Félix Houphouet Boigny- Blé Guirao Jean Débadea/ l’ex secrétaire général de la FESCI et actuel S.G de l’U.D.P.C.I rend témoignage de ses dernières rencontres d’avec le ‘’Bélier’’ de Yamoussoukro.

Par Vouzo Zaba /Afriquematin.net

27 ans déjà que le ‘’Vieux’’, surnom affectueux que les africains et plus particulièrement les ivoiriens donnaient à Félix Houphouet Boigny, à cause de la sagesse dont étaient empruntes les sorties médiatiques du premier chef d’Etat ivoirien, a quitté ce monde. Au nombre de ceux qui ont eu le ‘’privilège’’ de le  rencontrer, figure l’ancien secrétaire général de la Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) et actuel secrétaire exécutif de l’Union pour la Démocratie et la Paix (UDPCI), Blé Guirao Jean Débadéa. Dans son livre à paraitre  très bientôt et intitulé  « Mes années FESCISTES ou la prise de conscience d’une génération sacrifiée», il lève un coin de voile sur les derniers instants  que lui et ses camarades syndicalistes ont eu avec le père de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, quelques mois  avant la disparition de celui-ci.

« …Nous sommes en avril 1993, l’école Ivoirienne est paralysée au niveau du supérieur. A Bouaké, ils sont une vingtaine d’étudiants, tous membres et responsables de la FESCI qui sont arrêtés et détenus en prison  à la suite d’une grève pour le retard de paiement de bourses.

A  Abidjan, dans toutes les cités Universitaires et sur le Campus de Cocody , c’est la chasse à l’homme. Tous les rassemblements de la FESCI sont violemment dispersés par les hommes du Général Gaston Ouassenan, le tout puissant ministre de la sécurité. C’est dans cette atmosphère tendue qu’une dame, Madame Melèdje Proviseur d’un lycée à Dabou,  approche discrètement le Bureau Exécutif National de la FESCI pour nous dire qu’elle a pu obtenir une audience pour nous avec Féfal(comme on appelait dans notre jargon le Président FELIX H. BOIGNY). Car toutes nos demandes d’audiences avec le Président HOUPHOUET étaient jusque-là sans suite, bloqués par les services de la  Primature du Premier Ministre  Alassane Ouattara.

Rdv est pris pour le 04 avril 1993 à 18h à la résidence du Président de la République.Ce 04 avril 1993, nous étions 05  du BEN (NDLR : Bureau Exécutif National)de la FESCI à aller pour la première fois devant « le crocodile de YAKRO » afin de lui exposer de visu les nombreux problèmes qui minaient l’école Ivoirienne.

Outre le SG National Joseph Ahipeaud, il y avait Djué N’goran Egène  1er SGA, le Secrétaire National aux Finances MifougoYoussouf Diarrassouba , le Secrétaire Nation à l’Education, Made Gueu et bien sur moi-même, j’étais Secrétaire National à l’Organisation.Le mot d’ordre est clair. On allait certes rencontrer le 1er des Ivoiriens mais nous devons lui donner la réalité de notre vécu quotidien qui faisait que les grèves se succédaient. Les étudiants soufraient trop. Ce jour du 04 avril 1993 nous étions tous en pantalon jean avec tee shorts ou chemises.

Arrivés à 18h moins et installés dans une grande pièce dans un silence de cathédrale brisé parfois par le long cri strident d’un paon dans le jardin d’à côté.C’est à 19h que le vieux fit son entrée dans la salle avec sa démarche majestueuse et son sourire. Il était accompagné du commissaire DRISSA TOE. Ses premiers mots « Bonjour mes enfants, asseyons-nous », après nous avoir serré les mains, ont été comme une délivrance car une certaine panique avait commencé à s’emparer de nous. Pas question car nous étions porteurs du message de milliers d’élèves et d’étudiants dont les parents géniteurs avaient totalement démissionné. Nous étions nos propres parents et on s’appelait « parent ».

