Film 69 jours…:«il s’agit ici d’un film institutionnel de propagande préélectorale et non d’un documentaire», selon un juriste ivoirien.
Il est juriste et bien connu de la sphère politique ivoirienne. Face au film intitulé « 69 jours, ou le temps des assassins » qui secoue, en ce moment, l’actualité ivoirienne, Jean Bonin a décidé d’exprimer son opinion sur la nature et l’opportunité d’un tel film pour une Côte d’Ivoire qui se cherche en termes de réconciliation.
Que voulons-nous à la fin ?
J’ai pris grand soin de visionner le « documentaire » intitulé « 69 jours, ou le temps des assassins » du réalisateur français Jérôme Pin, tourné en 2019, sur la meurtrière rébellion de 2002 venue du nord de la Côte d’Ivoire. J’en ai été peiné et attristé, tant dans la forme que dans le temps.
I – Dans la forme, dans le temps et dans l’espace
A – Dans la forme
Un documentaire est différent d’un film institutionnel. Le documentaire s’efforce de restituer les faits dans leur vérité et contexte historique. À cet effet, autant que possible, il donne la parole à toutes les parties prenantes concernées, sans parti pris assumé.
À contrario, le film institutionnel, lui, telle une campagne marketing fait la promotion d’une cause, d’un produit ou… d’un individu. Manifestement, il s’agit ici d’un film institutionnel de propagande pre électorale et non d’un documentaire qui aurait une quelconque valeur scientifique ou historique.
B – Dans le temps
Quel est l’intérêt, en 2020, pour le parti au pouvoir, qui semble être le commanditaire de ce film institutionnel, de le diffuser dans une période où lui-même clame urbi et orbi qu’il fait de la réconciliation nationale post crise son cheval de bataille ? Dans ce film, les propos de cette dame qui, selon elle, affirme que les assassins de Gueï s’exprimaient tous en Bété sont-ils de nature à apaiser les meurtrissures ou à favoriser la vie entre les différentes communautés qui peuplent notre pays ? Pour rappel, les présumés assassins du Gle Guei ont été jugés le 25 janvier 2016 et sont tous sous les verrous. Y a t il un intérêt politique à opposer les communautés de notre pays les unes aux autres comme tente insidieusement de le faire ce film ?
C – Dans l’espace
Le 19 septembre 2002, jour de l’attaque rebelle, dont le Chef, curieusement n’apparaît pas dans le film, de nombreux ivoiriens, civils et militaires sont morts. C’est le cas notamment de Boga Doudou et de Marcelin Yacé, ainsi que des militaires Dali Oblé et Dagrou Loula. Pourquoi le « documentaire » n’en fait-il pas cas alors que Francis Akindès, Professeur bénino-ivoirien de sociologie à l’université Alassane Ouattara de Bouaké qu’il a pris le soin d’interroger décrit les rebelles comme étant des enfants de chœurs qui étaient aux petits soins des populations de Bouaké.
Notre très cher réalisateur n’a t il pas entendu parlé de l’assassinat des danseuses d’Adjanou à Sakassou. Ces femmes Baoulés enlevées le 02 décembre 2002, mitraillées et exécutées froidement le 10 décembre 2002 sur la route de Katiola par des personnes qui n’ont jamais été recherchées ?. Est-il vraiment nécessaire de remuer, 18 ans après, le couteau dans la plaie ? Que gagne-t-on aujourd’hui, politiquement et socialement, à le faire ? Est-ce dans l’exaltation du repli identitaire qu’on ressoudera les liens communautaires ?
II – Dans le fond
Qui est visé par ce documentaire qui stigmatise, sans aucune retenue, toute une communauté ethnique de notre pays ? Dans quel but ?
Au cas où certains l’auraient omis, le préambule de notre constitution proclame ceci : « persuadé que la tolérance politique, ethnique, religieuse ainsi que le pardon et le dialogue des cultures constituent des éléments fondamentaux du pluralisme concourant à la consolidation de notre unité, au renforcement du processus de réconciliation nationale et à la cohésion sociale ». Plus loin, le constituant s’engage dans ce même préambule à « contribuer à la préservation du climat et d’un environnement sain pour les générations futures ». En quoi ce « documentaire » concourt il à la réalisation de cette noble ambition ?
Si ledit préambule ne suffisait pas à convaincre les pompiers/ pyromanes qu’il est dans notre intérêt commun de consolider notre fragile paix sociale je voudrais également rappeler à leur poreuse mémoire l’article 19 de notre récente constitution qui dispose que « toute propagande ayant pour but ou pour effet de faire prévaloir un groupe social sur un autre, ou d’encourager la haine raciale, tribale ou religieuse, est interdite ». Monsieur le procureur ne donnez pas du grain à moudre à vos détracteurs en n’ayant pas l’indignation sélective et les poursuites à géométrie variable. Vous devez purement et simplement ordonner le retrait de ce documentaire des réseaux sociaux et son interdiction car il est un réel danger pour le vraie vivre ensemble.
Jean Bonin
Juriste
Citoyen ivoirien