EDITO: Côte d’Ivoire, que faut-il faire, quand on est sur le point de tout perdre ?

Par Léon SAKI – DP

La forêt, une grande fierté ivoirienne

A cette époque, la Côte d’Ivoire n’était encore qu’un immense désert de forêt à l’éclat verdoyant avec un écosystème particulièrement complexe. Succession de plaines, de rivières, de lagunes et de montagnes, sa nature à la fois abrupte, foisonnante et insolite formait une masse harmonieuse et solidaire qui répandait sur nous, un agréable parfum de solidarité, de fraternité et de longévité. Nous avons été témoins de la proximité si généreuse de l’homme d’avec l’espèce animale dans nos villages encore enfouis dans le crépuscule des forêts, savanes et montagnes, où il n’y avait ni machines, ni routes.

Ces temps à l’état de nature offraient un bon vivre nul pareil, à travers lequel nos âmes naissantes s’épanouissaient sous l’influence de nos traditions encore chastes. C’est sous nos yeux innocents et curieux que crépitèrent les premiers sons assourdissants de ces grosses machines qui déchirèrent en deux ces masses de forêt pour en faire les grandes routes d’aujourd’hui. Si nous n’avons pas été là lorsque se construisaient le chemin de fer et les routes du nord, du centre et de l’est, nous avons vu comment la clairvoyance du père de la nation ‘’manipula’’ les grandes pierres de Bagoliéwa et de Grand-Zattry pour bâtir cette énorme voie qui permit de désenclaver la région de Soubré, une zone aux immenses richesses agricoles et hydrauliques. Billes de bois, cacao, café, palmier à huile, tous ces produits connurent leur moment de gloire sur ces impressionnantes routes qui les menèrent vers le port de San-Pedro.

Encore innocent mais présent, je vis défiler affectueusement des militaires français aux côtés des militaires ivoiriens dans des exercices militaires conjoints en vue de la construction d’une armée républicaine.

Encore innocent mais présent, je vis ces gros camions transportant de grandes antennes, installer des télévisions dans les écoles de la région comme partout en Côte d’Ivoire. Cette initiative est la preuve de l’intérêt que le Père de la nation accordait à l’éducation de ses enfants, qu’il souhaitait voir prendre part à l’ère des nouvelles technologies.

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L’école télévisuelle

De son vivant, l’internet aurait été une chance pour la réalisation de son ambition pour l’éducation nationale; une ambition traduite par la construction de plusieurs lycées et universités d’excellence tels que le Lycée classique d’Abidjan, le Lycée technique, le Lycée scientifique de Yamoussoukro, le Lycée Mermoz, le Lycée Sainte Marie, et des Lycées professionnels, l’INSET, l’ENSTP, l’IPNET, les universités de Cocody et de Bouaké, des Cafop supérieurs, l’ENS, l’ENA etc.

Toutes ces réalisations ont été au cœur du développement intellectuel des fils du pays. Les internats au sein des lycées permettaient à tous les enfants de connaitre un parcours scolaire avec les mêmes chances de réussite. Et en son temps, aller à l’université n’était pas une malédiction mais plutôt une bénédiction tant tout était en place pour réussir.

Sous nos yeux d’adolescent, une basilique, une cathédrale, des mosquées et une ville entière, ont été construites. Les efforts de modernisation et de développement du Père de la nation touchaient tous les secteurs d’activité. Et on a parlé de MIRACLE IVOIRIEN.

Comme le souvenir d’un paradis perdu, je garde encore en mémoire ce pays d’amour où le natif et l’homme venu d’ailleurs se partageaient les secrets et se disputaient le repas du soir, dans la fraternité et sans méfiance.

Je connus cette Côte d’Ivoire avec un président qui n’avait que les deux doigts sur la joue pour pardonner dans un élan paternaliste de renforcement de l’unité et de la cohésion entre les filles et fils du pays.

Le Sage d’Afrique – Félix Houphouët-Boigny

Si Félix Houphouët-Boigny a, par son charisme, orienté, de façon décisive, la pensée politique dans ce pays, sa philosophie articulée autour de paradigmes basés sur une gestion paternaliste de la diversité sociale aura permis de sauvegarder la paix durant son règne. Et c’est l’essentiel !

