Décès de l’ancien président du Ghana/ Le Ministre Koné Katina rend un vibrant hommage à JERRY J.Rawlings.

Par Christ Zorro/ Afiquematin.net

Rappelé à Dieu le 12 novembre dernier, de nombreux  hommages continuent à ce jour de  fuser de partout dans le monde à la mémoire de l’ancien chef d’Etat de la République du Ghana, le capitaine Jerry John Rawlings. Au nombre de ceux-ci, ceux de l’ancien ministre ivoirien du budget, Katina Koné. Celui-ci, tout le long de son intervention, n’a pas fait l’économie de sa reconnaissance envers celui qui «  défendit la cause du Président Laurent GBAGBO dans tous les forums pendant pratiquement 10 ans ».

HOMMAGE A SON EXCELLENCE, LE CAPITAINE (FLIGHT LIEUTENANT) JERRY JOHN RAWLINGS ANCIEN PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DU GHANA.

« Les années 80 sont celles de mon adolescence, mes années de collège. A l’instar de tous les adolescents, j’avais mes rêves qui me transportaient régulièrement vers des horizons qui m’abreuvaient d’espérance infinie. Cependant, aussi divers et aussi généreux qu’ils furent, aucun de ces horizons ne pouvait rendre accessible à mes rêves une rencontre un jour avec Jerry John Rawlings. Seul le destin, dans sa dimension irrationnelle, détient le secret de transformer nos rêves, y compris les plus improbables, en réalité. Tous les collégiens de mon âge de cette époque recevaient des échos lointains, mais très marquants, de trois noms. Thomas Sankara au Burkina Faso, Jerry John Rawlings du Ghana et Laurent GBAGBO. Les deux premiers portaient la révolution en treillis respectivement au Burkina Faso et au Ghana tandis que le dernier se dressait intrépidement face à l’immense Houphouët Boigny en Côte d’Ivoire. Ils étaient alors les héros de notre monde imaginaire dont le mythe a été parfois construit à coups d’anecdotes racontées par nos enseignants tout autant, sinon plus, fascinés que nous par ces noms. Ces anecdotes, parfois portées aux limites de l’exagération qui échappait à notre conscience candide, ont contribué à élever ces personnes au rang de véritables légendes pour nous. Or, par sa nature, la légende reste dans l’ordre de l’imaginaire, de l’inexistant et, donc, de l’inaccessible. Dieu lui-même m’aurait fait douter de lui s’il s’incarnait devant moi pour m’annoncer que je rencontrerais un seul de ces trois, même dans l’espace d’une seconde de ma vie. Pourtant, le destin fera mieux une trentaine d’années plus tard.

Lorsque le 13 Avril 2011, je franchis la frontière du Ghana le cœur grossi et saignant par l’intensité des ressentiments, j’étais loin d’imaginer que le Ghana allait être le théâtre d’accomplissement plein et entier de mes rêves d’adolescent des années 1980 ; même si la bonne fortune m’avait déjà fait une faveur exceptionnelle en m’offrant l’opportunité de rencontrer Laurent GBAGBO et, mieux, de travailler à ses côtés.

