Affaire « Si je quitte le pouvoir, ils vont attaquer les nordistes »/Une fille du nord de la Côte d’Ivoire répond à Alassane Dramane Ouattara

Les propos tenus récemment par d’Alassane Dramane Ouattara dans un hebdomadaire français continuent de susciter des réactions dans les milieux sociopolitiques en Côte d’Ivoire. Dans une lettre ouverte, l’ex-députée de Port-Bouët, originaire du nord du pays s’est indignée et a  trouvé scandaleuse cette arrière-pensée du chef de l’Etat qui s’est fourvoyé dans cette interview.    

Monsieur le Président de la République,

Pour la troisième fois depuis vos mandatures respectives, je viens m’adresser à vous, toujours en tant que fille du Nord et musulmane, car je ne puis rester plus longtemps indifférente à l’extrême gravité de vos propos communautaristes tenus lors de votre interview dans le journal français « Paris Match ».

En effet, au cours de vos échanges, vous avez tenu les propos suivants, et je cite: « La Côte d’Ivoire est menacée par l’alliance identitaire formée par Gbagbo et Bédié. Si je quitte le pouvoir, ils vont attaquer les musulmans et les Nordistes. C’est mon devoir de protéger cette communauté qui a toujours été la cible de ces deux individus ». Fin de citation.

Monsieur le Président,

Ces propos, qui interviennent quasiment au terme de votre mandat, succèdent à ceux tenus alors que vous étiez encore dans l’opposition, à savoir : « on ne veut pas que je sois candidat parce que je suis du Nord et musulman », ainsi que ceux tenus à Korhogo juste après votre élection en 2011 indiquant que « c’est la première fois qu’un musulman arrive à la tête de l’Etat de Côte d’Ivoire ».

Dans la même veine, une année après votre accession à la magistrature suprême, en janvier 2012, en réponse à une question du journal français « L’EXPRESS » relative à la nomination exclusive des nordistes aux postes-clefs de l’administration, vous indiquiez « qu’il s’agissait d’un simple rattrapage car sous Gbagbo, les communautés du Nord, soit 40% de la population, étaient exclues des postes de responsabilité ».

Monsieur le Président,

Vos propos mettent à mal la Paix et la Cohésion Sociale en Côte d’Ivoire. Pourtant, c’est bien vous qui avez prôné le « Vivre Ensemble » comme slogan de campagne en 2010, lors des élections présidentielles.

C’est pourquoi, monsieur le Président, je me fais fort de rappeler que la Constitution ivoirienne de novembre 2016 dispose en son Article 54 que « Le Président de la République est le Chef de l’Etat. Il incarne l’unité nationale. Il veille au respect de la Constitution. Il assure la continuité de l’Etat. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des engagements internationaux ».

Elle précise, par ailleurs, en son Article 4, que « Tous les Ivoiriens naissent et demeurent libres et égaux en droit. Nul ne peut être privilégié ou discriminé en raison de sa race, de son ethnie, de son clan, de sa tribu, de sa couleur de peau, de son sexe, de sa région, de son origine sociale, de sa religion ou croyance, de son opinion, de sa fortune, de sa différence de culture ou de langue, de sa situation sociale ou de son état physique ou mental ».

C’est-à-dire que, monsieur le Président, vous représentez le « PÈRE » de la population ivoirienne toute entière, sans distinction aucune, le garant de l’unité nationale, le principal artisan de la construction de la Nation ivoirienne.

Monsieur le Président,

La Côte d’Ivoire est constituée d’une mosaïque de plus d’une soixantaine d’ethnies et une forte communauté étrangère qui aspire à une coexistence pacifique. En prônant le communautarisme dans vos discours politiques depuis plusieurs années, nous filles et fils du Nord, nous nous sentons mal à l’aise, stigmatisés et même exposés. L’instrumentalisation de la communauté du Nord est un repli identitaire grave et dangereux pour l’environnement politique du moment marqué par les élections à venir.

Faut-il citer votre référent politique, feu Félix Houphouët-Boigny qui disait et je cite : « le dialogue est l’arme des hommes forts et non des faibles, c’est l’arme de ceux qui font passer les problèmes généraux avant les problèmes particuliers, avant les questions d’amour propre » ?

C’est aussi le lieu pour nous de rappeler la préoccupation du Président Laurent Gbagbo qui souhaite des élections apaisées en invitant ses concitoyens à éviter tout comportement et parole appelant à la haine, source potentielle d’une nouvelle crise liée aux élections.

Oui, monsieur le Président, la laïcité de l’Etat est une réalité, une nécessité tout comme l’unité et l’indivisibilité du pays. Les hommes politiques passent, mais la Côte d’Ivoire et ses habitants demeurent. Nous, communauté du Nord, voulons vivre dans un climat harmonieux et paisible avec tous nos concitoyens dans leurs diversités, dans un pays véritablement réconcilié.

C’est pourquoi, monsieur le Président, j’en appelle à vos devoirs régaliens de premier magistrat du pays, afin de favoriser le dialogue, la réconciliation, la cohésion sociale et l’unité nationale tels qu’inspirés par notre constitution, sans aucune forme de discrimination.

J’en appelle également aux communautés du Nord, afin qu’elles s’inscrivent dans la construction d’une nation forte et solidaire, plutôt qu’une tribu.

La République est un régime politique qui propose des valeurs, celles-ci relevant de la morale ou de l’éthique. Elle fédère et intègre. Elle ne divise pas et doit plutôt privilégier l’intérêt national.

Monsieur le Président, garant moral de l’unité de la Nation, notre pays est à la croisée des chemins. En tant que fille du Nord et musulmane, je vous invite humblement à être « cet homme fort » qui va marquer ces moments cruciaux de notre pays de son empreinte. Le peuple de Côte d’ivoire dans son ensemble attend beaucoup de vous.

Dieu bénisse la Côte d’Ivoire

Fait à Abidjan le 28 septembre 2020

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Hadja BAMBA Massany

Ex-Députée de Port-Bouët

Source : pressivoire.com