Economie/Donald Trump met fin aux accords préférentiels octroyés à la Côte d’Ivoire

Propos retranscrits par Ablizangoh Wakatê/afriquematin.net

 Dans le cadre de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA), le président Donald Trump a mis fin le 02 avril dernier aux accords préférentiels accordés à la Côte d’Ivoire. Dans cette interview, Le professeur Séraphin Yao Prao fait des précisions sur les taxes américaines appliquées aux pays africains.

A quoi répond une telle application de ces différentes taxes proposées par les Etats-Unis ?

 Merci, il faut rappeler qu’avant cette date, le taux moyen appliqué par les Etats-Unis était de 3,3 %. En 2024, la Côte d’Ivoire a exporté pour plus d’un milliard de dollar de marchandises vers les Etats-Unis. Près de 750 millions de dollars concernait uniquement neuf lignes tarifaires portant sur le cacao et ses dérivés. Ces produits étaient jusqu’ici exonérés de droits de douane grâce à l’Agoa.

Vous savez que les principaux objectifs de la politique économique de court terme sont représentés dans le « carré magique » proposé en 1971 par l’économiste britannique Nicholas Kaldor : plein emploi, stabilité des prix, équilibre de la balance extérieure, croissance. Dans le cas des Etats-Unis, le président Donald Trump considère que son pays enregistre des déficits par rapport aux autres pays. En outre, A cet effet il a décidé de pratiquer la réciprocité en matière de taxes vis-à-vis des autres pays.

Par rapport à la Côte d’Ivoire, quelle est la situation qui prévaut ?

 La Côte d’Ivoire va voir ses produits taxés de 21% suite aux droits de douane annoncés par le président américain et pour la Côte d’Ivoire, il s’agirait des exportations du produit cacao. Notons que notre pays exporte vers les États-Unis, principalement du cacao, du caoutchouc et des huiles essentielles.

Selon les données officielles, les exportations ivoiriennes vers les États-Unis sont passées de 688 milliards FCFA en 2021 à 465 milliards en 2023, soit une chute de 32,4 % en deux ans. En parallèle, les importations de biens américains vers la Côte d’Ivoire ont augmenté, passant de 374 milliards FCFA en 2021 à 446 milliards en 2023 (+19 %).

Selon Séraphin Prao, « Les conséquences économiques concernant la Côte d’Ivoire peuvent s’apprécier au niveau des entreprises, de la compétitivité externe des produits exportés et macroéconomique ».

 Il en résulte un solde commercial excédentaire de 314 milliards FCFA en 2021, mais de 19 milliards en 2023. En 2024, la Côte d’Ivoire a exporté pour plus d’un milliard de dollar de marchandises vers les Etats-Unis. Nous remarquons toutefois un recul progressif des échanges commerciaux entre les deux pays, notamment du côté ivoirien.

 Quelle est la situation concernant les autres pays africains ?

 En 2024, les pays africains ont exporté pour 39,5 milliards de dollars de marchandises vers les États-Unis. Mais il ne s’agissait pas d’un commerce unilatéral, puisque les États-Unis ont également exporté pour 32,1 milliards de dollars de marchandises vers l’Afrique, soit une augmentation de 11,9 % (3,4 milliards de dollars) par rapport à 2023. Les exportations africaines vers le continent américain ne représentaient que 6,4 % des exportations totale du continent en 2022, selon la Banque africaine d’import-export (Afreximbank), et ce commerce a connu un déclin au cours de la dernière décennie.

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Selon le bureau du représentant américain au commerce, un classement des pays africains par exportations et produits dans le cadre de l’Agoa en 2022 a montré que 3,6 milliards de dollars ; principalement véhicules et pièces détachées, fruits, métaux précieux et produits chimiques sont de l’Afrique du Sud. Le pétrole brut du Nigeria et du Ghana à hauteur de 3,5 milliards de dollars, le Kenya et le Madagascar dans le secteur de l’habillement, 614 millions de dollars et 406 millions de dollars.

Le pétrole brut de l’Angola, 391millions de dollars, le Lesotho, 260 millions de dollars ; principalement dans le secteur de l’habillement, la Côte d’Ivoire 127 millions de dollars ; principalement des produits de cacao, le Gabon, 125 millions de dollars en   pétrole brut).

Le Congo, 92 millions de dollars ; principalement du minerai de cuivre et des produits, la Tanzanie, 75 millions de dollars, principalement dans le secteur de l’habillement, l’île Maurice 74 millions de dollars ; principalement dans le secteur de l’habillement.

Voici des exemples de taux appliqués dans certains pays africains, notamment le Lesotho (50 %), Maurice (40 %), Angola (32%), Ghana (10%), Kenya (10%), Sénégal (10%), Maroc (10%), Egypte (10%), etc..

Pouvez-vous nous donner la signification d’une taxe de 21% de droits de douane appliquée aux produits de la Côte d’Ivoire ?

 Pour un produit qui coûtait 100 dollars aux Etats-Unis, désormais, ce bien va coûter 100 dollars plus une majoration de 21% sur l’ancien prix, c’est-à-dire, 100 + 100 (21/100) donc un nouveau prix de 121 dollars. Le même bien coûte plus cher qu’avant. Il en résulte que les produits ivoiriens coûteront plus chers désormais sur le marché américain.

Quels sont selon vous, les conséquences sur l’économie ivoirienne ?

