Mme Ohouochi Clotilde Yapi , ancienne ministre de la solidarité et de la santé sous le président GBAGBO, a accordé une interview à la journaliste ISABELLE MINNON de Investig’Actions, après le Panel organisé à Lyon.
Les élections présidentielles en Côte d’Ivoire, organisées sous la pression de l’Union européenne et de la France, sont prévues le 31 octobre 2020. Le 6 août 2020, veille de la commémoration du 60e anniversaire de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, le Chef de l’Etat ivoirien, M. Alassane Dramane Ouattara, l’allié de la France et de l’Europe, a annoncé, contre toute attente, sa volonté de briguer un 3e mandat en violation de la Constitution ivoirienne. Depuis cette annonce, la Côte d’Ivoire vit une veille d’élection qui a plutôt l’air d’une veillée d’armes. Le Conseil constitutionnel ivoirien, dénoncé par l’opposition comme étant à la solde du pouvoir du Président Ouattara, a rejeté 40 des 44 candidatures soumises, dont celles de l’ancien président Laurent Gbagbo, qui ne peut par ailleurs toujours pas se rendre en Côte d’Ivoire. Les partis d’opposition et la société civile organisent des manifestations de protestations et exigent le respect de l’ordre constitutionnel.
ISABELLE MINNON : Gbagbo ne peut pas se présenter candidat pour les élections d’octobre. Le Gouvernement ivoirien justifie cette interdiction par une décision prise par un tribunal ivoirien à l’encontre de M. Gbagbo. Comment jugez-vous cette interdiction ?
Mme OHOUOHI CLOTILDE : Le Conseil constitutionnel de Côte d’Ivoire, dans sa décision du lundi 14 septembre 2020, a invalidé le dossier de candidature du Président Laurent Gbagbo et confirmé sa radiation définitive de la liste électorale, conformément à la décision prise par la Chambre de Première instance d’Abidjan. Pour moi cette décision est un artifice juridique ourdi par les autorités pour exclure Laurent Gbagbo de la scène politique ivoirienne. Il faut rappeler que l’ancien président, accusé de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale (CPI) et détenu pendant près de 8 ans à la prison de Scheveningen à La Haye, a été acquitté depuis le 15 janvier 2020 par cette juridiction internationale. 8 ans de prison pour rien. La procédure judiciaire lancée devant la CPI contre Laurent Gbagbo s’est achevée, par un fiasco retentissant pour l’accusation, et par ricochet pour la justice internationale.
ISABELLE MINNON : Quelles sont les grandes lignes de la politique de M. Gbagbo ?
MME OHOUOCHI CLOTILDE : Laurent Gbagbo a passé un contrat social avec le peuple de Côte d’Ivoire à travers son projet de société traduit en programme de gouvernement. Ce programme appelé politique de la Refondation repose essentiellement sur un triptyque: la décentralisation, l’école gratuite, l’assurance maladie universelle (AMU).
▪︎La décentralisation répond aux besoins de la gouvernance participative en permettant au plus grand nombre de citoyens de vivre et de se réapproprier les outils de leur développement;
▪︎La politique de l’école gratuite est un pas important dans le combat contre l’analphabétisme et la désinsertion scolaire;
▪︎L’assurance maladie universelle permet de résoudre l’épineuse question de financement de la santé en favorisant l’accessibilité financière des populations à des soins de santé de qualité.
ISABELLE MINNON : E n 2010, M. Ouattara a été soutenu par l’Union européenne, la France, ainsi que la Belgique et les États-Unis qui l’ont porté au pouvoir. En quoi M. Gbagbo dérange les pays occidentaux ?
MME OHOUOCHI CLOTILDE : Laurent Gbagbo est un dirigeant africain atypique, rebelle aux yeux de l’ancienne puissance coloniale, la France et ses alliés occidentaux. Depuis 2002, la France avait savamment concocté une politique de reprise en main pour évincer Laurent Gbagbo du pouvoir à travers une rébellion venue du Nord. Le crime de Laurent Gbagbo, ce sont ses ambitions indépendantistes et souverainistes affichées. La diversification des partenaires commerciaux de la Côte d’Ivoire, les réformes politiques, structurelles, socio-économiques entreprises indépendamment des injonctions de Paris en sont quelques éléments d’illustration.
ISABELLE MINNON : Après 8 ans d’emprisonnement à La Haye, Laurent Gbagbo a été acquitté le 15 janvier 2019 par la Cour pénale internationale. Comment jugez-vous cette période et son emprisonnement ?
MME OHOUOCHI CLOTILDE : C’est une période difficile, éprouvante, déshumanisante, un véritable déclassement social. Je lui ai rendu visite deux fois à Scheveningen et deux fois à Bruxelles depuis son acquittement. La première fois que je suis allée le voir en prison le 5 octobre 2015, il avait toujours son éternel sourire. Il a eu cette phrase magnifique qui traduit la résilience, l’esprit d’abnégation et le don de soi de ce leader hors-pair :
« En tant qu’être humain, j’aurais bien aimé jouir de ma liberté de mouvements et profiter de la vie. Mais du point de vue de l’Histoire, je ne trouve pas irrationnel d’être ici. Je suis même fier d’être celui que l’Histoire a choisi pour porter la charge du changement, conscient que chaque changement a un prix ».
ISABELLE MINNON : Quels sont les changements attendus par la population ivoirienne qui soutient Laurent Gbagbo ?
MME OHOUOCHI CLOTILDE : Le Président Gbagbo bénéficie du soutien d’une frange très importante de la population ivoirienne et même des Africains. Il porte des valeurs humaines. Les idéaux de démocratie et de liberté qu’il prône rencontrent l’adhésion des populations. Les idées souverainistes et panafricaines qu’il défend ont gagné du terrain sur le continent africain depuis son arrestation et son emprisonnement à Scheveningen. Il est devenu le nouveau Mandela.
« Après 8 ans d’emprisonnement à La Haye, Laurent Gbagbo a été acquitté le 15 janvier 2019 par la Cour pénale internationale de toutes les charges de crimes contre l’humanité prétendument perpétrés en Côte d’Ivoire entre le 16 décembre 2010 et le 12 avril 2011 dans le contexte des violences post-électorales. Par cette décision prise à la majorité et dûment motivée, la Cour a estimé que les preuves n’étaient pas suffisantes en vue de démontrer la responsabilité de M. Gbagbo, notamment il n’a pas été démontré que ses discours publics auraient permis d’ordonner, solliciter ou encourager les crimes allégués. Cette décision a été prise à l’issue de 231 jours d’audience pour la présentation des moyens de preuves et de 82 témoins ainsi que des milliers de documents enregistrés et des centaines de requêtes et décisions prises ».
Source : Décolonisation.