Assassinat de trois journalistes russes en Centrafrique: que s’est-il passé?

Trois journalistes russes, envoyés par une organisation financée par l’oligarque Khodorkovsky, ont trouvé la mort en République de Centrafrique alors qu’ils étaient venus enquêter sur une société militaire privée russe, qui assure la sécurité du Président centrafricain, dans un pays que la France considère historiquement comme sa zone d’influence. Une partie de ping-pong médiatique semble s’être ouverte entre la France et la Russie.

L’oligarque Khodokovsky, qui avait été condamné par la justice russe pour fraudes diverses et variées dans le cadre des affaires Yukos, continue son activité contre le pays depuis sa libération, par grâce présidentielle. Il finance ainsi plusieurs plateformes d’opposition, notamment l’organisme qui a envoyé ces trois journalistes en Centrafrique, journalistes « expérimentés » et « certifiés », qui avaient travaillé sur l’opposition russe, sur la Tchétchénie ou sur le Donbass – côté ukrainien.

Le but ici était clair: une société militaire privée russe, la Wagner, est accusée d’être impliquée en Syrie ou en Ukraine, sans pour autant avoir d’existence juridique en Russie. Or, si des preuves n’ont pu être obtenues dans ces zones, la Russie a renforcé son influence en Afrique ces dernières années. Elle livre des armes à l’armée, forme des bataillons dans le cadre de l’ONU et assure la sécurité du Président. L’occasion est belle pour relancer une énième enquête.

Bref, elle commence à occuper beaucoup de place dans un territoire qui n’est pas reconnu comme étant le sien. C’est tribal, mais c’est ainsi.

L’angle d’attaque, pour la mettre mal à l’aise, était cette société Wagner. C’est peut-être pour cela que les journalistes se sont fait pour le moins « discrets« . Pas de garde, ne se sont pas présentés, rien. Ce qui leur a coûté la vie, selon les dires du porte-parole du Gouvernement centrafricain, M. Kazagui:

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«  Le meurtre des journalistes par des coupeurs de route appartenant à un groupe armé »est « une hypothèse très plausible », a estimé M. Kazagui, interrogé par l’AFP. « Ils ont pris des risques très peu calculés et à mon sens démesurés », a-t-il ajouté.

« Ils avaient des visas touristiques. Ils ne sont pas venus se signaler dans mes services, ni à l’ambassade de Russie, ni à quelque autorité que ce soit », a précisé M. Kazagui.

Reste la personnalité surprenante de ce chauffeur, qui leur a été fourni par leur contact à l’ONU et qui, lui, a survécu, déclarant par ailleurs:

Un journaliste aurait été tué sur-le-champ, deux autres seraient morts des suites de leurs blessures, selon M. Kazagui, qui a indiqué à l’AFP que l’un des journalistes se serait violemment opposé aux hommes armés qui voulaient voler leur matériel. Ces détails ont été fournis par le chauffeur du véhicule, qui a été blessé, selon le ministre

Tout cela aurait ressemblé à un fait divers, tragique, mais somme toute banal, s’il n’y avait eu cet article d’un journal africain assez peu connu, Palmares Centrafrique, pourtant largement cité par les sources russes, les journaux libéraux ou les agences de presse. Or, cet article indique que les trois journalistes ont tout d’abord été enlevés, puis interrogés et torturés avant d’être abattus. Deuxième sensation: cela est le résultat des basses-oeuvres de la France, qui soutient activement les groupuscules musulmans contre le pouvoir et ne peut accepter l’influence de la Russie dans la zone.

Très délicatement, la Russie n’est pas la Grande-Bretagne, elle discute cet article – dans sa première affirmation, ne citant à aucun moment la France, mais donnant une importance considérable à cette source et montrant par là-même qu’elle est au courant. La question des tortures est discutée, tantôt avancée, tantôt démentie par le ministère des affaires étrangères russe, qui affirme par ailleurs ne pas être au courant d’interrogatoires.

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L’importance prise par cet article est quand même surprenant, article particulièrement vindicatif contre la France, commençant ainsi:

C’est maintenant clair que la France est derrière les perpétuelles crises qui paralysent la République Centrafricaine. Celle qui a longtemps été l’alliée inconditionnelle des rebellions y compris la séléka vient de frapper fort dans l’assassinat des trois journalistes russes en zone séléka.

Les sous-entendus de l’implication de « la Russie de Poutine » arrivent et ici aussi ces journalistes d’opposition sont beaucoup plus utiles morts que vivants, finalement, si l’on lit entre les lignes le court texte d’Euronews:

L’ONG Reporters sans frontières s’interroge sur la crédibilité de la version officielle. « La version officielle, celle d’une attaque criminelle et d’une exécution à des fins crapuleuses est une version plausible. C’est effectivement une zone dangereuse, explique Arnaud Froger, chargé de l’Afrique à l’ONG Reporters sans frontières. Maintenant il y a évidemment d’autres hypothèses qui peuvent être formulées. On sait qu’il y a une forte présence russe en Centrafrique. Dans quelle mesure cette investigation sur des mercenaires russes que menaient ces trois journalistes a pu leur poser des problèmes, c’est une question que l’on peut se poser, c’est une question à laquelle l’enquête devra répondre, puisque aucune piste à ce jour ne doit évidemment être écartée, y compris la piste professionnelle. »

La Russie est présente militairement en Centrafrique, officiellement depuis le début de l’année. L’objectif affiché est de venir en aide à une armée en grande difficulté.

Pourtant, la presse française, au moins pour l’instant, semble insister sur le crime crapuleux. Pendant que la presse russe relance en creux cet article impliquant la France, sans la citer directement. Une sorte de ping-pong médiatique donnant le temps à l’hésitation avant de se décider que faire de cet élément, comment le tourner. Mais laissant aussi le jeu au politique, par l’intermédiaire de signaux et de non-dits, de déclarations partielles.

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Karine Bechet-Golovko

source:http://russiepolitics.blogspot.com/2018/08/assassinat-de-trois-journalistes-russes.html