Le mercredi 14 juin 2011, lorsque j’empruntai les escaliers abruptes d’une vieille bâtisse coloniale qui ouvrent sur une sorte de véranda qui tient lieu de secrétariat tenu par un vieil homme, j’ignorais que j’entrais ainsi dans le sanctuaire qui me couvrirait de son ombre protectrice durant les neuf prochaines années. 15 minutes plus tard, le vieil homme qui tenait le secrétariat me fit entrer dans un vestibule, sobrement meublé, et me montra le fauteuil dans lequel je devrais m’asseoir. A peine assis, des pas de géant cognèrent drument le plancher, donnant l’impression que la vielle bâtisse, pourtant encore solide, allait s’écrouler sous le poids éléphantesque desdits pas qui avançaient à un rythme martial. Les craquements d’une serrure se firent entendre et, subitement, se dressa devant moi l’immense homme dont la barbe, même blanchie, restituait encore les traits de l’homme au béret noir et aux lunettes fumées dont les photos avaient orné certains des placards de nos dortoirs de collèges ou de lycées. La gravité de la voix, qui me lança un « Hello Chief », et la vigueur de la poignée de main, qui comprima ma paume et fit craquer les os de mes phalanges, donnèrent une part de vérité à la légende tissée autour de l’homme. Il est resté entièrement militaire cet homme, murmurai-je à moi-même. C’est lui, Jerry John Rawlings. Après Laurent GBAGBO, je venais de rencontrer un autre personnage de notre monde onirique d’adolescents. J’étais justement venu me présenter à lui et lui apporter une copie certifiée de la lettre par laquelle le Président Laurent GBAGBO m’avait fait l’insigne honneur de me nommer, quelques jours plus tôt, comme son porte-parole. De cette première séance de travail, je ne retiendrai pas grande chose. La forte admiration pour l’homme avait captivé toute mon attention et mon esprit, entièrement décroché du moment, rendait difficile le dialogue déjà compliqué à cause de la pauvreté de mon anglais. J’avais pu tout de même réaliser qu’il avait une parfaite lecture de la crise ivoirienne. Il était totalement de notre côté. C’était rassurant de trouver un leader politique africain qui refusait de laisser son esprit contrôlé par les media occidentaux, surtout en 2011. Il était progressiste et anti-impérialiste et partageait le combat du Président Laurent GBGAGBO. Cette ligne, l’homme la garda et la défendit partout jusqu’à ce maudit jeudi 12 novembre 20. Il ne se contenta pas d’exprimer son soutien du bout des lèvres comme bien d’autres l’ont fait juste par acquis de conscience. Non, le capitaine Jerry John Rawlings a joint l’acte à la parole. Je reste fortement marqué par notre rencontre de ce mardi 29 novembre 2011, l’un des jours les plus sombres pour la liberté des peuples opprimés. L’homme venait d’être informé au téléphone, par mes soins, de ce que le Président Laurent GBAGBO était entrain d’être transféré à la Haye pour être présenté aux juges de la CPI. Il me fit venir immédiatement à son bureau. Je le trouvai les yeux rouges de fureur, accompagné du conseiller du Président de la République du Ghana chargé de la sécurité nationale. Le Président Atta Mills était absent. Le Président Rawlings cherchait une solution qui était impossible. Il ne voulait pas de cette autre déportation. Toutes les voies que les deux hommes envisageaient les amenèrent à la même triste réalité. Ils n’avaient aucun moyen pour bloquer ce transfèrement. Quand il prit ses verres noirs pour les porter à son visage fortement crispé, je compris que l’homme voulait cacher les signes extérieurs de sa douloureuse peine du moment. Il ne pouvait rien faire pour empêcher cette infamie que l’on servait à l’Afrique en déportant, une fois encore comme au temps jadis, « l’un des dignes fils du continent » ; c’est ainsi qu’il appelait souvent le Président Laurent GBAGBO. Il donna plusieurs coups de poing au murs épais de son bureau pour évacuer le trop plein de rage qui menaçait de faire exploser sa poitrine. Je priai ardemment Dieu pour ne pas en recevoir. Dieu m’exauça. Il maugréa des mots étouffés par des fortes expirations. L’homme se sentait vraiment blessé et meurtri dans son âme. Il regagna son bureau attenant au vestibule au même rythme qu’il en était sorti.

Non seulement le Président Rawlings défendit la cause du Président Laurent GBAGBO dans tous les forums pendant pratiquement 10 ans, mais il plaça tous les réfugiés ivoiriens sous l’ombre de ses puissances ailes. J’en ai été le plus grand bénéficiaire. Je lui dois la vie. Il m’a sauvé ainsi que de nombreux autres réfugiés de plusieurs situation périlleuses. Devant l’ampleur de la chasse à l’homme engagée contre moi, Rawlings s’est constitué en bouclier pour ma cause, que dis-je, pour la cause du Président Laurent GBAGBO. Mon orgueil n’est pas assez puissant pour me convaincre que je pesais quelque chose, même une plume, dans ce combat. Je n’étais que le bénéficiaire collatéral de la grande sympathie que ces deux grands hommes se portaient mutuellement. Le 24 Août 2012, sans le Président Rawlings, mon exil au Ghana se serait arrêté de la pire façon, et certainement je ne serais plus de ce monde. C’est d’ailleurs à partir de ce jour, qu’ayant mesuré l’ampleur des risques vitaux qui pesaient sur moi, il décida de se rendre accessible à tout moment par moi, en me donnant son numéro de téléphone privé. Et il le fut. Il ne s’est jamais dérobé de son engagement de protéger les réfugiés ivoiriens. Tous les cas de menace sur la vie de ceux-ci portés à sa connaissance ont été traités avec la même attention, à sa manière toute particulière. Il me fera l’inoubliable honneur de me rendre visite en prison. Toute chose qui contribua à améliorer les conditions de ma détention et à me rendre célèbre dans le petit milieu carcéral. J’eus droit à beaucoup d’égards aussi bien de la part de mes codétenus que du personnel de sécurité. Parce que Rawlings ne laisse personne indifférent au Ghana. Finalement, il m’admit dans le cercle de ses confidents. C’est dans ce cercle que je rencontrai le commandant Etienne Zongo, ancien aide de camp de Thomas Sankara, témoin privilégié de la révolution burkinabé et de la fin tragique de celle-ci. Depuis 1987, après la mort tragique de son patron, lui aussi était en exil sous la protection du Président Rawlings et du non moins célèbre et énigmatique capitaine Kojo Tsikata. Grâce à la complicité qui s’était installée entre le commandant Etienne Zongo et moi, je vécus aussi, comme dans une sorte de retour dans le passé en remontant le temps, ma part de la révolution burkinabé avec la troisième idole de mon adolescence. Malheureusement, mon grand frère Etienne Zongo mourut le 2 octobre 2015, quelques jours seulement après son premier voyage dans son pays après 28 ans d’exil.

