Coopération France Afrique/ Le point de saturation est-il atteint ?

Nazaire Kadia (analyste politique), Afriquematin.net

Depuis quelques années, quelques grains de sable semblent s’être introduits dans la grande machine bien huilée de la coopération entre la France et ses anciennes colonies d’Afrique. Des faits çà et  là laissent penser que cette relation est arrivée à un point qui nécessite soit une rupture, soit une réforme profonde dans l’intérêt partagé des deux entités.

Si l’Angleterre s’est totalement désengagée de ses anciennes colonies, le Portugal parti suite à des guerres de libération et l’Allemagne contrainte d’abandonner ses colonies au sortir de la première guerre mondiale, la France est omniprésente dans ses ex-colonies malgré l’indépendance à elles octroyée ; une présence certes subtile, mais désormais jugée envahissante par une frange de la jeunesse africaine.

La relation entre la France et l’Afrique francophone, des indépendances jusqu’aux années 80, a longtemps été citée comme un exemple de réussite dans la coopération Nord-Sud ; et la Côte d’Ivoire du boom économique d’Houphouët-Boigny, est l’exemple achevé de cette coopération réussie, brandie à tout va.

Soixante ans d’indépendance, n’ont véritablement pas changé le regard que la France  porte sur ses anciennes colonies, encore moins son attitude à l’égard de celles-ci. Ses interventions ont certes connu une évolution, elles sont plus subtiles, mais l’essence est restée la même. Les accords qu’elle a fait signer aux « pères de l’indépendance », font d’elle le véritable propriétaire de ces pays.

Les Africains de leur côté, ont fini par développer un véritable complexe de dépendance qui leur enlève toute envie d’oser, de tenter ou de souffrir pour se prendre en charge. Ils se reposent en tout sur la France : monnaie, défense, diplomatie et même la paie des salaires des fonctionnaires. Il revient à la France de parler en leur nom à l’ONU, d’être à l’initiative des projets de résolutions de l’ONU concernant ces pays, surtout quand il s’agit d’interventions militaires, dont elle prend la tête en se couvrant du manteau de l’organisation mondiale. Ce fut le cas en Côte d’Ivoire pour « détruire les armes lourdes » de Gbagbo ou en Lybie (pays non francophone) pour « éviter le  massacre » de Benghazi.

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On n’oublie non plus les nombreux coups d’états fomentés par elle, qui ont rythmé la marche de nombreux pays africains,  dès lors que le président éprouve le désir de se sortir du carcan dans lequel il se trouve, et les rébellions créées et entretenues pour se débarrasser d’un président qu’on ne contrôle pas.

Les exemples sont légion (Sylvanus Olympio ou Thomas Sankara pour le premier cas et Laurent Gbagbo pour le second).

Au plan économique, des pans entiers de l’économie des pays francophones sont tenus par des entreprises publiques ou privées françaises, dans une position de monopole.  Des marchés leur sont très souvent octroyés sans appel d’offres et partant sans concurrence.

En faisant le bilan de cette coopération franco-africaine, un constant amer est fait : aucun pays d’Afrique francophone ne figure dans le classement des 10 puissances économiques d’Afrique. Il reste entendu que plusieurs facteurs peuvent expliquer ce fait, il n’en demeure pas moins que ce constat fait est réel.

En remontant également le cours de l’histoire des relations entre la France et l’Afrique, on découvre que la France est l’une des puissances à ne pas présenter d’excuses publiques pour les atrocités qu’elle a commises : en Algérie, au Cameroun, à Madagascar, au Sénégal (camp de Thiaroye) ou en Côte d’Ivoire où en 2004, des jeunes se sont fait tirer comme des lapins par des militaires français devant l’Hôtel Ivoire. Elle s’est arrangée pour sortir un rapport sur le génocide du Rwanda à l’effet de sauver les meubles sans pour autant assumer toute sa responsabilité, encore moins présenter des excuses. Tout le contraire de l’Allemagne qui vient de reconnaître les atrocités commises en Namibie, présenter des excuses et proposer une  compensation.

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Au regard ce qui précède, nombreux sont les jeunes africains qui trouvent désormais la présence française étouffante, obnubilée (la France) qu’elle est, à manipuler à souhait les organisations régionales et sous régionales comme la Cedeao, la Cemac ou l’Ua, adoubant certains coups d’états et condamnant d’autres au gré de ses intérêts et au détriment de ceux des peuples africains. Elle ne s’est pas rendu compte que les générations africaines ont changé et que des actes acceptés avant, ne peuvent plus l’être aujourd’hui.

Les récentes manifestations des maliens à Bamako, devant l’ambassade de la Russie pour demander l’aide à la Russie à l’effet de combattre les djihadistes, tout comme l’ont fait les centrafricains pour combattre les rebelles, ainsi que les démarches du Gabon pour intégrer le Commonwealth, sont le signe évident de la perte de confiance aux français et une volonté d’élargir la coopération à d’autres puissances et vivre d’autres expériences. La relative réussite du Rwanda qui s’est affranchie de la France après le génocide, donne à réfléchir.

La coopération de l’Afrique francophone avec la France semble de toute évidence avoir  atteint son point de saturation. Des ajustements s’imposent si cette coopération doit continuer demain. Demain est certes un autre jour, mais demain arrive toujours et l’ivraie sera séparée du vrai.