Ces temps ont donné de voir une opposition fortement influencée par la philosophie du père fondateur et les principes démocratiques hérités par une longue période d’exil en occident, à travers son célèbre slogan « Asseyons-nous et discutons ».

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C’est une opposition soucieuse de la paix qui a refusé d’appeler au soulèvement populaire lors du décès du Père Fondateur, alors qu’elle avait des raisons de le faire et de prendre le pouvoir. Mais elle a dit : « Enterrons notre père d’abord », avant toute bataille pour le pouvoir.

Mais voilà que mon pays a tout perdu parce qu’on s’est empressé de dire que le « pouvoir est dans la rue, allons le ramasser ».

Les peines des déflagrations ont ôté à la Côte d’Ivoire son sourire, son sens de l’humour mais surtout ses valeurs éthiques et morales.

Nous assistons à une déchéance de tous les principes fédérateurs qui ont jusque-là servi de boussole au pays dans sa marche glorieuse vers l’unité, la solidarité et la fraternité pour devenir une NATION.

Le respect de la dignité humaine, le pacifisme, le pardon et le dialogue longtemps prônés sont remplacés par l’intolérance et la violence. On enjambe les cadavres et les charniers pour avancer, en croyant se lancer sur la voie du développement au travers de slogans politiquement irréalisables : Éléphant d’Afrique, refondation ou encore émergence 2020.

Les discours politiques sont devenus plus menaçants que jamais comme ceux de nouvel an, traditionnellement appelés à apaiser les cœurs et à réconcilier les âmes profondément meurtries.

Cette nouvelle opposition en désenchantement se bande les muscles à l’orée de la présidentielle, s’adresse à la nation pour contrarier le discours officiel. Nous découvrons des opposants qui s’opposent à l’opposition et à ceux qui incarnent l’idéologie de leurs partis.

L’éthique et la morale n’ont plus aucune valeur. Plus de modèles sur qui les nouvelles générations peuvent s’appuyer pour regarder l’avenir avec certitude et espoir. « Ceux qui devraient servir de modèles sont étouffés et bafoués, insultés et méprisés sur la place publique, humiliés, hués et jetés en prison »; remplacés par les antivaleurs, les anti-modèles. Et l’armée en souffre, l’éducation en apathie, l’administration en endure. L’époque glorieuse des orgueils intellectuels et des débats d’école orchestrés par les professeurs Harris-Memel Foté, Zadi Zaourou, Niangoran Bouah, Niangoran Porquet est révolue et remplacée par celle des « connaipayens » et mal-instruits.

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Le grand Maitre Bernard Zadi Zaourou

La fracture culturelle est plus que jamais imminente et visible dans ce conflit des traditions applaudi par la tutelle. Oui, désormais, dans un contexte géoculturel, chaque région se bat pour l’affirmation et le triomphe de sa culture sur celle des autres à travers des parangons inventés. On parlera de « Maquis Baoulé », de « pagne Allons à Gagnoa », de festivals tous azimuts qui, loin d’être la preuve d’un dynamisme et d’une fertilité culturels, représentent des outils séparatistes des valeurs.

La musique a perdu de sa verve et de son originalité, orchestrée telle qu’elle est aujourd’hui par cette nouvelle espèce d’incirconcis, de chenapans, de galopins et de minus habens dans un vacarme de sons tapageurs.

Si ce que l’on attend des religions est sans nul doute leur contribution à l’instauration et à la sauvegarde des valeurs partagées de paix, de tolérance, de justice, de vérité et de liberté, nous assistons malheureusement en Côte d’Ivoire à l’ingérence maladroite des guides religieux dans la vie politique du pays à travers certaines prises de position parfois contestées et contestables. Dans cette ambiance morose et grincheuse certains se disant bishop ou archi-bishop s’adonnent à la marmaille par des investitures incestueuses qui fort heureusement n’ont pu échapper au courroux de l’opinion. Le sport également est infecté par ce virus rwandais.

Oui, mon pays va mal, même si ceux qui en chantaient ont cessé d’en chanter par enchantement.

Que faut-il envisager, quand on est sur la voie de tout perdre ? Un débat national, une concertation nationale, une conférence nationale ?

Je souhaite pour mon pays une année de paix marquée par la mise en place d’un grand forum institutionnel pour débattre, réfléchir sur l’ensemble des préoccupations susceptibles de contribuer à la moralisation de la société et à la construction d’une nation républicaine et réconciliée.