions à la fois.

Pouvez-vous nous quantifier le nombre de combattants, de matériels sur le terrain ?

Certaines statistiques, l’on peut dénombrer environ 150 à 200 combattants présents, rien que dans cette zone qui est donc à l’est de la région de Ménaka. Et les différentes constitutions de katibas, dans les différentes régions que je viens d’évoquer, indiqueraient que le groupe a une capacité de déployer environ 1 000 à 1 200 combattants, mais c’est très compliqué à évaluer, donc ce sont des estimations.

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« C’est une double menace pour la région parce que c’est aussi une menace qui s’accompagne de l’expansion d’Al-Qaïda vers le sud, il ne faut jamais oublier ça », avertit Guillaume Soto-Mayor.

En tout cas, on est passé en quelques mois d’un groupe qui était désorganisé, éparpillé et désargenté, à l’été 2021, à un groupe qui est capable de réaliser une offensive multiple, d’avoir une progression territoriale extrêmement rapide, et tout ça pose véritablement question.

Et ce renforcement de la branche sahélienne du groupe État islamique est synonyme de tragédie pour les civils. Selon des estimations -plus d’un millier de morts ont été enregistrés.

La présence et le contrôle territorial de l’État islamique s’accompagnent de violences accrues contre les civils. À chaque fois qu’ils arrivent dans de nouveaux territoires, ils lancent des ultimatums aux populations civiles. C’est une vision sans compromis du jihad. On voit les cycles de représailles se multiplier, les exécutions sommaires dans toutes leurs zones d’opérations.

Mais également les vols de bétail, les destructions de villages, etc. Les humanitaires sont également considérés comme des cibles légitimes, et donc dans ces zones où l’État malien est absent depuis des années, ce sont des milliers de personnes qui vont souffrir et qui souffrent déjà.

Face aux jihadistes du groupe État islamique, le MSA et le Gatia –signataires de l’accord de paix de 2015 – tentent de défendre les populations avec-les ex-rebelles de la CMA. Il y a aussi – al-Qaïda, qui ne veulent pas laisser leurs rivaux de l’EIGS s’implanter durablement dans ces régions de Ménaka et de Gao. En revanche, l’on remarque l’absence de l’armée malienne sur le terrain. Comment expliquez-vous cet état de fait ?  

C’est très difficile. On peut s’interroger peut-être sur la faiblesse ou les capacités réelles de l’armée malienne à intervenir. On peut évoquer un manque de confiance, ou de coopération entre les groupes armés présents dans cette zone et l’armée malienne. En tout cas, cette absence, notamment avec la présence de l’armée malienne à Ménaka, pose véritablement question, elle interroge…

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Même avec la présence à Ménaka où les supplétifs russes de l’armée sont également déployés…

Absolument, cette coopération militaire est un choix souverain qu’il faut respecter, en tout cas, pour le moment, ce qui est certain, c’est que les groupes jihadistes progressent et que l’armée malienne ne semble pas avoir la volonté, et c’est ça qui interroge le plus, de répondre à cette progression. Ce que cela laisse aux populations, c’est un sentiment d’abandon total, d’un laisser-faire ou en tout cas d’un désintérêt de Bamako face à leur sort.

Donc que l’EIGS prenne le contrôle de ces régions, où que des groupes locaux les repoussent, y a-t-il, selon vous, un risque pour l’unité du Mali ?

Je serais prudent sur ces dimensions, mais oui, je pense que c’est un risque réel. Le conflit date maintenant de nombreuses années, les populations ont énormément souffert, et actuellement, il y a un appel général de toute la population du Nord, à combattre ces groupes. Et donc face au sentiment d’abandon de l’État malien, on remarque que même un Général de l’armée malienne, le général Ag Gamou qui est aussi le responsable du Gatia, en appelle aux Touaregs de toute la région, c’est-à-dire également à des combattants étrangers au Mali, à venir les aider face à cette menace encore une fois existentielle pour les communautés.

 Au regard de cette absence du Mali sur le terrain, le Niger, le Burkina ne coure-t-ils pas un immense danger d’insécurité qui pourrait atteindre les autres pays ouest-africains ?

Le pourquoi de ces capacités opérationnelles vient de la capacité du groupe EI à s’être renforcé d’un point de vue humain, avec la présence de combattants nigérians, mais aussi de combattants de la Libye, en plus petit nombre.

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Ensuite, d’avoir récupéré de l’argent, d’avoir récupéré un soutien logistique, via un couloir de transmission très efficace, reliant le sud-est du Mali et la zone des Trois frontières, au nord-est du Nigéria, au nord de la région de Sokoto. Et ce couloir, la viabilité de cette transmission entre l’État islamique en Afrique de l’Ouest et l’État islamique au Sahara, montre la capacité du groupe à opérer conjointement, de concerts, dans son expansion opérationnelle.

« La présence et le contrôle territorial de l’État islamique s’accompagnent de violences accrues contre les civils »

C’est véritablement un tournant pour la sous-région. C’est un tournant, car là, pour la première fois, vous avez un groupe qui est très bien interconnecté, qui est fort tactiquement, qui est capable d’affronter al-Qaïda sur l’ensemble de son territoire, et donc qui menace aussi bien l’Algérie que la Mauritanie, et également le reste du Burkina Faso. C’est une menace régionale que l’expansion de l’État islamique.

Peut-on croire que cette expansion d’Al-Qaïda peut-elle menacer les capitales aussi bien du centre au Sahel que les populations ?

C’est une double menace pour la région parce que c’est aussi une menace qui s’accompagne de l’expansion d’Al-Qaïda vers le sud, il ne faut jamais oublier ça ! Trois exemples très récents : une opération à la frontière togolaise et béninoise, une présence également dans la région de Kayes au Mali, dans cette région qui s’approche de la frontière sénégalaise et de la frontière mauritanienne, et une présence également de plus en plus signalée au nord du Ghana et au nord de la Côte d’Ivoire.

Donc le retour en force de l’État islamique au centre du Sahel est accompagné malheureusement d’une expansion d’Al-Qaïda qui pourrait menacer les capitales aussi bien du centre au Sahel, que les populations du nord des pays côtiers dans les prochains mois, dans les prochaines années.

Source : rfi.fr

N.B : Le titre est de la Rédaction d’afriquematin.net