De 19h 10 à 23h le vieux et le commissaire nous ont écouté religieusement sans réagir et sans écrire. Le vieux avec les yeux fermés et la tête balançant dans le pivotement de sa chaise royale. On a exposé les problèmes des cités U qui étaient en nombre insuffisant par rapport aux nombres d’étudiants. le nombre de places dans les amphis, les problèmes de restauration avec le only for dog(uniquement pour chien) qu’on nous servait, les bourses qui étaient toujours payées en retard, le N’DAYA(l’aide de la 1ere Dame) qui ne prenait pas en compte tous les autre étudiants non boursiers, les TD qui étaient assurés difficilement par manque d’appareil ou de labos dépassés, les problèmes de transport des étudiants où on proposait si la gratuité devait prendre fin, la somme de 3000f par mois pour la carte SOTRA des étudiants des grandes écoles et de l’Université, les problèmes des étudiants de l’ENS, des facultés de médecine et de pharmacie par rapport aux différents stages de fin d’année.…..etc. construite pour 6000 étudiants notre Université comptait déjà plus de 20 000 étudiants avec des étudiants cambodgiens dormant à 05 voire à 06 dans une chambre.

Le vieux nous a écouté et lorsqu’on a fini il a promis nous revoir pour nous apporter des réponses à notre long exposé. Il nous a invités à dîner. Ce à quoi le SG Ahipeaud a opposé un refus poli. Venus à pieds de Mermoz où nous attendaient de milliers de camarades, nous y sommes repartis en courant vers eux, heureux d’avoir été reçu enfin par le Président de la République.Ce n’est que le 10 avril 1993 que nous sommes informés de ce que le Président de la République recevait la même délégation le 11 avril 1993 à sa résidence à Cocody.

11 avril 1993….même délégation et même lieu. Mais cette fois ci l’attente fut moins longue.

La séance a effectivement commencé à 19h. Et sans papier le vieux accompagné du Commissaire Drissa  Toé nous a rendu la monnaie comme il sait si bien le faire en parlant seul de 19h à 23h. La formation et l’éducation dans le monde entier avec des exemples précis en Amérique et en Europe. Dans le cas de l’Afrique, il a parlé de l’Afrique blanche avec ses nombreuses potentialités en gisement de pétrole, les cas de l’éducation et de la formation dans l’Afrique noire anglophone et lusophone pour terminer sur l’Afrique noire francophone avec le cas particulier de la Côte d’Ivoire qui pour rattraper son retard faisait appel à des enseignants Dahoméens (aujourd’hui BENIN), Togolais et Sénégalais. Pour conclure que « malgré les problèmes, vous devez accepter de vous former car c’est vous notre avenir, c’est vous notre raison d’exister. Je n’ai jamais accepté qu’un ivoirien aille se faire humilier ailleurs. Lorsque nous aurons les moyens de transformer par nous-mêmes, nos matières premières en produits finis ou semi finis, nous aurons rattrapé les autres ».

Ensuite il nous a fait un court magistral d’histoire politique. De la naissance du Syndicat Agricole Africain (SAA) créé à Agboville en 1944, précisément dans les campements agricoles d’Anoma sur la voie d’Agboville-Tiassalé à la naissance du RDA au congrès de BAMAKO au MALI en 1946, en passant par la lutte contre le travail forcé et la lutte pour les indépendances. « Lorsque j’avais votre âge, j’ai lutté pour défendre les causes de l’ensemble. On m’a toujours dit que vous de la FESCI, vous étiez un parti politique financé par TRIPOLI avec Kaddafi et par les Russes. J’ai compris avec nos échanges beaucoup de choses. Les gens m’ont menti. J’irai en Europe mais je reviendrai prendre d’importantes décisions pour le peuple de Côte d’Ivoire et son avenir que vous représentez »

Hélas, milles fois hélas ce retour et ces décisions importantes n’auront pas lieu. Après plusieurs mois en Europe, le 07 décembre 1993, la nouvelle tomba. HOUPHOUET est décédé.Le lendemain, réunis en Assemblée Générale  Extraordinaire, le BEN et toutes les sections levèrent tous les différents mots, en mémoire de l’illustre disparu, dans une déclaration intitulée« Nous venons de perdre notre véritable interlocuteur ».

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