Enfin, pour boucler la boucle, j’ai eu l’immense privilège d’avoir été le témoin des derniers échanges entre le Président Laurent GBAGBO et le Président Rawlings. Je sais maintenant que chaque mot a un sens au-delà de sa signification littérale.

Au total, bien qu’extrêmement difficile pour moi et pour ma famille, l’exil m’aura apporté énormément dans mon cheminement vers la plénitude de l’accomplissement que chaque homme est en droit d’attendre de lui-même.

Mon Président, mon capitaine or Flight-Lieutenant, j’avais rêvé de te rendre cet hommage en Côte d’Ivoire, devant mes parents et surtout devant ton frère, le Président Laurent GBAGBO. C’était aussi le rêve de tous les exilés et réfugiés ivoiriens qui ont trouvé protection et amour paternel en toi. Ceux qui sont rentrés et ceux qui sont encore ici ont le cœur brisé par ton départ inattendu vers le Père. Mais hélas, ce sont malheureusement les tours de passe du destin qui permettent de comprendre l’infinité et l’indéfinité de Dieu. Je ne pouvais pas m’imaginer un seul instant que notre dernière rencontre familiale à Keytia, aux obsèques de notre mère, aurait été la dernière. Ta vigueur habituelle et le ton grave de ta voix ne pouvaient présager de la terrible nouvelle de ce jeudi 12 novembre 2020. Tu aurais certainement pu attendre, juste un peu, pour rencontrer ton frère et goûter ainsi à la joie de ton engagement pour la cause juste. Tu mérites un hommage populaire en Côte d’Ivoire. Mais, à titre personnel, je t’en fais la promesse, je rendrai le témoignage que je te dois à ton épouse et à tes quatre enfants qui sont devenus une composante de ma famille. Te rappelle-tu du projet que je t’avais soumis qui consistait à écrire avec toi tes mémoires afin qu’ils soient publiés à la fois en Anglais et en Français. Tu m’avais dit d’attendre un peu que tu en discutasses avec ton épouse qui a une mémoire plus alerte et plus nette. Je poursuivrai ce projet avec elle. Ce sera ma contribution à la promotion de ton combat pour notre continent qui a tant besoin de repères. Nous t’aimons, mais nous savons que pour ce que tu as été pour ton pays, pour ton continent et pour les pauvres réfugiés ivoiriens, Dieu t’aime plus que nous. Il t’a rappelé de manière subite pour des raisons que lui seul sais.

Maintenant que tu es entré dans le monde incorruptible, continue de veiller sur ton pays le Ghana, sur ton continent. Continue de plaider pour la juste cause de ton frère auprès de notre Créateur, le vrai Justicier. J’ai appris beaucoup à tes côtés. C’est pourquoi je te dis tout simplement merci, merci pour tout.

Les réfugiés ivoiriens au Ghana et ailleurs te disent merci, Medase, Akpeloo, Thank you very much.

Sincère et filiale considération »

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Le ministre Justin Katinan KONE ou encore, pour rester collé aux expressions par lesquelles tu m’appelais, Chief ou GBAGBO Boy.

Président de la Coordination du FPI en exil