Sénégal/La réforme constitutionnelle divise le pays

C’est demain samedi 04 mai 2019 que doit être votée la réforme constitutionnelle voulue par Macky Sall qui va entraîner, si elle est entérinée, la suppression du poste de Premier ministre. Une réforme menée en catimini, sans débat avec l’opposition. C’est ce que souhaite le président du groupe de députés de la majorité Aymérou Ngingue. Mais à l’opposé,Thierno Bocoum  qui est l’un des conseillers d’Idrissa Seck, arrivé au second tour de la présidentielle au mois de février dernier, estime que ce projet de réforme constitutionnelle n’a qu’un objectif : accorder plus de pouvoir au président Macky Sall.

Aymérou Gningue, pourquoi ce projet de réforme constitutionnelle est essentiel et important pour le Sénégal ?

Il est important parce que nous passons d’un septennat à un quinquennat. Donc pour pouvoir travailler et impacter les populations, il fallait prendre des mesures qui puissent permettre au président de la République justement de rationaliser le fonctionnement de l’administration et le fonctionnement de la tâche gouvernementale. Et dans ce sens, le président a voulu supprimer le poste de Premier ministre qui, somme toute, est une réforme technique. Cela ne touche pas à la nature du régime qui est un régime présidentiel, mais qui permet en fait de pouvoir travailler directement avec les ministres et de pouvoir impacter vite et mieux sur les populations qui attendent beaucoup du chef de l’État.

Que répondez-vous aux plus réticents qui disent que c’est juste une volonté de Macky Sall d’avoir « plus de pouvoir » ?

Quand vous regardez le texte, vous vous rendez compte qu’il n’y a aucun pouvoir de plus que le président va avoir. Le président avait la latitude de nommer le Premier ministre et de l’enlever quand il veut. Aujourd’hui, ce qui se passe, c’est que cette station intermédiaire, elle est supprimée. Cela touche évidemment un certain nombre d’articles, mais vraiment ce sont des réformes mineures, parce que seul le terme « Premier ministre » est supprimé.

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Et du point de vue maintenant de l’Assemblée nationale, nous gardons toutes nos prérogatives : les prérogatives de contrôle de l’action gouvernementale, la possibilité de pouvoir instituer des commissions d’enquête. Je crois que les choses sont claires : le président ne peut plus dissoudre l’Assemblée, cela nous donne en tout cas une autonomie de plus. En tout cas, cela nous donne aujourd’hui une garantie de plus. En ce moment, les équilibres sont respectés.

Que pensez-vous de ceux qui disent, même au sein de la majorité, qu’il n’y a peut-être pas eu assez de débat, qu’on n’a pas évoqué cette réforme pendant la campagne électorale. Ce n’était pas dans le programme Macky Sall, qu’on a l’impression que c’est une réforme qui est imposée et déjà réglée avant même le vote de l’Assemblée ?

Vous voulez encore nous installer dans une campagne où il faut encore faire des référendums ? Je crois que vraiment le pays en a assez de ce débat politicien et qu’il faut maintenant se mettre au travail. C’est ça que veut le président. On sort d’une élection où le président est élu à 58% et les Sénégalais l’attendent sur la mise en place de sa politique de façon efficace, directe et rapide pour que les Sénégalais puissent véritablement sentir les changements que va apporter le président de la République. Et dans l’article 42 de la Constitution, n’oublions pas que c’est le président qui définit la politique de la nation. Donc il est le seul comptable des résultats de cette politique de la nation. Cette réforme n’est pas une réforme politique, c’est une réforme purement technique qui permet en tout cas d’aller vite et bien. Ce vote sera une formalité pour la majorité au niveau du Parlement.

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Thierno Bocoum, pour la majorité, ce projet de loi de réforme est capital et a du sens. Qu’en est-il exactement ?

C’est une réforme substantielle de la Constitution qui aurait nécessité que les populations soient saisies, qu’il y ait une discussion préalable. Il faut préciser que le président Macky Sall n’en a pas parlé lors de sa campagne électorale. Ce qui veut dire tout simplement qu’il n’a pas eu l’aval ni direct ni indirect de la population sénégalaise. Donc c’est une stratégie politique qui n’a pas révélé tous ses secrets, mais qui malheureusement touche au régime politique sénégalais et qui devrait être discutée au niveau de la population ou en tout cas à travers une démarche inclusive qui va impliquer la société civile, les acteurs politiques. Ce qui n’a pas été le cas.

Vous considérez que la loi, si elle est adoptée, va renforcer le pouvoir du président en l’occurrence de Macky Sall ?

Oui, bien entendu. Parce qu’au Sénégal, avec notre régime, il y a ce qu’on appelle un bicéphalisme au niveau de l’exécutif avec dominance du chef de l’État. On permet au président de la République de continuer d’avoir une ingérence dans l’organisation et dans le fonctionnement de l’Assemblée nationale. Il a la possibilité d’avoir l’initiative de la loi. Il peut changer l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Il a la priorité quand il s’agit de procéder d’urgence et, quand il y a la majorité, il fait passer ce qu’il veut. Donc on a un président de la République qui a une mainmise sur l’Assemblée nationale et qui, en même temps, est le seul chef de l’exécutif et qui véritablement a un pouvoir exorbitant. Toutes les études qui ont permis aux populations de se prononcer sur les institutions ont permis de savoir que les populations sénégalaises souhaiteraient que le président de la République ne puisse pas avoir des pouvoirs exorbitants. Au lieu de les diminuer aujourd’hui, Macky Sall les renforce à travers ce projet.

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Vous, vous considérez que le président réélu  veut réformer parce qu’il craint une défaite aux législatives ?

C’est une réforme politique qui vise une ambition politique, une stratégie politique qui n’a pas révélé tous ses secrets. Mais ce qu’il faut comprendre, c’est qu’en cas de cohabitation, si en 2022 par exemple, il y a une nouvelle majorité où la majorité du président de la République demeure, si le président part en 2024 parce que c’est son dernier mandat, il continuera à avoir une majorité à l’Assemblée nationale parce qu’il sera interdit au président de la République qui va le remplacer de dissoudre l’Assemblée nationale. Cela veut dire que sur les cinq ans du successeur de Macky Sall, les trois années, il fera avec une majorité de Macky Sall qui est déjà parti. C’est une aberration, sans compter énormément d’autres anomalies qu’on peut voir au niveau de la loi. Cela veut dire tout simplement que les ambitions sont autres que de renforcer la démocratie, que de jouer pour l’équilibre du pouvoir que de faire en sorte que la société sénégalaise puisse bénéficier d’une démocratie majeure.

Source : rfi.fr