Côte d’Ivoire/Quand allons-nous nettoyer les écuries d’Augias ?

Par Pascal Fobah Eblin*

L’actualité politique en Côte d’Ivoire a été meublée ces dernières semaines par l’affaire dite des « Pandora papers » et celle des députés cumulant leur fonction de parlementaire avec une autre. Mais, il n’y a pas que les députés qui sont concernés par cette pratique de cumul de fonctions. Bien d’autres personnalités sont impliquées dans cette pratique anti-républicaine tolérée.

Le cumul des indemnités de fonctions qui permet à certaines personnalités de bien vivre de la politique devrait susciter un regard un peu plus curieux des services compétents et de la Haute autorité pour la bonne gouvernance.

En effet, si les déclarations de revenus sont correctement faites auprès de cette institution et si cette dernière se donne les moyens de faire les contrôles qu’il faut conformément à sa mission de moralisation de la vie publique, en substance donc, si chacun remplit correctement et honnêtement les missions qui lui sont assignées, il n’y a pas de raison que ce qui a été éventé par le Journal d’Abidjan (JDA) et que nous dénonçons aussi dans cet article continue d’avoir de longs jours devant lui.

Le cas du président du conseil régional du sud-Comoé nommé à la présidence du Conseil économique, social, environnemental et culturel depuis le 6 avril 2021 mérite de retenir aussi l’attention et, des enquêtes devraient être diligentées par les services compétents et ceux de la Haute autorité pour la bonne gouvernance pour connaître exactement le nombre de personnalités politiques impliquées dans ces cumuls d’indemnités et autres incompatibilités.

Pendant qu’on rappelle à un opposant politique, en l’occurrence le professeur Mamadou Koulibaly, les dispositions réglementaires à travers un joli petit courrier cordial pour mettre à mal sa probité et qu’on l’informe que la loi lui sera rétroactivement appliquée, on laisse, dans le même temps, un président de conseil régional nommé depuis 6 mois à la tête d’une institution de la République continuer de bénéficier des avantages liés à ces deux fonctions.

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Ce cumul des deux fonctions exécutives nationales est-il autorisé par la loi ? Si, au contraire, aucune loi n’existe pour régler la question, ne faut-il pas légiférer sur ce phénomène qui, à y voir de plus près, pourrait ne pas concerner que le seul président du Conseil économique, social, environnemental et culturel ?

Ne faudrait-il pas aller plus loin pour s’attaquer de façon globale à ce que les sociologues appellent la « multipositionnalité » qui est le fait pour un petit nombre de personnes de multiplier les positions dans des sphères de pouvoir ? Cette multipoisitionnalité n’est pas une exception ivoirienne. Elle permet à des professionnels de la politique d’accumuler les rentes et les avantages pour s’offrir des retraites dorées sur le dos du contribuable. La concentration des ressources et des positions d’influence par un petit nombre de caciques permet généralement au parti au pouvoir d’entretenir son emprise nationale ainsi que sa base sans recourir à ses propres caisses.

Ce qu’on oublie souvent, c’est que les partis au pouvoir perdent le pouvoir non pas à cause de l’opposition mais généralement à cause des turpitudes de leurs propres membres dans la jouissance du pouvoir, lesquelles leur font perdre toute crédibilité auprès des électeurs.

Casser de l’opposant par des artifices de toutes sortes, c’est bien pour apparaître comme le plus fort et le plus rusé du moment mais enlever la paille que l’on a soi-même sur les yeux est encore mieux parce que la cécité est parfois synonyme de perte du pouvoir pour le parti au pouvoir.

En attendant que la réflexion sur la question soit menée en profondeur, il faut dire que ce deux poids deux mesures doublé d’un laxisme indécent à l’avantage des membres du parti au pouvoir que l’on observe est inadmissible en République. Pourquoi le RHDP ne parvient-il pas à se départir de sa philosophie politique du rattrapage au visage multiforme ?

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Il s’agit bel et bien d’un rattrapage puisqu’il s’agit de faire des faveurs aux membres du parti au pouvoir en feignant de ne pas voir leurs implications éthiques. Par ailleurs, même si aucune institution de la République ne l’a pas clairement notifié aux différents concernés, la décence républicaine commande qu’ils prennent eux-mêmes les dispositions pour se conformer à la loi là où elle existe.

C’est une question d’éthique politique d’autant plus que les cumulards, malgré les largesses que leur autorisent les cumuls de rentes, ne sont pas bien vus en termes de rapport à la bonne gouvernance.

En Côte d’Ivoire, les usages décriés ici sont monnaie courante. Ils sont tolérés, voire ignorés par les instances chargées de la moralisation et de la transparence de la vie publique, pourvu que ces actes viennent des membres du parti au pouvoir.

 Ce n’est pas une façon très moderne de gérer les affaires de la République. Une telle façon de faire accentue plutôt les clivages et autres fractures sociales et détruit la cohésion nationale. Ces pratiques à rebours des bons usages devraient être évitées et même condamnées.

 Les services compétents de l’Etat, y compris la Haute autorité pour la bonne gouvernance, doivent, chacun, jouer pleinement et honnêtement son rôle pour que les incompatibilités et autres cumuls de salaires des professionnels de la politique cessent ou, à tout le moins, soient corrigés.

  *Professeur des Universités, Analyste politique