 Les conséquences peuvent s’apprécier au niveau des entreprises, de la compétitivité externe des produits exportés et macroéconomique. Concernant les entreprises, notons que la Côte d’Ivoire est engagée dans la transformation de son cacao afin d’en tirer des valeurs ajoutées substantielles. Aujourd’hui, le pays compte douze (12) entreprises pour quatorze (14) usines qui transforment le cacao en beurre de cacao et en d’autres dérivés semi-finis de première transformation. La capacité de broyage du pays est estimée à 972 000 tonnes avec un taux de transformation effectif de 35%.

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De même, les start-ups qui exportent du chocolat ivoirien aux Etats-Unis, pourront enregistrer une baisse d’activité à cause de la hausse des prix du chocolat aux Etats-Unis. La faible demande du chocolat ivoirien pourra donc entrainer une baisse d’activité et des pertes d’emplois dans les secteurs impactés. Mais si les clients américains sont très fortunés, alors la taxe sera moins dissuasive.

Pour les six multinationales qui dominent le marché ivoirien des exportations, c’est-à-dire, Barry Callebaut (Suisse), Olam (Singapour), Cargill (Etats Unis), Ecom (Suisse) et les groupes français Sucden et Touton, elles seront faiblement impactées puisqu’elles vendent le plus souvent le cacao à terme, les prix étant fixés avant la livraison du produit.

Dans tous les cas, elles font tellement de gros bénéfices qu’elles pourront réduire à court terme leurs marges sans grand dommage sur leur rentabilité. En outre, ces six multinationales qui achètent la quasi-totalité de la production nationale de cacao vendent plus de 80% en Europe.

 Au niveau de la compétitivité externe, le cacao ivoirien coûtera plus cher que le cacao ghanéen par exemple. Les produits comme le cacao, le caoutchouc ou encore les produits dérivés du cacao, verront avec les 21 % de taxes imposées au pays, leur compétitivité sur le marché américain, fortement réduite.

De même, pour les produits africains, ces augmentations de taxes vont entraîner une baisse de la baisse de compétitivité des biens exportés aux Etats-Unis. Or, l’augmentation des coûts d’exportation ne peut que réduire la compétitivité, ce qui, à son tour pourrait entraîner une baisse des revenus et déstabiliser les économies.

Sur le plan macroéconomique, avec une production annuelle de plus de 2 millions de tonnes, la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial de fèves de cacao, représentant 40% de la production mondiale. Le cacao constitue donc un pilier essentiel de l’économie ivoirienne, générant 40% des recettes d’exportation et contribuant entre 10 et 15% au PIB national, et le premier pourvoyeur de devises du pays, selon la Banque mondiale.

En se basant sur les données de 2022, une étude de center global développement, estime qu’une telle taxe, pourrait faire perdre à la Côte d’Ivoire 0,39% de son PIB. Une telle projection est basée sur une part des exportations de la côte d’ivoire vers les Etats-Unis, représentant 5,3 % des exportations totales de la Côte d’Ivoire. Ces exportations représentent 1, 25 % du PIB ivoirien. La croissance économique de la Côte d’Ivoire sera donc faiblement impactée.

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Avez-vous des solutions à proposer ?

  A court terme, il faut chercher à engager la discussion avec Washington et en réalité, ces nouvelles taxes américaines sont calculées selon deux critères : le déficit commercial des États-Unis avec leurs partenaires et les barrières douanières mises en place par les pays africains pour protéger leurs économies. Les 21 % des États-Unis constituent une réplique des 41% de la Côte d’Ivoire. C’est le même principe pour les autres pays africains : la réciprocité.

Le président Trump cherche donc à négocier de nouveaux accords avec les pays afin de résoudre l’épineux problème du déficit commercial américain. Pendant que les discussions sont engagées avec le gouvernement américain, il faut se tourner vers d’autres pays. En général, les pays africains sont susceptibles de se tourner vers d’autres partenaires commerciaux, comme la Chine, pour éviter les droits de douane américains. Depuis près de 20 ans déjà, la Chine a dépassé les États-Unis comme premier partenaire commercial de l’Afrique et représente l’un des plus importants bailleurs de fonds bilatéraux du continent.

A moyen terme, si la situation perdure, il faudra que les multinationales du cacao acceptent de réduire leurs marges pour ne pas que les taxes viennent réduire la demande et en dernier ressort les prix proposés aux producteurs et à long terme, il faudra engager la diversification, la transformation et privilégier le marché africain.

La transformation des matières premières n’est plus une question d’amélioration de sa stratégie économique afin d’accroitre sa valeur ajoutée, mais une question de survie pour les économies africaines. Les pays africains doivent commencer à transformer leurs économies afin d’être indépendants vis-à-vis des pays occidentaux. D’ailleurs, avec les pays occidentaux, le commerce est très déséquilibré.

 Par exemple, la structure des exportations ivoiriennes vers les États-Unis est fortement concentrée. En 2023, plus de 90 % des ventes portaient sur trois produits : Cacao et ses préparations (410 Mds FCFA), Caoutchouc naturel (102 Mds FCFA), et de Fruits tropicaux (29 Mds FCFA). Pendant ce temps, les importations de biens américains vers la Côte d’Ivoire, en 2023, étaient essentiellement composées de Combustibles minéraux et huiles (268 Mds FCFA), de Machines et équipements industriels (50 Mds FCFA) et de Véhicules et matières plastiques.

Dans une telle configuration, même si le commerce bilatéral est globalement équilibré en valeur, il est déséquilibré en nature. En effet, la Côte d’Ivoire vend le cacao, le caoutchouc, et les fruits tropicaux pendant qu’elle achète du carburant, des machines, et des pièces industrielles. Du coup, la faible valeur ajoutée locale sur les produits exportés, rend la Côte d’Ivoire dépendante de volumes massifs et de conditions tarifaires favorables.