Afrique de l’Ouest : ces enfants qui quittent tout pour migrer
En quête d’opportunités économiques, de nombreux mineurs voyagent seuls entre la Côte d’Ivoire et le Nigeria, en passant par le Ghana, le Togo et le Bénin.
Jacques a eu envie de commencer à travailler dès l’âge de 10 ans. Son père a refusé. Alors un jour, il a quitté sa maison de Teme, au Ghana, pour partir vivre au Bénin, comme le font chaque année de nombreux jeunes adolescents en quête d’opportunités économiques. C’était il y a sept ans.
« Je suis monté dans un bus pour Cotonou en me collant à une dame comme si j’étais son fils », raconte le jeune homme. Comme si partir vivre seul à plusieurs centaines de kilomètres, dans un pays étranger, était naturel. Jacques habite aujourd’hui le quartier précaire et cosmopolite de Placodji, à Cotonou, où il a appris le métier de cuisinier. Il n’exclut pas désormais de migrer encore plus à l’est, vers le Nigeria, première économie d’Afrique de l’Ouest.
Joséphine, Togolaise de 16 ans, est partie de son pays natal, le Nigeria, en février. Elle y vivait depuis son enfance avec sa mère, qui s’était remariée avec un homme de Badagry, non loin de la frontière avec le Bénin. Mais l’adolescente a décidé de quitter ce pays géant de 180 millions d’habitants pour vivre ses propres expériences de l’autre côté de la frontière, à Sèmè-Kraké, au Bénin.
« Si j’ai un travail, je peux m’occuper de moi-même n’importe où », raconte en anglais l’adolescente, qui n’a jamais été scolarisée. « Je ne vois pas ma mère, mais ma patronne est bonne et tout va bien », confie la jeune fille, vive et souriante, dans son uniforme jaune et vert d’apprentie couturière.
Depuis des siècles, la migration fait partie du mode de vie et des logiques économiques en Afrique de l’Ouest, où 75 % des mouvements migratoires sont intrarégionaux. On retrouve ce phénomène chez les mineurs, en particulier sur le corridor Abidjan-Lagos, une bande côtière d’un millier de kilomètres entre la Côte d’Ivoire et le Nigeria, en passant par le Ghana, le Togo et le Bénin. Mais plus les enfants sont jeunes et plus les risques d’insécurité, d’abus, d’exploitation ou de prostitution sont élevés.
En 2017, l’ONG Terre des hommes et le Mouvement des associations d’enfants et de jeunes travailleurs (MAEJT), réseau panafricain très implanté au niveau communautaire, ont mis en place le projet Coral pour protéger, accompagner et surtout informer les enfants et les jeunes en mobilité. En un an, 7 500 enfants en quête d’opportunités et de mieux-être ont eu affaire à cette initiative.
« Le regard sur cette migration a changé. Avant, tout déplacement d’enfants était systématiquement assimilé à de la traite, explique Alfred Santos, coordinateur régional du projet pour Terre des hommes. Or parfois, des mineurs décident eux-mêmes de quitter leur milieu d’origine. On ne peut pas les en empêcher, mais on doit les préparer, les encadrer et éviter la migration précoce. » Une quarantaine de points de rencontre sont répartis sur le corridor. Les jeunes peuvent s’y reposer, recevoir de l’aide ou signaler d’autres camarades qui en ont besoin.
À Comè, ville béninoise de 80 000 habitants située non loin de la frontière avec le Togo, les conducteurs de taxi et de taxi-moto ont été formés pour accompagner des migrants mineurs et travaillent avec la police, le centre social et les autorités. Félix Segniho, président du collectif des conducteurs interurbains, a l’habitude de faire la liaison jusqu’à la frontière avec le Nigeria et de croiser des enfants faisant du stop. « Même s’il n’a pas d’argent, on le prend. On lui pose des questions : tu es parti d’où, tu vas où, chez qui et pourquoi ? Certains disent : je vais à Cotonou ou à Lagos, là-bas il fait bon vivre. Si l’enfant n’a pas de destination, on s’arrête à Comè, on va au commissariat et on va rechercher sa famille », explique M. Segniho.
Si les causes de migration sont généralement économiques, elles peuvent aussi être liées à un cadre familial compliqué, comme une tutelle, le remariage d’un parent ou des cas où l’enfant se sent plus menacé que protégé.
Le fait qu’un proche ait déjà migré dans un pays voisin est souvent un facteur important. « Un jeune peut partir parce qu’un membre de sa famille ou un copain est allé au Nigeria et qu’il revient au village avec une moto, un smartphone. Cela l’incite à faire pareil », détaille Omar Boconon Adihou, chargé de la mobilité au MAEJT.
La police aux frontières – qui doit théoriquement ne pas laisser passer un mineur seul – est aussi associée au projet Coral. Ainsi au Nigeria, des formations ont déjà eu lieu pour une plus grande écoute des enfants non accompagnés qui, jusque-là, étaient simplement refoulés. Mais cela ne concerne qu’une infime partie d’entre eux. Comme chez les adultes, la plupart n’ont pas de papiers et évitent les postes-frontières pour passer à travers la brousse.
Source : le monde.fr