Coronavirus : en Côte d’Ivoire, la quarantaine en direct sur Instagram.
« Dans le bus pour aller en quarantaine. Au moins, on a nos affaires et on est à Abidjan. On va voir où ça nous mène. La suite bientôt. » En postant une vidéo sur son compte Instagram mardi 17 mars, Tarah Ouegnin, jeune étudiante ivoirienne de 21 ans, ne se doutait pas qu’elle serait suivie pendant plus de quinze heures par des milliers d’Ivoiriens sur les réseaux sociaux. La jeune femme fait partie de la première mise en quarantaine collective depuis le début de l’épidémie causée par le Covid-19 dans le pays. Une expérience qui a fait le buzz, plus que les autorités ne l’auraient souhaité…
Mardi soir, ils sont des dizaines comme Tarah à se voir retirer leur passeport à l’arrivée du vol Paris-Abidjan, avant d’être invités à monter dans des bus à destination d’un campus réaménagé pour l’occasion en site de mise en quarantaine. Cette mesure fait partie du plan d’actions annoncé lundi 16 mars par les autorités ivoiriennes pour endiguer la propagation du coronavirus. Relativement épargnée jusqu’à peu par la pandémie, à l’instar d’autres pays du continent africain, la Côte d’Ivoire est à son tour touchée et compte, au 19 mars, neuf cas de contamination. Pour justifier cette mesure sanitaire à l’égard des voyageurs, les autorités ivoiriennes rappellent le nombre important de « cas importés », à savoir des malades ayant contracté le Covid-19 dans un pays foyer de l’épidémie.
Sauf que très vite, à coup de « stories » sur son compte Instagram, Tarah se met à dénoncer les conditions de mise en quarantaine : « Nous ne sommes pas des animaux, nous méritons un minimum d’hygiène », indique-t-elle sur l’une de ses vidéos où elle montre sa chambre, une pièce vétuste. Plus tard dans la soirée, face caméra, elle déplore une certaine improvisation des autorités sanitaires dans la réponse apportée, ainsi que le manque d’interlocuteurs sur le site : « Nous n’avons pas reçu de masques, pas vu de médecin ou d’infirmiers et aucune information ne nous est fournie ». Son compte commence à être partagé sur les plates-formes de discussion en ligne et les internautes baptisent ces premiers mis en quarantaine « Les confinés ».
Mais c’est un autre passager du vol, bien plus influent sur les réseaux sociaux que Tarah, qui parvient à attirer l’attention de dizaine de milliers d’internautes. Il s’agit du révérend Wilfrid Zahui, un jeune pasteur qui jouit d’une certaine notoriété religieuse et digitale. Dans une vidéo vue plus de 400 000 fois, où il ordonne aux spectateurs de « partager », car « il faut que ce direct interpelle le chef de l’Etat et le ministre de la santé », il présente la situation de ses compagnons d’infortune et la sienne avant d’évoquer une « injustice ». D’après lui, « des enfants des membres du gouvernement, des footballeurs et tout ça », avec qui il prétend avoir voyagé, ont bénéficié de passe-droit à l’arrivée pour échapper à la procédure de mise en quarantaine.
Avant même d’avoir pu être vérifiée, l’information se répand sur les réseaux sociaux, mettant à mal la communication gouvernementale des derniers jours qui présentait la lutte contre le virus comme l’affaire de tous. Et l’exemplarité venait d’ailleurs d’en haut : ici une photo où le président se lave scrupuleusement les mains, là une image de deux ministres se saluant de loin sans se toucher. Il n’aura fallu que quelques minutes d’un « live » sur Facebook pour donner l’image d’une lutte inégalitaire contre le Covid-19 : « Il y a ceux qui subissent la lutte et ceux qui choisissent comment ils vont lutter, s’ils veulent bien lutter », commente un internaute sous la vidéo du pasteur.
Mercredi matin, à peine quelques heures après le début de la mise en quarantaine, les nerfs sont à vif : « NOUS N’EN POUVONS PLUS. QUARANTAINE DE MERDE », écrit Tarah sur l’une de ces vidéos, tandis qu’un autre passager qui passe devant la caméra hurle : « On va tout casser ici ».
« Les confinés » finissent par casser le portail à l’entrée du site et reçoivent, en guise de réponse, du gaz lacrymogène des forces de l’ordre. Les images sont loin de celles du bon gestionnaire que veulent donner les autorités. Ils obtiennent ensuite la visite du ministre de la santé et de l’hygiène public, le docteur Aka Aouélé, qui, en direct sur Facebook via les comptes des « confinés », leur annonce qu’ils vont pouvoir rentrer chez eux. Si les réseaux sociaux semblaient jusqu’à lors sensibles aux conditions de vie des « confinés », les commentaires se veulent plus critiques à leur égard à mesure que grandit la perspective de les voir sortir du site.
Interrogé sur les garanties de confinement de ces dizaines de personnes provenant de pays où l’épidémie sévit, le ministre a répondu qu’il espérait que « l’esprit de civisme et de patriotisme l’emporte pour lutter contre la propagation du virus ». Une fois rentrée chez elle mercredi soir, Tarah n’oublie pas ses « followers » : « Je voulais vous dire merci. Merci d’avoir partagé, d’avoir envoyé des messages. Merci parce que c’est grâce à tout ça qu’ils ont pu nous laisser rentrer à la maison ». Epilogue d’une saison où le méchant, le virus, semble avoir gagné la manche.
SOURCE/ LE Monde Afrique