Immigration/Une victime des tortures raconte sa mésaventure vécue en Lybie

Violenté, torturé, réduit en esclavage, le journaliste guinéen Alpha Kaba raconte son expérience dans un livre intitulé « Esclave des milices – Voyage au bout de l’enfer libyen ». Il relate son vécu de deux ans passés en Lybie. Un ouvrage paru le jeudi 7 février  2019 aux éditions Fayard.  

En votre qualité de journaliste, vous êtes a priori sans ignorer que  vous avez accès à l’information. On sait ce qui se passe en Libye et quel est le sort réservé aux jeunes qui se lancent dans cette traversée périlleuse. Comment vous êtes-vous retrouvé dans cet enfer libyen ?

Je me suis retrouvé dans l’enfer de la Libye en 2013. Les informations n’étaient pas tout à fait claires sur la situation de ce pays  à l’époque. C’est  donc suite à un évènement qu’on a organisé dans notre radio qui a été pillée, la radio Kankan. On organisait des émissions sociétales et politiques. A l’issue de ces émissions, le gouvernement nous a mal vus. Ensuite, il y a eu des manifestations lors des meetings du chef de l’Etat où on a été indexés comme instigateurs de ces évènements. C’est à partir de là pour sauver sa peau, que je me suis retrouvé au  Mali dans un premier temps, ensuite le Burkina, le Niger et ensuite l’Algérie. Après je me suis jeté dans la gueule du loup en Libye et là j’ai vécu pendant deux ans et demi.

Comment avez-vous vécu en Libye ?

Le passeur nous a d’abord vendus à des milices, ces milices nous ont envoyés dans des squats, dans des maisonnettes abandonnées en périphérie des villes, on était 30 à 50 personnes, la vie était totalement impossible. On ne mangeait pas, on ne buvait pas pendant près de 48 heures. De là, ils viennent nous chercher pour nous envoyer dans d’autres squats où ils font le marché de l’esclavage. On a été revendus lors d’un marché  comme des bêtes sauvages à d’autres maîtres qui après nous ont envoyés dans des plantations de dattes, dans des chantiers. Il y avait parmi nous des ouvriers, des footballeurs, des charpentiers, donc des hommes de métier. Ils profitaient de ces hommes pour construire des maisons. Et nous, par exemple moi en tant qu’ouvrier, moi je faisais de la manœuvre.

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Très concrètement, à quoi ressemble le quotidien d’un esclave en Libye ?  

Justement, c’est au jour le jour. C’est au fur et à mesure qu’il entre dans la vie de l’esclave. De Ghadamès à Sabratha, chaque jour tu vois autre chose, chaque jour tu comprends que tu es devenu esclave à partir du moment où tes droits sont opprimés, que tes droits ne sont pas respectés, tu n’es pas libre de revendiquer, les armes sont braquées sur toi, à tout instant, à tout moment ; on tire sur des amis avec lesquels tu es venu, on vous abat comme des poulets. C’est en quelque sorte tout ce qui renvoie vers la vie de l’esclavage.

Il n’y a aucune possibilité de révolte ?

Aucune possibilité de révolte, parce que la meilleure manière de rester en vie, – c’est d’obtempérer, c’est d’obéir aux ordres, parce qu’on était sous les ordres des jeunes qui ont des armes pointées sur nous. J’ai eu plusieurs tortures, plusieurs frappes avec la crosse des armes, c’est vraiment difficile à expliquer. Il faut vivre ce phénomène pour y croire. Honnêtement, j’ai eu toute sorte de tortures, excepté la mort que nombreux d’entre nous ont trouvée là-bas. On ne mangeait pas, vraiment c’était invivable et indescriptible.

Comment avez-vous fait pour sortir de cet enfer libyen ?

J’ai été revendu quatre fois. Et au quatrième maître, il nous a promis en nous rassurant que  si nous  travaillions bien, il allait nous faire traverser. Et neuf mois plus tard, il est revenu un soir me dire « je vous envoie aujourd’hui en Italie, je suis un passeur ». Il nous met dans le coffre de la voiture. Il nous envoie en bordure de mer où on retrouve plus d’une centaine de  migrants. Il nous met dans un zodiac et nous montre l’étoile en nous disant : « Allez-y, c’est là-bas l’Italie ». C’est en quelque sorte une liberté empoisonnée parce qu’il fallait encore chercher la liberté sur la mer. Soit tu péris, soit tu restes en vie.

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Quel message souhaiteriez-vous faire passer aujourd’hui aux jeunes qui seraient tentés pour échapper à une situation peut-être compliquée dans leur pays et qui  voudraient rejoindre l’Europe ou une autre destination, en passant par la Libye ?

Je ne sais réellement pas sur quoi ils sont assis en Afrique dans les différents pays. Ils souffrent, cette jeunesse africaine souffre malgré tout. Mais je me dis que ça ne sert à rien de se jeter dans la gueule du loup, de vivre de l’esclavage en plein XXIe siècle. – J’ai fait la Libye pendant longtemps. Il y a eu des morts, parce que pour moi, les chiffres qu’on donne ne sont pas des chiffres exacts. Il y a des millions de personnes  qui ont perdu la vie. C’est pourquoi d’ailleurs j’ai décidé d’écrire ce livre, c’est pour interpeller les autorités africaines et européennes de prendre des décisions. Il faut qu’ils regardent réellement la situation, qu’ils viennent sauver ces jeunes qui sont là-bas, qui honnêtement devraient contribuer au développement de l’humanité que d’être réduits en état d’esclavage en plein XXIe siècle.

Source : rfi.fr